Touria Iqbal : Les textes sacrés sont constamment productifs de sens


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Mercredi 8 Juillet 2015

Touria Iqbal : Les textes sacrés sont constamment productifs de sens
Poétesse et traductrice, Touria Iqbal reste l’une des spécialistes du soufisme marocain. Native de Marrakech, elle est vice-présidente de l'Association Al Munia pour la sauvegarde et la revivification du patrimoine du Maroc. Elle se passionne pour les œuvres antiques et spirituelles… Entretien

Libé : Vous venez de publier votre dernier ouvrage "La Burda du désert", parlez-nous de ce nouveau-né.

Touria Iqbal : L’idée du livre est née à partir du travail artistique de Faïza Tidjani, peintre autodidacte algérienne qui a réalisé trente tableaux inspirés par le vent du désert et le souffle du divin. Née et ayant grandi dans un environnement soufi, Faïza exprime son univers pictural aux confins de la spiritualité et de l’esthétisme. Ces tableaux montrent inlassablement le même thème visuel : palmiers dattiers, poissons entrelacés, phénix fantastiques, pyramides, ondulations et ascensions, le tout édifié sur le fond en poussière d’ornements répétitifs qui, à voir de plus près, dévoilent les mots du poème panégyrique de la célèbre Al Burda (le Manteau) de l’Imam Al Bûsayrî. A observer ces tableaux énigmatiques surgis des sables du désert, j’ai eu une forte sensation m’invitant à la fois à une montée dans des sphères supérieures et une descente dans les abysses de l’intériorité, là où tout se fond, se fonde et se refait ; là où tout est confusion et clarté, là où je ne suis que réceptacle à l’affût des secrets et des mystères … Une œuvre qui nous ramène à la source et à l’essentiel confirmant le propos du Grand maître Ibn Arabi. Dans cette aventure fascinante, Muhammad Vâlsan nous rejoint très vite. Fils de Michel Vâlsan qui fut le premier interprète d’Ibn Arabi en Occident et directeur de la revue « Science Sacrée », il poursuit l’œuvre de son père et étudie l’expression universelle des doctrines initiatiques.

La spiritualité est-elle ainsi universelle ?
Assurément. En matière de spiritualité, cœur vibrant de chaque religion et chaque forme traditionnelle, nous disons tous la même chose car nous sommes tous rattachés à un même Principe Supérieur. La Vérité étant issue de l’Un, il y a identité essentielle de toutes les doctrines sacrées. Dans toutes les traditions, le message repose sur un symbolisme et les grands sages ne cessent de rappeler l’universalité intelligible du symbole initiatique et religieux. C’est pourquoi, retrouver le message profond et le langage commun à toutes les traditions est aujourd’hui fondamental. Les formes extérieures peuvent nous séparer, mais le message intérieur est là pour nous rassembler… Au bout du cheminement, toute forme extérieure disparaît pour ramener vers l’Essentiel.

Peut-on donc assister à une œuvre avec des intellectuels spirituels d'autres religions ?
Espérons-le, car un tel effort est non seulement souhaitable aujourd’hui mais il est indispensable dans un monde en perte de sens et de repères. Encore faut-il être suffisamment ouvert et éclairé pour créer les conditions d’un discours universel. Dans le Coran, le Verset 63 de la 3ème sourate exhorte : ’’ Dis : Ô gens du Livre, élevez vous à une parole également valable entre nous’’. C’est cette parole unificatrice, vivifiante et ressemblante dont on a le plus besoin aujourd’hui, une parole qui nous hisse au-delà des divergences et des fausses différences. Or, la voix des sages, même si elle ne fait que murmurer au milieu d’un grand chaos est porteuse d’espoir… Quand la sagesse règne, l’humain apaisé est en osmose avec lui-même et avec le cosmos.

Comment parvient-on à traduire les textes sacrés et spirituels ?
La traduction, si elle n’est pas trahison, elle est un amoindrissement. Pour les textes sacrés, on peut tout au plus traduire quelques sens. Si tous les livres révélés ont une structure sacrée, n’oublions pas que les écrits des grands Maîtres sont inspirés et écrits dans la Langue Sacrée et obéissent eux-mêmes à cette architecture. C’est dans ce sens qu’ils s’avèrent être un Tout ordonné par la Sagesse. D’où leur caractère de textes vivants constamment productifs de sens à chaque fois renouvelé. Aussi se pose le problème de l’interprétation (atta’wîl) et du commentaire (attafsîr) de ces textes fondateurs avant leur traduction d’une langue à une autre. Jusqu’à quel point le traducteur a accès à l’interprétation d’un texte sacré? A-t-il les qualifications nécessaires à en cerner les différents sens possibles? Quelle signification privilégier dans une traduction et selon quels critères? C’est dire la difficulté et l’immense responsabilité d’un traducteur, surtout quand il s’agit d’un turjumâne des secrets sacrés.


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