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Pour Samira Bikarden, présidente de l'ADFM de Rabat et
coordinatrice de la
Coalition «Printemps de la dignité», il s’agit avant tout de recadrer le débat autour de la redevabilité du
gouvernement par
rapport à ses
engagements envers
les citoyens et
citoyennes et envers
la communauté
internationale en
matière d’égalité des chances.
Entretien
Libé: Ne trouvez-vous pas que la déclaration du chef du gouvernement est truffée de contradictions? Au moment où il évoque l'élaboration d'un projet de loi pour l'adoption de l'Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination, il clame haut et fort que la place de la femme est dans son foyer. N'est-ce pas de la schizophrénie?
Samira Bikarden : Les contradictions elles-mêmes sont logiques et répondent à un besoin d’instrumentalisation de la question des femmes à différents niveaux. Au niveau constitutionnel, le gouvernement doit mettre en œuvre la Constitution qui stipule dans son article 19 que «l’homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental,(….) , que l’Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes» et qu’«il est créé, à cet effet, une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination». Mais comme l’APALD en tant que mécanisme l’engage «en principe» par rapport à l’égalité et à la parité, le gouvernement Benkirane va constamment reporter l’échéance de sa mise en œuvre. Cela facilite les réformes législatives qui continuent à discriminer les femmes en l’absence de ce mécanisme de surveillance. Au niveau financier, M. Benkirane veut continuer à bénéficier de l’appui financier international, en matière de soutien à l’égalité des sexes mais sans pour autant avoir une réelle volonté politique d’avancer dans ce domaine. Des fonds ont été octroyés au gouvernement pour la mise en œuvre du «plan gouvernemental de l’égalité en perspective de la parité 2012-2016», baptisé «Ikram». Et qui est une version caritative d’une « stratégie gouvernementale pour l’égalité » élaborée par le gouvernement Abbas El Fassi bien avant l’arrivée du gouvernement Benkirane qui l’a rebaptisée et vidée de son sens pour avoir l’argent sans pour autant l’utiliser pour réaliser les objectifs escomptés. Au niveau électoral, Benkirane veut donner l’impression que le choix de son gouvernement est de traiter la situation de la femme sous un angle plutôt familial. Il affirme que les femmes ont un rôle plus important à jouer dans leurs foyers pour l’éducation des enfants tout en faisant croire qu’il y a un choix à faire entre la famille et la vie active des femmes. De quel Maroc parle-t-il? De celui que nous connaissons, qui est en proie à une crise du pouvoir d’achat et où une écrasante majorité de femmes galèrent pour subvenir aux besoins de leurs familles? Ou bien, de ce Maroc où les comptes de l’Etat sont en difficulté, et où les chômeurs et chômeuses peuplent les rues, ou d’un Maroc qui n’existe que dans les propos d’un chef de gouvernement conservateur qui aimerait que l’on se prive de la moitié de la force vive du pays? Nous sentons très fort une odeur de campagne anticipée derrière ces propos Il n’y a donc pas de schizophrénie. Ces sorties publiques de Benkirane, avec pour trame de fond, un projet de société alternatif pjidiste qu’il souhaiterait mettre en place et qui fait table rase de toutes ces années de lutte et de travail qui ont permis aux femmes du Maroc d’en arriver à la situation actuelle où, certes, beaucoup reste à faire, mais qui nous distingue quand même de la société wahhabite à laquelle le PJD aspire.
A travers de telles affirmations, n'est-il pas en train de jouer le jeu des conservateurs et ne tente-t-il pas de les séduire à des fins électorales ?
En effet, avec l’approche des élections, le discours de lutte contre la corruption, -tant promise- semble de plus en plus céder la place à un discours sur les mœurs, la famille, la débauche. Et bien sûr dans tout cela, la femme est une cible privilégiée vu qu’elle est accussée d’être la cause de tous les maux.
Ces atteintes du chef du gouvernement ne sont pas seulement des fautes causées par sa prétendue spontanéité, mais elles ont un caractère répétitif (pour rappel, il avait déjà dit auparavant, dans un autre contexte qu’il n’allait pas tirer la femme par les cheveux pour la faire entrer au gouvernement). Elles correspondent à une tactique idéologique élaborée qu’il pratique, systématiquement et délibérément, dans le but d'approfondir la fracture verticale de la société et satisfaire les courants salafistes et conservateurs et quémander leurs votes aux prochaines élections. Par ailleurs, ses promesses improvisées, telles que la prolongation du congé de maternité ou l’octroi de subventions aux femmes démunies, et dont la plupart font l’objet de revendications du mouvement féministe, doivent être comprises dans le même sens : des annonces à caractère électoral qui alimentent une campagne anticipée du PJD.
Concrètement, que comptez-vous entreprendre pour contrer les agissements de l'Exécutif qui ne fait d’ailleurs que temporiser ?
Sans entrer dans des détails qui seront annoncés en temps voulu, nous pouvons préciser quelques angles d’attaque. Ainsi à travers le débat public et face au populisme de Benkirane, nous comptons ouvrir un débat réel autour de la question des femmes. Un séminaire national sera organisé dans ce sens dans les plus brefs délais. Il s’agira de recadrer le débat autour de la redevabilité du gouvernement par rapport à ses engagements envers les citoyens et citoyennes et envers la communauté internationale en matière d’égalité de chances. Nous comptons interpeller les parlementaires et les autres composantes de la majorité, à exprimer explicitement et publiquement leur position par rapport aux propos du chef du gouvernement sous la Coupole du Parlement. Par ailleurs, les déclarations de Benkirane feront l’objet de lettres et de rapports parallèles aux rapports gouvernementaux à qui de droit. Et puis, nous appelons à une marche le 10 octobre, Journée nationale de la femme marocaine et nous prévoyons dans ce sens la participation d’un million de femmes de toutes les tranches d’âge et de toutes les catégories sociales qui seront là pour dire que, les droits des femmes ne sont pas négociables.