Sara El Kabir : Le confinement n'est pas vécu de la même manière par tous

Pour la psychologue et sexologue clinicienne, la mise en quarantaine est à la fois une protection physique mais aussi une agression psychique dont le degré est variable suivant les cas


Vendredi 17 Avril 2020

Le confinement, un mode de vie qui a radicalement changé les habitudes de millions de personnes à travers le monde, est vu aujourd'hui comme étant une véritable source de frustration par certains confinés.
La psychologue et sexologue clinicienne Sara El Kabir livre, dans un entretien accordé à la MAP, sa réflexion sur les effets psychologiques du confinement sur la santé mentale des personnes confinées.


Selon vous, comment le confinement peut-il impacter la santé mentale des personnes confinées?
Le confinement, dans le cas précis de la crise du Covid 19, consiste à isoler les familles et les individus pour les mettre à l'abri des personnes contaminées et éviter la propagation de l'infection. Il s’agit donc de procédures visant à limiter la liberté de circulation et de contact et à enfermer la population dans son domicile ou à l’hôpital. Et comme il s’agit de mesures exceptionnelles et non habituelles, elles ne manqueront pas d’effets négatifs et même néfastes pour certains cas fragiles et en particulier ceux et celles qui ont des antécédents psychopathologiques. Aussi, ces effets sont gérables et dépassables suivant les cas, les conditions et les capacités de résilience de chaque personne.
A court terme, le confinement est une protection physique mais aussi une agression psychique dont le degré est variable suivant les cas. Certaines personnes possèdent des facteurs de protection, par exemple un réseau d'amitié et un niveau intellectuel, et vont probablement profiter du confinement pour améliorer les rapports familiaux et pour prendre contact avec des amis, des collègues et des proches et sortiront de ce confinement avec une santé plus consolidée.
Au contraire, ceux et celles qui ont gardé pendant leur parcours de vie des facteurs de vulnérabilité, par exemple des blessures, des maladies et des traumatismes et qui ont laissé dans leurs mémoires une trace de vulnérabilité, certes ce confinement va réveiller et engendrer des moments de mémoire douloureux.
Souvent les personnes qui montrent une résilience à garder leur équilibre psychique et mental se basent sur des mécanismes de défense automatique qui s'activent en réaction contre les dangers et les tensions imprévues. Mais une fois ces mécanismes sont défaillants ou insuffisants, cela nécessite l’intervention des spécialistes de la santé mentale.

Quelles sont, selon vous, les répercussions du confinement sur le psychisme des personnes confinées ?
Il est tout à fait normal, dans le contexte actuel du confinement qui crée un environnement particulier, d'avoir peur de l’imprévu et de développer une sorte de stress positif. Mais une fois exagérée ou systématique, la peur peut développer un excès de stress ou un stress permanent s’il n’est pas traité et pris en charge.
A un stade de sa croissance, le stress devient anxiété qui regroupe diverses catégories de troubles pathologiques. Il peut s’agir d'un trouble anxieux généralisé "TAG", d'un trouble panique, d'un trouble anxiété sociale, d'un trouble obsessionnel compulsif, et d'un état de stress post-traumatique, qui est une forme d’anxiété généralisée qui persiste dans le temps, puis il y a le stade supérieur ou le plus grave qui n’est pas autre chose que la dépression.
En effet, le confinement n'est pas vécu de la même manière par toutes les personnes. Il dépend de plusieurs éléments qui sont propres à chacun. Tout d’abord l’aspect contextuel (l’environnement): où on est confiné ?: à l’hôpital ou à sa résidence ? ou chez un proche ?, la taille ou la superficie du lieu de résidence , avec ou sans accès à un espace extérieur (jardin, balcon) ? sa localisation...
Ensuite, l’entourage relationnel: avec qui sommes-nous confinés ? seul(e), en famille, avec un(e) partenaire (e), des enfants, des personnes âgées ... ? leur nombre en rapport avec la superficie des zones d’incubation ?
Et enfin, les caractéristiques individuelles et personnelles : Qui sommes-nous ? Quel est notre état psychologique et physique ? Avons-nous des antécédents de troubles psychopathologiques ? Quelle est notre capacité d’adaptation ? Sommes-nous des personnes à haut risque à la contamination ?...

Quel est votre conseil aux personnes qui en souffrent pour mieux vivre ce confinement ?

Plusieurs scénarios sont envisageables pour limiter les aboutissements négatifs sur le psychique des confinés. Mais je mets l'accent sur certains pour développer la résilience:
* Il est fondamental de soulever la légitimité de la peur que nous vivons actuellement au vu du danger réel généré par le risque de contamination. "N’ayons pas peur de la peur".
* Etre conscient et convaincu du danger de contamination qui ne peut parvenir que de l’extérieur et du contact des autres, et par conséquent être satisfait du confinement et de la prise en charge par soi-même.
* Créer un environnement sain au sein du domicile qui évite les conflits, les critiques et les autocritiques, à travers la communication et l’écoute active et bienveillante.
* Ne pas s’attacher toute la journée aux informations relatives au Coronavirus, et essayer beaucoup plus de se tenir à autres domaines comme la lecture, regarder des films amusants, faire du sport, cuisiner, faire le ménage, écouter de la musique...
* Les conjoints sont tenus de garder le sourire et de se respecter mutuellement et d’éviter toutes les causes de la violence. Celle-ci aggrave les troubles et les maladies psychiques des partenaires, de leurs enfants et de tous ceux et celles qui vivent avec eux.
Le confinement a certes des effets négatifs sur l'état psychique des confinés, mais la prise de conscience de l’importance du principe selon lequel "il vaut mieux prévenir que de guérir" peut éviter les effets défavorables sur la santé mentale au même titre que la santé physique. Il faut également avoir à l’esprit que chaque personne dispose des ressources psychologiques nécessaires pour faire face aux aléas de la vie qu’il ne faut pas sous- estimer.
Enfin et en tant que psychologue, j’invite mes collègues à se mobiliser et à se porter volontaires pour prendre en charge tous ceux et celles qui présentent des souffrances psychiques dues au confinement. J’appelle aussi tous les citoyens et toutes les citoyennes à encourager et soutenir l’ensemble du personnel relevant du secteur de la santé qui est sur le front de la guerre contre la propagation du coronavirus et en contact direct avec les personnes contaminées et dont l’objectif est de nous protéger.


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