Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi : Le père fondateur de la presse ittihadie


Paris : Youssef Lahlali
Mercredi 8 Juillet 2020

Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi : Le père fondateur de la presse ittihadie
La perte soudaine de cet homme est à peine croyable, même si les dernières nouvelles sur sa santé n’étaient pas rassurantes. L’un de ses amis, le ministre Lakhdar Al Ibrahimi, a dit à Abas Bouderka l’un de ses camarades : « Abderrahmane a choisi le moment de son départ pour ne déranger personne.  Tous ses amis se trouvent à l’étranger, bloqués en France par l’épidémie de Coronavirus et personne ne pourra l’accompagner  au cimetière ».
 Abderrahmane El Youssoufi  avait fait ses adieux  dans plusieurs villes marocaines, à Rabat, Casablanca … lorsqu’il avait présenté son autobiographie. Ce furent des rencontres populaires,  spontanées, intimes  avec  des gens qui l’appréciaient. Cet homme exceptionnel a accompagné la vie des Marocains pendant presqu’un siècle. Il fut un opposant farouche à Hassan II pendant les années de plomb puis il fut le sauveur en incarnant l’alternance lorsqu’il fut Premier ministre.  De nombreuses générations ont vécu avec cette grande figure, vrai symbole de militantisme, de patriotisme et de droiture. 
C’est au cours de ce parcours long et riche qu’il fonda la presse  ittihadie. Il fut le rédacteur en chef du quotidien Attahrir. Il y déclara que le gouvernement est responsable devant Sa Majesté et le peuple marocain, ce qui lui valut de figurer parmi  les premiers prisonniers d’opinion  du Maroc indépendant le 15 décembre 1959. Son intérêt pour les médias n’était un secret pour personne, puisqu’il fonda le syndicat de la presse nationale en 1963. Il en rédigea les statuts pour protéger la liberté d’expression au Maroc.  
Je ne sais comment commencer pour parler de lui. Je vais simplement évoquer mon  vécu très modeste à ses côtés lorsque nous avions eu des rencontres de travail  concernant le journal Al Ittihad, qui était très important pour lui. Nous nous sommes rencontrés la première fois au siège du quotidien dont il était le directeur à Casablanca en 1995. Les membres de la rédaction de ce journal ainsi que ceux de l’hebdomadaire Anachra, publié à l’époque par la jeunesse socialiste (Chabiba Al ittihadia)  et dont le directeur était Mohamed Assassi,  participaient à cette rencontre.  Abderrahmane El Youssoufi nous avait présenté les grandes orientations journalistiques de ce groupe de presse, le plus grand au Maroc, qui a vécu une  grave  crise à l’époque. 
Je l’ai rencontré une deuxième fois à Paris le 9 novembre 1999 en marge du Congrès de l’Internationale socialiste au CNIT de La défense. Y participaient les plus grands leaders socialistes du monde. Cette rencontre fut exceptionnelle dans mon parcours professionnel puisque j’ai pu réaliser un entretien d’une heure sur le projet d’un bureau du journal à Paris avec le choix d’une équipe de travail et nous avons abordé la question de la distribution du journal en France.  Il voulait que nous nous intéressions aux  Marocains de France et  aux relations franco-marocaines dans tous les domaines politique, économique, social et culturel.  Je me rappelle qu’il avait dit que la France était notre grand partenaire politique et économique qui abritait la plus grande communauté marocaine à l’étranger, ce qui  justifiait de suivre toute l’actualité de ce pays. Notre conversation a souvent été interrompue par des journalistes qui voulaient l’interroger sur Driss Basri, démis par le Roi Mohammed VI de ses fonctions.  Il restait d’ailleurs constamment informé par téléphone de cette actualité brûlante. Ce projet de création d’un bureau à Paris n’a jamais vu le jour, suite aux problèmes internes au sein de l’USFP et au niveau de la direction du journal. L’équipe se résuma à deux journalistes dont je faisais partie avec peu de moyens couvrant à peine les frais de fonctionnement.  
Intéressé par l’actualité de l’immigration marocaine en France, il m’a demandé de faire un rapport sur la situation de l’islam en France.  Ce fut une aventure passionnante qui m’a permis de découvrir le monde des mosquées et des associations qui les gèrent. C’était un travail complexe pour quelqu’un qui venait d’arriver en France. Malgré cela, j’ai pu connaître l’organisation de l’islam en France et ses différents acteurs. C’était un terrain miné où se confrontaient de nombreux pays étrangers, puissants par leur nombre de ressortissants, comme le Maroc et l’Algérie  ou puissants par les influences qu’ils voulaient exercer en France grâce à leurs pétrodollars, comme la Libye de Kadhafi et les pays du Golfe, sans parler de la surveillance française de ce milieu.  Si Abderrahmane El Youssoufi en me demandant ce rapport avait pour objectif d’orienter notre travail médiatique et partisan en France vers ce champ religieux qui avait des impacts politique et sécuritaire en France et en Europe. Il était visionnaire, car aujourd’hui ce sujet préoccupe tous les pays de la région.
  Il m’a aussi demandé de rencontrer le directeur de la revue Afrique-Asie, Simon Malley, pour un dialogue autour de l’alternance politique au Maroc et son impact dans la région.  Cette rencontre m’a permis de collaborer avec cette revue à plusieurs reprises. 
Je lui ai également rendu visite à la Primature en compagnie de mon collègue Hakim Ghissassi de la revue La Médina, publiée en France, qui s’intéressait à l’immigration,  à la culture et aux questions identitaires. Malgré sa fonction et ses préoccupations en tant que Premier ministre, il ne perdait jamais l’occasion de discuter de sujets en  lien avec l’immigration et les médias. Grâce à ses relations et amitiés, j’ai pu rencontrer de nombreuses personnalités politiques françaises de premier plan ,tels Roland Dumas, Hubert Védrine, Daniel Vaillant, Jack Lang et d’autres ministres étrangers comme Lakhdar Ibrahimi, ministre des Affaires étrangères algérien, ainsi que des intellectuels français et arabes tels que Mohamed Harbi , Bourhane Ghalion, Hamida Naana, Jacques Vergès...Et la liste est  longue.
Le Cercle des Amis de Bahi à Paris comptait beaucoup pour lui. Il suivait les activités de cette structure de près et il proposait même des idées. Mohamed Bahi était un journaliste et un homme politique très proche de lui,  compagnon de longue date dans la lutte pour la démocratie au Maroc et l’union du Maghreb.  Son travail journalistique reste dans les annales de la presse marocaine. 
En 2018, je l’ai rencontré une dernière fois dans sa maison à Casablanca. Nous avons parlé de son autobiographie réalisée avec son camarade Abas Bouderka. Il y avait beaucoup d’amis et de collègues. La discussion a porté sur le sens de cette publication et son accueil par le public marocain. 
 En raison de la crise sanitaire, un hommage national n’a pas pu lui être rendu, mais les Marocains avaient pu témoigner leur attachement et leur respect  à ce grand homme lors de la présentation de ce dernier livre retraçant les grands axes de sa vie de militant socialiste. 
Avec son départ, le Maroc a perdu l’un des derniers grands héros du mouvement national et de la résistance  qui a marqué la politique, les droits de l’Homme et les médias au siècle  dernier et qui résonne encore aujourd’hui.

​La création du Syndicat national de la presse

Fin janvier 1963, le Mouvement national décide de créer le Syndicat national de la presse marocaine, une institution qui depuis mène un combat aux coudes pour défendre le métier de journalisme et de ceux qui le professent, tout autant que faire prévaloir et imposer les fonctions assurées par le quatrième pouvoir dans la quête des libertés d’expression et d’opinion. Faisant partie des fondateurs, j’ai eu l’honneur d’écrire la charte constituante. Cinquante ans plus tard, un chercheur universitaire qui a soutenu une thèse sur l’histoire dudit syndicat, est venu me voir pour me montrer une copie du document écrit de mes mains. J’ai ressenti une grande émotion.
Cependant, en dépit de la décision du boycott du référendum, le secrétaire général du parti opte pour la participation aux premières élections législatives. L’Ittihad présente alors des candidats pour les deux chambres comme l’institue la nouvelle Constitution dont les élections sont prévues pour le mois de mai 1963.


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