Sur le chemin du Prix Nobel de physique de 2020


Abdelkrim Nougaoui
Mercredi 14 Octobre 2020

Il est inscrit dans la tradition de chaque première quinzaine du mois d’octobre de voir annoncer les noms des primés des Prix Nobel des six disciplines que sont la physique, la chimie, la médecine, l'économie, la littérature et la paix. Ces Prix sont décernés par l’illustre Académie Royale de Suède des sciences pour la physique et la chimie, l’Institut Karolinska pour la médecine, l’Académie Royale de Suède des lettres pour la littérature et un Comité de cinq individus élus par le Parlement norvégien pour la paix. Le Prix Nobel de l’économie ne figure pas dans le testament d’Alfred Nobel, et ce n’est qu’en 1968, que ce prix a été établi par la Banque nationale suédoise. Pour la physique en particulier, les noms primés sont d’abord l’éminent physico-mathématicien britannique Roger Penrose, l’Allemand Reinhard Genzel et l’Américaine Andrea Ghez grâce à leurs travaux sur l’origine et la découverte des trous noirs, comme prélude à une nouvelle physique. Les médailles et les diplômes de la Fondation Nobel leur seront officiellement remis par le roi de Suède, le 10 décembre, jour de l’anniversaire de la mort du fondateur Alfred Nobel. Ceci dit, chaque année, nous avons droit à des festivités transmises à travers la planète, couronnant ainsi ceux et celles qui ont fait l’effort dans l’innovation et la créativité. C’est un prix qui récompense des figures scientifiques, littéraires, médicales etc..; qui se sont brillamment illustrés chacune dans son domaine, afin de rendre de grands services à l’humanité. En fait que sont ces trous noirs? Ce sont des objets compacts gigantesques, avec des masses pouvant aller de quelques dizaines jusqu’à quelques millions de fois la masse du Soleil. Ils sont nommés noirs car ils sont invisibles et aucune matière ni lumière n’en sort. Ce sont des objets qui concentrent toute la masse du Soleil dans une sphère de dix kilomètres de rayon. Pour mieux cerner le problème des trous noirs, il y a un côté théorique concernant les trois nobélisés qui sont tous des théoriciens, et un autre côté expérimental en relation avec les ondes gravitationnelles et leur détection, qui sont pour le moment le seul moyen d’approche. Sur le plan théorique, la logique nous remet à la source qui est la théorie newtonienne de la gravitation, élaborée en 1704. Son principe de base est l’existence de l’attraction universelle. Par conséquent les corps célestes décrivent des orbites autour d’un centre de rotation, comme exemple le Soleil qui attire les planètes et celles-ci attirent leurs satellites. Cette attraction va s’étendre aux étoiles qui, à leur tour, s’attirent mutuellement dans les galaxies et cellesci s’attirent aussi les unes les autres. A l’échelle de notre planète, la Terre nous attire, ce qui permet de nous définir par notre poids. En résumé, d’après Newton, la gravitation se manifeste par des forces qui mettent les corps en mouvement, la Terre tourne autour du Soleil car celui-ci exerce une force gravitationnelle sur notre planète. Malheureusement, la théorie de Newton n’est pas complète pour généraliser l'explication de tous les phénomènes astronomiques. Un siècle plus tard, John Michel qui fut professeur à Cambridge, s’est posé la question : Une masse pourrait-elle devenir tellement grosse que son attraction interdirait à tout corps de s’en libérer? Il a calculé la vitesse de libération qui devait rester inférieure à celle de la lumière en montrant que de telles masses sont envisageables. Le monde scientifique est resté figé à cette supposition jusqu’à ce qu’Einstein, avec sa théorie de la relativité générale, a changé le concept de la gravitation. En quoi se résume cette relativité générale? Historiquement parlant, le tout a commencé avec A. Einstein à travers sa fameuse théorie de relativité générale, publiée en 1915. Ce n’est autre qu’une généralisation de sa première théorie de relativité restreinte ayant prédit l’effacement de l’éther, publiée en 1905. Avant même de nous étendre sur la relativité générale, donnons quelques éléments d’explication de la théorie de relativité restreinte.

Relativité restreinte
En premier lieu, c’est une théorie développée pour n’être appliquée qu'aux objets en mouvement uniforme, sans accélération ni décélération. Dans ce contexte de relativité, les lois de la physique restent les mêmes (invariantes) dans tous les systèmes de référentiels. Pourvu que ces objets ne soient soumis à des accélérations, alors ceci exclut au passage toute existence de référentiel privilégié. En deuxième lieu, la vitesse de la lumière dans le vide est invariable (constante universelle), ce qui laisse dire que pour tout observateur en mouvement, sa vitesse doit garder la même valeur qui ne doit pas dépasser 300.000 km (précisément 299.792.458 m/s). A partir de cette constance de vitesse de la lumière, on peut déduire deux notions nouvelles : la contraction de l’espace et la dilatation du temps. Nombreuses sont les conséquences de la théorie de la relativité restreinte, contentons-nous d’en citer les plus célèbres : : - Matière et énergie sont équivalentes (la célèbre formule E=MC2). - Espace et temps sont intimement liés formant une seule entité, l'univers a donc quatre dimensions, comprenant le temps et par suite l’espace qui deviennent l’espace-temps. - L’impossibilité pour une particule matérielle d'atteindre ou dépasser la vitesse de la lumière qui n'est atteinte que pour la lumière ou toute particule dépourvue de masse. Cette dernière doit être considérée comme la vitesse ultime de déplacement de l'information. Ce qui donne une nouvelle définition à la distance et au temps : une seconde est l’équivalent d’une distance de 300.000 km.

La relativité générale En voulant compléter le travail initié par Newton, Einstein a donné une nouvelle vision de la gravitation tout à fait différente de celle de Newton dans ce qu’il a appelé relativité générale élaborée en 1915. Pour Einstein et via les équations formulées, la gravitation n’est pas une force de gravitation (comme le poids), mais c’est plutôt une courbure de l’espacetemps. Ainsi, le mouvement d’un corps n’est pas déterminé par des forces, mais par sa configuration de l’espace-temps. Cette configuration vient éliminer ce que nous faisons apprendre aux élèves et aux étudiants en mécanique classique, que la Terre tourne autour du Soleil car celui-ci exerce une force gravitationnelle sur notre planète. Pour Einstein et d’après la relativité générale, c’est une perturbation de l’espace-temps introduite par la masse du Soleil qui est à l’origine du mouvement de la Terre. En 1916 déjà, l’Allemand Karl Schwarzschild a trouvé une solution aux équations de la relativité d’Einstein lui permettant de calculer pour des masses singulières, le rayon de la sphère au-delà duquel rien ne puisse s’en échapper. Après presque 50 ans, soit en 1965, R. Penrose a démontré que ce genre d’objets devraient exister comme étant dus à l’effondrement d’étoiles sur elles-mêmes, qui ont pris le nom de Trous Noirs. Pour cette résolution, il a inventé de nouveaux outils mathématiques qu’il a pu utiliser dans la logique de la relativité. Ces outils lui ont permis de démontrer que la formation de trous noirs était une prédiction forte de la théorie de la relativité générale, et cela découlait de cette logique ancienne qui laissait penser à l’existence de ce type d’objets dans l’univers. C’est à partir de ces idées que les recherches ont commencé, et on a d’abord trouvé des petits trous noirs de taille de quelques masses solaires à quelques dizaines, en observant leurs interactions gravitationnelles avec des étoiles visibles, ces dernières tournant autour d’un centre invisible. La théorie et les outils construits par Pernose sont bons pour la théorie, mais il faut bien des expériences d’observation pour vérifier la validité de cette théorie. Pour cela, il y a des télescopes très performants qui permettent d’entrevoir quelques trous noirs quand, dans les années 1990, les deux autres chercheurs primés Reinhard Genzel et Andrea Ghez, ont trouvé au centre de la voie lactée, c'est-à-dire notre galaxie, un énorme trou noir de 4 à 5 millions de masses solaires. Sa formation était incompréhensible, car il ne pouvait pas provenir d’une simple étoile s’effondrant sur elle-même. Depuis, un bon nombre de trous noirs supermassifs ont été repérés au centre d’autres galaxies. On se trouve alors entre des petits trous noirs stellaires et des supermassifs, et entre les deux, il n’y a rien. Tout récemment en 2016, grâce aux détecteurs Ligo et Virgo, l’émission d’ondes gravitationnelles provenant de la fusion de deux trous noirs a été détectée indiquant déjà une masse supérieure à celles des trous noirs stellaires. C’est une physique toute nouvelle qui est en train de naître et ce Prix Nobel est venu pour récompenser l’origine propre à cette physique. Comme on peut le constater, depuis la gravitation de Newton, on ne fait qu’avancer dans la compréhension de l’interaction gravitationnelle même si on a compris peu sur la matière. Ce trou noir au centre de notre galaxie ainsi que tous les autres, d’ailleurs, n’ont toujours pas été vus jusqu’à présent, et on ne dispose que d’indices de leur présence et de leurs alentours. Désormais, il y aura matière à réfléchir à des moyens pour en détecter les traces. Le problème de voir ce trou noir reste posé, car tout objet qui serait envoyé à sa proximité serait absorbé.
Donc, ce qui reste, c’est de voir par ses effets, par ses forces gravitationnelles qui font que ces sondes tourneront de plus en plus vite quand elles s’en rapprochent, attirées à l’intérieur. Celles-ci auront la particularité de tourner sur elles-mêmes, et si elles tournent extrêmement vite, elles pourraient expulser de la matière, comme un manège qui expulse des corps. Sur le plan pratique et expérimental, les regards des scientifiques restent donc braqués sur leurs instruments Ligo et Virgo, qui sont à l’origine de la découverte récente des ondes gravitationnelles, dont nous donnons un bref aperçu. C’est dans le cadre de ce Ligo qui est une abréviation en anglais de Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory, que nous pouvons traduire en français par : Observatoire des ondes gravitationnelles par interférométrie Laser, que la première détection d’ondes gravitationnelles a eu lieu, en février 2016. David Reitze, le directeur de cet observatoire, lieu de la découverte, s’est exprimé avec enthousiasme en annonçant : « Ce qui est vraiment excitant, c’est ce qui va venir après ». Il a ajouté : « Il y a 400 ans, Galilée a tourné son télescope vers le ciel et a ouvert l‘ère de l’observation moderne de l’astronomie. Ce que nous faisons est d’une importance similaire. Nous ouvrons une fenêtre sur l’univers, la fenêtre de l’astronomie gravitationnelle». C'est une découverte majeure qui marquera tout le monde de la science et en particulier celui de la physique, dans le sens d’avoir confirmé une prédiction vieille de cent ans faite par A. Einstein. Cette découverte est le résultat d’une collaboration qui a réuni 27 pays avec un nombre de chercheurs dépassant le millier, partagés entre les deux sites jumeaux de détection, le premier en Louisiane et le second à Hanford dans l’Etat de Washington, séparés par une distance de plus de 3000 kilomètres. Le lieu Hanford représente quelque chose pour la mémoire du scientifique américain, en tant que lieu de mise en application du Projet Manhattan. C’est donc le berceau de la conception de la première bombe atomique américaine de 1945. En rentrant dans le vif du sujet, posons-nous la question : en quoi consiste cette découverte? La réponse est que dans un laps de 7 millisecondes de toute la vie du projet Ligo, les interféromètres dits de Michelson (utilisés pour des travaux pratiques de licence de physique) des deux sites jumeaux ont pu détecter le passage de ces ondes gravitationnelles. Celles-ci qui ne sont autres que des ondes de déformation de l’espace-temps, qui nous sont parvenues sur Terre comme résultant du choc causé par la fusion de deux trous noirs de 29 et 36 masses solaires situés à un milliard d’années-lumière de la Terre. Durant leur passage, l’espace-temps a subi une déformation comme un vent qui déforme un drap en séchage. Pour une meilleure comparaison, prenons le mouvement que prend une surface d’eau après un jet de pierre; des rides de forme circulaire partent dans tous les sens en créant ce qu’on appelle un front d’onde. Entre le premier et le second front d’onde existe ce qu’on appelle un déphasage, ou encore une différence de marche et c’est cette grandeur même qui est détectée par l’interféromètre. L’interféromètre de Michelson est conçu pour la mesure des effets d’une extrême sensibilité, sachant qu’il équipe aussi des spectromètres à bord de satellites pour l’analyse hyperfine en infrarouge lointain appelée spectroscopie stellaire. C’est surtout grâce à cet appareil que l’éther est rendu inexistant et confirme la relativité restreinte d’Einstein et que la vitesse de la lumière est une constante universelle. Comment ces ondes gravitationnelles sont-elles formées? Ces ondes gravitationnelles se forment lors de l'explosion d'une étoile en supernova ou de son effondrement sur elle-même, et cette explosion est un des événements les plus violents ayant lieu dans l'univers à côté des collisions de galaxies, ou encore quand deux trous noirs se spiralent l’un autour de l’autre. Comment sont-elles détectées? L’histoire de la détection remonte à la fin des années 1960, qui s’est avérée erronée faute de matériel perfectionné. Depuis, les physiciens ont continué à travailler avec persévérance en construisant de gigantesques amplificateurs ayant enfin permis de détecter ces infimes variations : Ligo aux Etats-Unis, Virgo en Europe et Karga au Japon. C’est un effet de distorsion vu sur Terre à une échelle hallucinante : un dix millième de la taille d’une particule élémentaire, soit environ 10-19 mètres. Pour finir, reprenons l’essentiel de l’interview accordée par le nobélisé Roger Penrose au quotidien britannique The Telegraph : Roger Penrose a expliqué que le Big Bang, cette grosse explosion survenue il y a 15 milliards d’années et qui est à l’origine du temps, de l’espace et de la matière, n’a pas été la première à s’être produite. Selon le même scientifique qui défend la théorie révolutionnaire de l’univers de Hawking, cet univers dans lequel nous vivons ne serait ainsi pas le premier ni le dernier. Il a dit : « Le Big Bang n’est pas le commencement. Il y avait quelque chose avant le Big Bang, et ce quelque chose est précisément ce qui nous attend dans le futur». Pour nous permettre de comprendre, Penrose a expliqué « que l’univers est en expansion permanente, et l’univers continue à s’étendre jusqu’à ce que toute la matière qu’il contient se désintègre, laissant la place à un tout autre et nouvel univers. Nous avons un univers qui se développe et se développe, et selon cette folle théorie qui est la mienne, dans un avenir lointain, toute cette masse finira par se désintégrer en nouveau Big Bang, donnant naissance à de nouveaux temps infinis ». Une succession de Big Bang en somme que Penrose résume en employant plus précisément le terme « Aeon » qui, en grec ancien, signifie « Nouvel Age », mais aussi l’éternité. Il a conclu par annoncer : « L’univers que nous connaissons ne serait pas à lui seul infini, mais s’inscrit en fait dans une série illimitée avec d’autres qui produisent cet Aeon. Mis bout à bout, ces univers à la fois nouveaux et anciens forment un ensemble infini ». Comme authentique scientifique, Penrose n’avance évidemment pas cela sans un minimum de preuves qui sont, d’après lui, les points de Hawking. Penrose y a déjà fait référence dans une étude parue en 2018, dédiée à la mémoire de Stephen Hawking, dans laquelle plusieurs scientifiques et lui-même indiquaient que des formes tourbillonnantes observées dans le ciel pourraient être le signe de trous noirs ayant survécu à la destruction d’un univers avant le Big Bang.
Par Abdelkrim Nougaoui
Enseignant-chercheur à Oujda


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