Samira Fafi-Kremer, spécialiste en virologie et professeur des universités

L’immunité contre le SARS-CoV-2 serait différente entre les hommes et les femmes


Le Maroc est parmi les premiers pays à anticiper la préparation d’une campagne à grande échelle afin d’assurer une vaccination dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions à tous les citoyens. Dans l’entretien qui suit, Samira Fafi-Kremer, spécialiste en virologie, professeur des Universités–praticien hospitalier (PU-PH), Faculté de médecine, Université de Strasbourg et hôpitaux universitaires de Strasbourg, coordinatrice de la Plateforme de recherche médicale translationnelle, Inserm U1109, Université de Strasbourg, revient sur plusieurs points ayant trait à la pandémie du nouveau coronavirus.

Libé
Dimanche 13 Décembre 2020

Libé : Vous avez publié depuis quelques jours les résultats d’une étude avec l’Institut Pasteur, sur la durée de la réponse immunitaire neutralisante chez les hommes et les femmes. Que pouvez-vous nous dire sur les résultats de cette étude?
Samira Fafi-Kremer :
Dans le cadre d’une étude (SEROCoV-HUS) initiée en avril 2020, nous avons suivi 308 membres des personnels hospitaliers qui ont développé des formes légères de la Covid-19 ne nécessitant pas de prise en charge hospitalière. Les premières analyses ont révélé que les hommes de plus de 50 ans, et/ou ceux ayant un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 25, présentent des niveaux d’anticorps élevés à un mois après le début des symptômes, par rapport au reste des individus testés.

Le suivi de l’ensemble de la cohorte a montré que 84% des individus ont des anticorps protecteurs détectables jusqu’à 6 mois après le début des symptômes. De manière intéressante, nous avons observé que le taux de ces anticorps baisse plus rapidement chez les hommes que chez les femmes, 32% des femmes ont gardé un taux d’anticorps inchangé pendant le suivi contre seulement 8% des hommes. Ces résultats suggèrent que la durée de la protection après l’infection par le SARS-CoV-2 serait différente chez les femmes et les hommes. Il faudra néanmoins vérifier si cette différence persiste à long terme. Pour cela, notre étude continue sur un plus grand nombre d’individus avec un suivi qui s’étale jusqu’au mois de juillet prochain.

Plusieurs études ont montré que les manifestations de la Covid-19 sont plus sévères chez les hommes que chez les femmes. Les femmes résistent mieux au virus que les hommes selon les résultats de votre étude?
Effectivement, le sexe masculin fait partie des facteurs de risque exposant à une Covid-19 sévère. D’après les données de la littérature et les récents rapports de l’ECDC, la mortalité liée à la COVID-19 est plus fréquente chez les hommes et cela indépendamment des facteurs sociaux et économiques. Plusieurs hypothèses biologiques pourraient expliquer cette différence observée à la fois sur la sévérité des symptômes et la réponse immunitaire. Avant la Covid-19, plusieurs études ont montré que les femmes ont une réponse immunitaire plus forte que celle des hommes qui les protégerait mieux contre les infections, y compris les infections virales. Cela est probablement lié au fait que la majorité des gènes impliqués dans la réponse immunitaire sont situés sur le chromosome X (il y en a 2 chez la femme contre un seul chez l’homme). De plus les hormones sexuelles joueraient un rôle dans l’induction de l’inflammation contre un agent pathogène.

Enfin, le récepteur ACE2 que le virus SARS-CoV-2 utilise pour envahir les cellules, est codé par un gène situé également sur le chromosome X, est-ce que cela peut contribuer à la différence observée entre homme et femme comme l’ont suggéré certains chercheurs? Des études supplémentaires sont nécessaires pour explorer cette voie.

Travaillez-vous sur d’autres études pour faire face à la Covid-19?
Plusieurs études ont été mises en place au CHU de Strasbourg sur ce sujet depuis le début de la crise en mars dernier et cela concerne plusieurs aspects de la maladie. Il y a notamment les études sur le diagnostic et la prise en charge des lésions cérébrales qui vont de l’anosmie jusqu’à l’accident vasculaire cérébral en passant par les encéphalites ainsi que d’autres atteintes de gravité variable. Un consortium international sur ce sujet est d’ailleurs piloté par le Pr Stéphane Kremer, neuroradiologue au CHU de Strasbourg. Nous avons également initié une étude sur les longs Covid en collaboration avec l’équipe du Pr Jean Sibilia, immuno-rhumatologue et doyen de la Faculté de médecine de Strasbourg. L’objectif de cette étude est de réaliser, chez les patients souffrant de symptômes chroniques post-Covid-19, une exploration systématique clinique, virologique et immunologique ainsi que de la composante psychologique chez ces patients dont la qualité de vie est fortement atteinte par la maladie.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation sanitaire en France? Est-ce qu‘on est sur la bonne voie ou y aura-t-il une troisième vague?
Est-ce qu’on est sur la bonne voie? Moi, je dirai que oui heureusement, même si le confinement n’a été que partiel, le fait qu’il ait été mis en place au bon moment basé sur les préconisations des scientifiques, fait que les résultats sont là : le nombre d’hospitalisations commence à baisser à Strasbourg mais aussi dans toute la France. On a franchi le pic la semaine dernière, et de manière globale les chiffres montrent qu’on est sur la pente descendante, c’est vraiment réjouissant.
Est-ce qu’il y aura une autre vague? Sur cette question, je n’ai pas de réponse. Je laisse cela aux épidémiologistes dont c’est le métier et dont les prédictions se sont avérées jusque-là très justes.

Est-ce qu’on va arriver bientôt à la phase de vaccination? Avez-vous des dates ?
Actuellement il y a au moins 13 vaccins en étude de phase III (dernière phase avant la production et la distribution à grande échelle). Les résultats intermédiaires de certains d’entre eux ont montré une efficacité supérieure à 90%, ce qui est très prometteur. Les rapports complets de ces études ont été soumis très récemment aux instances, signe que les vaccins seront probablement disponibles dans les semaines qui viennent. Néanmoins, il faudra relever le défi de la logistique qui s’annonce d’une complexité exceptionnelle. En effet, il s’agit de transporter et stocker en sécurité des millions de doses de vaccins et d’organiser l’information et la vaccination de plusieurs millions de personnes en un temps réduit pour tenter d’endiguer la circulation du virus. Tout cela ne s’improvise pas, d’où la course après la montre de tous les pays.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation sanitaire au Maroc?
Comme d’autres pays dans le monde, le Maroc a dû faire face à la 2ème vague qui s’avère difficile à contenir. Cette situation qui perdure comme partout dans le monde a malheureusement un fort impact aussi bien sur la vie sociale que sur la vie économique du pays. La bonne nouvelle dont on est très fiers ici à l’étranger, est l’arrivée imminente de la vaccination, le seul moyen d’atteindre l’immunité collective nécessaire pour stopper la circulation du virus et ainsi permettre un retour progressif vers une vie normale.
En effet, sous l’égide de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, le Maroc est parmi les premiers pays à anticiper la préparation d’une campagne à grande échelle afin d’assurer une vaccination dans les meilleurs délais et dans les meilleures conditions à tous les citoyens.

Paris-Propos recueillis par Youssef Lahlal


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