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Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi : Je ne regrette aucun engagement


Interview accordée à Jeune Afrique en septembre 1998
Mercredi 8 Juillet 2020

Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi : Je ne regrette aucun engagement
Abderrahmane El Youssoufi : Je me réjouis de constater que, dans les débats au sein du gouvernement, les considérations partisanes n’entrent pas en ligne de compte
Jeune Afrique: L’état de grâce dont bénéficiait le gouvernement d’Alternance n’est pas sérieusement entamé, mais on note, ici et là des impatiences…

El Youssoufi: Qu’on puisse encore parler d’état de grâce, six mois après, représente déjà une performance. Les marocains savent que le gouvernement est près d’eux, s’intéresse à leurs problèmes et s’efforce de résoudre ceux-ci sans tapage ni démagogie. Sans dissimuler non plus les difficultés.
La télévision n’a guère changé… ?
La réforme de l’information reste à l’ordre du jour et le ministre de la Communication, Larbi Massari est en train la préparer. S’agissant de notre télévision, il convient de ne pas la comparer avec ce qui se passe en Europe, où les grilles de programmes, les présentateurs, les décors changent régulièrement. Ici, le système audiovisuel a toujours été un instrument de pouvoir, avec son histoire, ses habitudes, ses hommes. Nul ne conteste qu’il pose problème. L’audience de nos deux chaines ne cesse de baisser et elle risque d’atteindre le seuil à partir duquel tout redressement deviendrait impossible. La réforme de la télévision doit, pour réussir, être opérée en douceur, afin d’en faire un instrument attractif d’information, de distraction et de culture. Cet instrument devrait être au service de l’ensemble de la communauté, à l’abri de toute politisation et de tout esprit partisan. Il n’est pas question de la majorité politique actuelle. Par ailleurs, on a tendance à croire que la réforme ne coute rien. Alors que la confection de nouveaux programmes et, d’une manière générale, la professionnalisation, exigent des moyens substantiels…
C’est surtout, dit-on, un problème d’hommes…
Sans doute. Mais là encore, il n’est pas facile de constituer une équipe qui, à la fois, inspire confiance et ne pèche pas sa partialité. A ce sujet, l’investigation se poursuit.
Devant le comité central de l’USFP, réuni le 12 et 13 septembre, vous avez pourtant déclaré que «le gouvernement ne souffre que d’un problème de communication».
J’estime qu’il est trop commode, pour expliquer les échecs, d’invoquer le «déficit de communication». C’est également une manière de rappeler que notre pays connait des problèmes sérieux en matière d’emploi, d’enseignement, de santé, etc… problèmes qui ne seront réglés du jour au lendemain. Au fond, la meilleure communication serait assurée par la solution réelle des problèmes.
Quelles sont les prérogatives du Premier ministre ?
Il lui revient d’impulser l’action du gouvernement, de coordonner l’activité de ses différents départements et de veiller à l’exécution de ses décisions.
Le Premier ministre exerce donc le pouvoir réglementaire ?
Exactement. A ce titre, tous les jours je signe des textes.
J’insiste ; exercez-vous vraiment l’intégralité de ce pouvoir ?
Chacun sait que, dans un passé récent, ni les gouvernements successifs ni le parlement ne remplissaient la totalité des fonctions qui sont les leurs dans une démocratie. La révision de la Constitution, comme la formation du gouvernement de l’Alternance avaient précisément pour objectif de mettre fin à ces défaillances.
Vous avez parlé des «blocages» et des «obstructions» auxquels votre gouvernement est confronté. Se situent-ils à l’intérieur ou à l’extérieur de votre équipe ?
Je faisais illusion à une constatation faite d’ailleurs davantage par l’opinion publique que par le gouvernement. Les gens savent qu’il y a un changement avec la formation du gouvernement d’Alternance, mais ils n’en perçoivent pas encore les retombées dans leur vie quotidienne.
Il parait que les doléances adressées au Premier ministre ont augmenté vertigineusement, ces derniers mois…
C’est vrai. A l’examen, ce sont les plus souvent des demandes d’emploi, de secours, des plaintes contre telle ou telle administration… Ces doléances sont confiées à des services qui les instruisent, puis, au nécessaire, elles sont transmises aux autorités concernées. Pour répondre à ces doléances, nous envisageons de mettre en place un médiateur disposant de l’autorité et des moyens nécessaires au règlement du maximum de problèmes.
Comment fonctionne le gouvernement ?
Le Conseil du gouvernement, présidé par le Premier ministre, se réunit chaque semaine, en général le mardi. Les ministres y présentent leurs communications et les projets de textes, lois ou décrets, qui sont alors examinés. Une fois que ce conseil a statué sur ces textes, ils sont soumis au Conseil des ministres, présidé par Sa Majesté. Le Premier ministre préside également des commissions interministérielles restreintes en présence, à l’occasion, d’experts des départements concernés. 
Qu’en est-il de l’homogénéité du gouvernement ?
Avant et après la formation du gouvernement, de nombreux observateurs s’interrogent sur sa capacité d’harmonie. Force est de constater, plusieurs mois après, que ces craintes n’étaient pas fondées. Jusqu’à présent, le gouvernement fait preuve de cohésion et de solidarité.
Entre  tous les membres, sans exception ?
Il est arrivé que tel ou tel ministre prenne, de bonne foi, une initiative intempestive, mais ces incidents n’ont jamais pris un caractère de gravité et ont été rapidement réglés.
Y a-t-il des divergences qui requièrent votre arbitrage ?
Bien entendu, c’est le propre de tout gouvernement qui se respecte de débattre. Et la fonction même du Premier ministre implique, sans cesse, des arbitrages.
Avez-vous eu recours à l’arbitrage du Roi ?
Un tel recours ne s’impose que dans les rares cas où les positions sont cristallisées. De toute manière, en présidant le Conseil des ministres, Sa Majesté exerce son magistère en apportant des modifications, des éclairages qui lui permettent, le cas échéant, de trancher.
Parlons clairement : Où est la cohabitation avec Driss Basri ?
Je vous fais observer que le terme «cohabitation» n’est pas de mise, dès lors qu’il suggère, comme en France, la cohabitation entre deux orientations politiques différentes. Au Maroc, nous avons affaire à un gouvernement de coalition dans lequel siègent des hommes et des femmes appartenant à plusieurs partis, ainsi que des personnalités indépendantes, sans appartenance politique. 
Le ministre de l’Intérieur n’est plus un super-ministre ?
C’est un ministre comme les autres. Sa seule singularité est que son titulaire, Driss Basri, le dirige depuis des années et qu’il a accumulé, de ce fait, une expérience incomparable.
Joue-t-il le jeu de l’alternance ?
Lors de l’investiture du gouvernement, Sa Majesté a invité tous les membres à travailler avec le Premier ministre à la réalisation de son programme.
Donc tout baigne ?
Ça fonctionne.
Avez-vous des entretiens réguliers avec le Roi ?
Je demande régulièrement audience à Sa Majesté. De même, Sa Majesté me convoque chaque fois qu’il le juge nécessaire. J’ai donc, en permanence, l’occasion d’évoquer toutes les questions qui méritent d’être traitées à ce niveau.
Les audiences royales sont-elles hebdomadaires ?
En général, oui. Mais il peut arriver qu’elles soient plus rapprochées, selon les circonstances et les problèmes.
Il a été question d’une séance de travail avec les gouverneurs, présidée par le Premier ministre…
Elle est toujours à l’ordre du jour. Son objectif est d’examiner les conditions sur le terrain, de la mise en œuvre des priorités du programme gouvernemental. Elle doit avoir lieu dans les prochaines semaines.
On a parlé d’un mouvement de gouverneurs…
Les mouvements des gouverneurs sont périodiques, ne serait-ce que pour respecter le principe de rotation dans la fonction publique.
Qu’en est-il des relations entre les partis qui participent au gouvernement ?
La majorité plurielle fonctionne parfaitement. Je me réjouis de constater que, dans les débats au sein du gouvernement, les considérations partisanes n’entrent pas en ligne de compte.
Diriez-vous que le souverain vous apporte toute son aide ?
Lorsqu’il ma désigné, Sa Majesté le Roi m’a assuré de sa confiance et de son soutien.
Qu’avez-vous appris de nouveau au cours de ces six mois ?
J’apprends à tous les instants ! En particulier, nous apprenons, mes proches collaborateurs et moi, à nous familiariser avec la machine de l’Etat. Nous apprenons aussi ce que signifie concrètement d’assumer les responsabilités gouverne tales. Nous mesurons sans cesse toute la différence entre la culture de l’opposition et la culture du gouvernement. Personnellement, je découvre la coloration inédite que prennent mes relations, aussi bien avec amis qu’avec mes adversaires.
On s’interroge sur les sentiments réels à l’égard du gouvernement de votre ami le Fquih Mohamed Basri ?
Je n’ai lu aucune déclaration publique de lui à ce sujet. Au plan personnel, il m’a souvent dit qu’il souhaitait le succès du gouvernement d’Alternance.
Reviendra-t-il à l’USFP lors du prochain congrès ?
Je n’en sais rien. En tout cas, il lui appartient d’exprimer d’abord ses propres intentions.
Comment régissez-vous aux critiques qui s’expriment à l’intérieur de votre parti ?
L’ISFP est un corps vivant, animé, depuis toujours, par l’esprit de contestation. Malgré tout, le parti sait, à l’heure des décisions, faire taire ses dissensions et prendre ses responsabilités. Aujourd’hui comme hier, c’est pour l’essentiel.
Noubir Amaoui, secrétaire de la Confédération démocratique du travail et membre du Bureau politique de l’USFP, n’a pas assisté au comité central…
Il était fatigué, mais on l’a vu, le même jour, aux funérailles du militant de gauche Mohamed Hihi.
C’est surtout au sein de la jeunesse de l’USFP (Chabiba) que les critiques se concentrent.
Elles s’expriment dans différentes catégories d’âge et dans tous les milieux.
Comment les expliquer ? Frustrations, impatience ?
Dans les instances du parti, mon rôle est surtout de répondre aux opinions divergentes. Et il m’arrive de convaincre. Comme vous le savez, le comité central a adopté finalement une motion de soutien au gouvernement… « A l’unanimité», ce qui peut surprendre… ; pas ceux qui connaissent notre parti. On discute dur, franchement, puis on se met d’accord sur la position la plus juste.
Qui visiez-vous lorsque, au cours du comité central, vous avez lancé «la terre de Dieu est vaste» ?
Ceux qui s’acharnent à combattre ce que nous faison et refusent de se plier aux positions de la majorité, pour leur dire qu’ils peuvent aussi bien le faire de l’extérieur du parti. Il n’est pas raisonnable d’être au parti et de passer le plus clair de son temps à le dénigrer.
On a l’impression que l’USFP a du mal à se transformer en parti de gouvernement ?
Le pays a changé, le monde a changé, le parti, lui aussi, doit changer. La raison d’être de l’USFP, sa vocation, est d’abord et avant tout de servir notre pays. Or il est clair que le Maroc a besoin aujourd’hui d’une équipe au pouvoir susceptible de mettre en application les idées que nous défendons depuis quarante ans. Le congrès du parti, prévu en mai 1999, devrait prendre toute la mesure du nouveau paysage politique et apporter, dans l’organisation de l’USFP, comme dans l’attitude de ses militants, les mutations qui s’imposent.
 Le cumul des postes du Premier ministre et Premier secrétaire de l’USFP pose problème…
Je ne cramponne pas à la direction du parti. Si les circonstances l’exigent, ou si mes amis le désirent, je suis prêt à m’effacer.
 Votre premier voyage en tant que chef du gouvernement a été pour Tunis…
J’ai tenu à assister à la réunion, en juillet, de Grande Commission maroco-tunisienne, afin de promouvoir la coopération intermaghrébine. C’était aussi l’occasion de retrouver mes amis tunisiens. J’au remis un message de S.M le Roi au président Ben Ali, l’invitant au Maroc.
Une date est-elle fixée ?
Probablement dans le courant du mois d’octobre.
Qu’en est-il des rapports avec l’Algérie ?
J’allais vous en parler. Lorsque j’ai été désigné par Sa Majesté, j’ai relevé avec plaisir que le premier message de félicitations provenait du premier ministre algérien, Ahmed Ouyahya. Sur le chemin de Tunis, en survolant l’espace aérien de l’Algérie, j’ai adressé à mon tour un message à mon homologue. Je considère que les relations actuelles entre nos deux pays- qui ont, on ne le rappellera jamais assez, un passé et un avenir commun- sont anormales. Sans entrer dans le débat sur la meilleure manière d’organiser la reprise de la coopération entre nos deux pays, fermée depuis l’été 1994, ne serait-ce que parce que les régions limitrophes sont aujourd’hui, de ce fait, sinistrées. J’ai réitéré cette proposition en recevant l’ambassadeur d’Algérie, El Mihoub Mihoub. En guise de réponse, la presse algérienne a insisté sur une «approche globale». J’attends d’en savoir plus par voie diplomatique.
Comment avez-vous réagi au départ annoncé du président Zéroual ?
Comme tout le monde, par l’étonnement et la surprise.
L’instabilité au sommet de l’Algérie ne va pas arranger les choses. Ne risque-t-elle pas d’entraver toute tentative de réconciliation avec le Maroc.
Je ne pense pas qu’il faille lier les problèmes internes de l’Algérie avec les relations d’Etat à Etat entre nos deux pays. Pour notre part, nous demeurons ouverts à toute démarche susceptible d’assurer, voire d’accélérer, la normalisation entre l’Algérie et le Maroc.
Qu’attendez-vous de la France, où vous vous rendez début octobre ?
Vous avez sans doute constaté que notre opinion publique accorde déjà une grande importance à cette visite. On peut même soutenir qu’aucune visite gouvernementale n’a suscité, par anticipation, un tel retentissement. Ce n’est pas un hasard. Le gouvernement d’Alternance a bénéficié, outre de la confiance de Sa Majesté et de la disponibilité des marocains, d’une réelle sympathie à l’extérieur, dont le remboursement absorbe 30% de notre budget et handicape sérieusement la réalisation de notre programme de réformes, sera au centre de nos entretiens à Paris. Nous sommes persuadés que nos partenaires français, qui souhaitent le succès de l’alternance, comprennent que nous avons besoin d’alléger de façon significative le fardeau de la dette.
Un dernier mot : avez-vous des regrets après six mois du gouvernement ?
Je ne regrette aucun engagement.


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