«Solidarnosc» et le changement de systèmes en Europe centrale et orientale (1/2) : La vague de grèves


Par : Alicja Wancerz Gluza *
Vendredi 22 Mai 2009

«Solidarnosc» et le changement de systèmes en Europe centrale et orientale (1/2) : La vague de grèves
Il y a vingt cinq ans, le 31 août 1980, le syndicat «Solidarnosc» est né. Toute tentative de définir ce phénomène nous montre qu’il échappe aux classifications traditionnelles. Car «Solidarnosc » fut en même temps: une révolution, un grand mouvement social, une insurrection nationale et aussi - tout simplement - un syndicat. Mais un syndicat unique dans l’histoire du monde qui, au moment culminant, compta plus de 9,5 millions de membres, issus de toutes les couches et de tous les groupes sociaux. «Solidarnosc » devenait en Pologne le garant du renouveau dans de nombreux domaines de la vie du pays,  garant des réformes économiques, de l’élimination de l’injustice, du refrènement de l’illégalité  et des abus commis par l’appareil du pouvoir communiste, de la restitution de la vérité dans les médias et dans l’éducation. Il devint un mouvement de revendication des droits civiques et des traditions nationales.
En août 2003, le texte original des 21 Revendications de Gdansk d’août 1980 ainsi que la collection d’archives, fondée au Centre KARTA à Varsovie, «Solidarnosc» : naissance d’un mouvement (documents originaux d’août 1980 à décembre 1981) furent inscrits sur la liste de l’UNESCO des plus importantes collections d’archives existant dans le monde, au Registre international «Mémoire du Monde».
La Pologne est un Etat démocratique qui le 1er mai 2004, à côté des six autres Etats post-communistes, devint membre de l’Union européenne, en changeant d’abord - le 1 janvier 1990 – le nom de République Populaire de Pologne en République de Pologne.
La naissance de «Solidarnosc» fut précédée par une longue histoire de la résistance de la société polonaise au système communiste, régime imposé à la Pologne et aux autres pays de l’Europe centrale et orientale après la Seconde guerre mondiale.
L’Année 1970
Le 12 décembre 1970, les autorités polonaises annoncèrent une hausse  des prix des produits alimentaires de base. Le lendemain, les Chantiers navals de Gdansk se mirent en grève. Le manque de réaction de la part du pouvoir provoqua, le 15 décembre, une manifestation de quelques milliers de personnes dans les rues de Gda_sk. Les manifestants mirent feu au siège du Comité de voivodie du POUP. Le 1er secrétaire du POUP, Wladyslaw Gomulka, donna l’ordre à la milice d’utiliser les armes et de faire entrer dans la ville les forces armées. L’armée et la milice tirèrent non seulement sur la foule révoltée mais aussi sur des passants qui par hasard se trouvaient sur la ligne du tir. Le 16 décembre, l’armée ouvrit le feu sur les personnes qui sortaient du portail numéro 2 des Chantiers navals de Gdansk, le 17 décembre matin - sur les ouvriers qui se rendaient au travail aux Chantiers navals de Gdynia, le 18 décembre - à Elbl_g et Szczecin... 
Après les «événements de décembre », les autorités de l’Etat et du parti changèrent.  Edward Gierek devint Ier secrétaire du POUP.
Une opposition au grand jour
En juin 1976, le pouvoir essaya à nouveau d’introduire de très fortes hausses de prix. Cela provoqua des grèves dans plusieurs villes. Des manifestations particulièrement violentes eurent lieu dans les établissements de Radom et de Ursus. Elles furent brutalement étouffées par des unités spéciales mécanisées de la milice (ZOMO).
Le 23 septembre, quatorze membres de l’opposition lancèrent un Appel à la société et aux autorités de la RPP, appel qui devint une déclaration fondatrice du Comité de Défense des Ouvriers (KOR). Il  fut le premier groupe de l’opposition démocratique qui, bien que toujours illégal, mena son activité au grand jour pour défendre les droits de l’homme.  Le KOR inspira la création de comités fondateurs des Syndicats libres à Katowice et sur le Littoral, ainsi que des Comités d’étudiants de «Solidarnosc».
Le Pape Polonais
L’élection du cardinal Karol Wojtylla comme pape, et ensuite la visite de Jean-Paul II  en Pologne en juin 1979 – avaient fait de la société polonaise atomisée, se débattant avec ses problèmes quotidiens, une société qui tout à coup sentit qu’elle formait une communauté et, plus encore, une communauté de millions. Cette société découvrit en elle-même la force spirituelle, l’expérience commune de sa propre identité, elle sentit la liberté que donne la libre expression de la volonté collective.
Le pays plongea cependant dans un chaos économique. Les hausses de prix camouflées, l’inflation de plus en plus grande, amenèrent au début de 1980 à un manque sur le marché de presque tous les produits.
La plus importante fut la grève générale de juillet à Lublin qui embrassa  150 entreprises avec 50 mille personnes, le transport en commun, les chemins de fer. Le gouvernement commença à négocier et signa le 11 juillet un accord avec les comités de grève appelés «d’arrêt ». En plus des concessions  de nature sociale, il garantit aux grévistes la sécurité et s’engagea à procéder aux nouvelles élections aux conseils d’entreprise. Pour la première fois dans l’histoire d’après-guerre, un accord fut signé entre le pouvoir et les ouvriers en grève.
Les autorités s’efforçaient de maîtriser la situation dans l’immédiat en renonçant à l’introduction de nouveaux prix et en promettant des hausses minimes. Telles étaient aussi, au début «locales»,  les ambitions de la grève à  Gdansk bien que les concessions politiques faites à Lublin donnassent de l’espoir pour de nouvelles actions dans la lutte oppositionnelle.
Une grève au nom de tous
La nuit du 16 au 17 août, il ne resta dans le grand chantier naval  que près de mille grévistes. Ils pouvaient devenir un objet facile de pacification mais les autorités ne se sont pas décidées à résoudre le problème par force.
Au cours de cette nuit, le Comité de grève inter-entreprise (MKS)  se constitua. Il formula la liste des 21 revendications, et parmi elles sept politiques. La plus importante fut la première :  la création d’un syndicat indépendant du parti, et en outre :  la garantie du droit à la grève, le respect de la liberté de la parole, la libération des prisonniers politiques et des démarches qui permettraient au pays de sortir  de la crise. 
Le 18 août, la grève générale commença à Szczecin. Là-bas aussi  on forma  un Comité de grève inter-entreprise qui présenta de semblables revendications.
Le sentiment de force et de communauté ne cessait de croître. Jamais encore en Pologne d’après-guerre, les manifestations n’avaient atteint une telle envergure ni, ce qui est  plus important encore, une telle solidarité.
Le 23 août, aux Chantiers navals de Gdansk, les ouvriers et les représentants des autorités se trouvèrent face à face. Pour les représentants du gouvernement, ces entretiens furent un choc. Voilà que les ouvriers, traités comme objets par le «pouvoir ouvrier» communiste, sont devenus leurs adversaires.
Face à la menace de l’extension de la grève, les autorités ont décidé d’accepter les revendications: le 30 août les accords furent signés à Szczecin, le 31 août à Gdansk et trois jours plus tard avec les mineurs de Jastrz_bie. L’accord de Gdansk était fondamental vu l’importance des concertations et le rôle futur du centre de Gdansk.
Lech Walesa, au moment du succès,  le 31 août 1980, dit : « Avons-nous  atteint tout ce que nous voulions, tout ce que nous désirons, et ce à quoi nous rêvons ? Non, pas tout mais nous savons tous que nous avons obtenu beaucoup. Le reste, nous l’obtiendrons aussi car nous avons la chose la plus importante : notre syndicat indépendant, autogéré».
Ce fut la première brèche institutionnelle ouverte dans le bloc communiste. Le système qui semblait inébranlable fut mis en cause.
Un syndicat national
Dès le début de septembre 1980, dans tout le pays, les MKS respectifs se sont transformés en Comités inter-entreprise fondateurs des syndicats libres. Par la suite, on créa des comités,  aussi là où les accords n’étaient pas signés. Les accords d’août sont devenus, à partir de 11 septembre, le fondement pour la création de nouveaux syndicats dans l’ensemble du pays.
Le 17 septembre, à Gdansk, au congrès des représentants de plus de 20 Comités inter-entreprise, la décision fut prise de fonder une organisation unique à portée nationale : le Syndicat indépendant  et autogéré  «Solidarnosc» , et le nombre déclaré d’adhérents était déjà à l’époque  3 millions de personnes. La Commission nationale d’entente fut constituée sous la présidence de Lech Walesa.
Les sentiments sociaux devenaient de plus en plus radicaux. Le pouvoir ne cessait de provoquer de nouveaux conflits. L’une des plus graves provocations eut lieu à Bydgoszcz où, en mars 1981, les militants syndicalistes, dont entre autres Jan Rulewski, furent sérieusement malmenés par la milice. Prenant leur défense, le Syndicat tout entier organisa solidairement une grève d’avertissement de quatre heures et au fait tout le pays fut immobilisé – ce fut une manifestation de la grande force de «Solidarnosc».
La contre-révolution -
 le pouvoir contre la société
La création d’une grande organisation sociale indépendante, telle que « Solidarnosc », fut tout à fait contraire à la nature même du régime communiste. Les tendances à restituer le monopole du pouvoir dominaient au sein de la direction du POUP qui subissait des pressions des autres régimes des pays communistes voisins et craignait la menace de l’intervention soviétique.
Les plans d’affaiblir ou de diviser «Solidarnosc» se sont avérés dans les années 1980–81 peu réalistes. Ils avaient donc comme alternative la préparation de l’état de siège ce que l’on faisait en secret presque dès le jour de la signature des Accords d’août, à partir de septembre 1980.
 Le 8 décembre 1980, les forces armées du Pacte de Varsovie étaient prêtes à intervenir en Pologne. La décision de renoncer à cette action fut prise à la dernière minute, considérant que le moment  n’était pas propice pour procéder à une attaque. Plus tard, les Soviétiques menaçaient souvent d’intervenir. Au cours de l’année 1981, les Soviétiques constataient de plus en plus clairement qu’ils ne voulaient pas intervenir en Pologne, que l’ordre devait être instauré par les camarades polonais eux-mêmes.
L’Union soviétique admettant l’existence de la Pologne de «Solidarnosc » perdait la force de  puissance globale. Mais en Pologne ni la société ni le pouvoir agissant au nom de cette puissance ne le savaient pas.

*Centre KARTA, Varsovie
Dans notre édition du
lundi 25 mai 2009 :
II – La fin de « Yalta »


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