Ce fier immigré Birman de 26 ans, à qui la police de la zone industrielle de Mahachai, près de Bangkok, reprochait de "causer des problèmes", a été accusé de prêt illégal. Menacé d'expulsion malgré des papiers en règles, il a fini par débourser plus de 4.000 bahts (128 dollars).
La Thaïlande a intensifié la répression contre l'immigration illégale ces derniers mois, qui concerne surtout Birmans, Cambodgiens et Laotiens.
Mais cette politique a donné plus de marge de manœuvre encore à une police pas toujours respectueuse des droits et procédures.
Andy Hall, consultant pour la Fondation pour les droits de l'Homme et le développement (HRDF), estime que la police rackette les immigrés en "toute impunité".
"Le fait qu'ils le fassent de façon si systématique à travers toute la Thaïlande montre qu'il est désormais normal de considérer les immigrés comme des individus de seconde classe, presque comme des sous-hommes", estime-t-il.
Les immigrés sont quelque deux millions actuellement en Thaïlande, dont la moitié échappent à toute administration, selon diverses estimations.
Le gouvernement ne nie pas les abus et leur conseille de porter plainte.
"Si des officiers commettent des fraudes et sont dénoncés, nous les poursuivrons (....), mais le problème est que (les immigrés) ne nous contactent pas", explique le porte-parole du gouvernement, Panitan Wattanayagorn.
Mais comment un individu déjà en position de faiblesse oserait-il frapper à la porte du pouvoir ? Les chiffres officiels témoignent d'une explosion des arrestations, plus de 400 en août. Et Andy Hall estime que la vérité est très au-delà, dès lors que ceux qui payent - illégaux ou non - pour acheter leur liberté échappent aux statistiques.
D'autant qu'aux opérations policières s'ajoutent celles des services de l'immigration. Un employeur de la province de Samut Sakhon, au sud de Bangkok, affirme que les autorités ont récemment arrêté 200 personnes d'un coup, sans vérifier leurs papiers.
Elles ont été emmenées à Bangkok le temps que leurs employeurs produisent leurs certificats de travail. Dans certaines usines, 30 ou 40 personnes ont été arrêtées. "Imaginez-vous ce qu'on perd en ne travaillant pas pendant plusieurs jours ? La police a l'air de s'en moquer", s'emporte l'employeur sous couvert de l'anonymat.
Phyu Pwint Oo, timide Birmane de 19 ans, a été arrêtée en revenant de son travail. Elle n'a compris qu'à son arrivée à Bangkok, détenue avec cinquante autres personnes, qu'elle était entre les mains des services de l'immigration.
"Ils me donnaient trois repas par jour, mais je n'ai pas pris de douche et ne me suis pas changée pendant six jours", affirme-t-elle.
Selon les services de l'immigration, un millier de personnes sont en moyenne détenues dans le centre de détention de Bangkok. "La plupart", assurent-ils, sont des travailleurs illégaux.
Mais Phil Robertson, directeur adjoint de l'organisation Human Rights Watch en Asie, confirme que les immigrés sont "des cibles faciles". Ils "sont morts de peur et puisqu'ils paieront pour être libérés, les attraper est assez lucratif", résume-t-il.
Le commandant de la police de Mahachai, pour sa part, nie toute forme de corruption dans ses rangs et relève, comme le porte-parole du gouvernement, qu'il "n'y a eu aucune plainte".
Rare sont ceux qui osent dénoncer le phénomène. "La vérité est là, mais je ne peux rien dire, ma vie serait en danger", assure l'employeur de Samut Sakhon, lorsqu'on l'interroge sur la corruption.