Régionaliser le Maroc


Par Yossef Ben-Meir Sociologue
Lundi 24 Janvier 2011

Le Royaume du Maroc prévoit de régionaliser, c’est-à-dire transférer les responsabilités, les capacités (administratives et financières) et les compétences de la capitale Rabat aux niveaux sous-nationaux. Dans les systèmes régionalisés (ou systèmes décentralisés), toutes les phases des projets de développement ─ de la conception à l’évaluation ─ interviennent au plus près des bénéficiaires ou sont développées par les bénéficiaires eux-mêmes. Les projets d’éducation, de création d’emplois et de santé par exemple visent à répondre directement aux besoins décrits par les populations locales, ces dernières contrôlant démocratiquement leurs propres affaires.
Quelles sont les lignes directrices de la feuille de route marocaine de la régionalisation ? Extrait des déclarations publiques du Roi Mohammed VI depuis 2007, le projet présente un système qui intègre trois modalités distinctes de décentralisation. Il comprend : 1) la “dévolution” ou transfert du pouvoir aux niveaux inférieurs au sein des ministères ; 2) la “déconcentration” où les institutions civiles, publiques et privées sous-nationales œuvrent ensemble tandis que le niveau national contribue sur le plan financier ou par le savoir-faire ; et 3) la délégation ou “approche participative” pour que, comme l’explique le Souverain, “le citoyen soit le moteur et la finalité même de toutes [Nos] initiatives” ─ discours du 30 juillet 2009  ─ (elle est également “adoptée… pour la gestion des questions majeures de la Nation.” ─ discours du 6 novembre 2008. Les approches participatives incluent les activités de collecte de l’information qui engagent des communautés entières dans le dialogue tandis qu’elles mènent leurs propres analyses pour l’élaboration de plans d’action de projets reflétant leurs priorités.
La conjugaison de ces trois modalités constitue une feuille de route formulée pour donner une impulsion au développement à assise communautaire, facilité par le partenariat gouvernement local, société civile et secteur privé et l’appui du niveau national. Le modèle fonctionne pour mobiliser les ressources nationales en faveur de projets gérés localement et identifiés à travers des processus démocratiques de participation. Il est clair que la feuille de route nécessite la participation directe des populations aux décisions pour leur permettre de s’approprier les projets et un enjeu dans le nouveau système. Sans cela, il est très improbable qu’une régionalisation durable puisse être réalisée au Sahara ou ailleurs.
Toutefois, le degré de réussite de la régionalisation marocaine dépendra largement du niveau sous-national qui sera le plus grand bénéficiaire du transfert du pouvoir de Rabat pour planifier les projets, approuver les budgets et mettre les compétences au service de la mise en œuvre du développement et du changement. Au Maroc, le niveau sous-national le mieux positionné et en mesure de créer une participation à base plus élargie est le niveau communal – le niveau administratif le plus local. Le royaume comprend environ 1.500 communes, chacune dotée d’une assemblée d’élus. La Charte communale exige déjà la participation communautaire à la création de plans de développement qui sont adressés aux Ministères de l’Intérieur et des Finances. La formation des membres de ces assemblées à l’application des approches participatives et l’octroi de la priorité budgétaire aux projets identifiés par les communautés permettront de mettre en place une régionalisation en mesure de définir des projets alignés sur les propres intérêts de la population. Ultérieurement, il serait toujours possible le cas échéant de recentraliser certaines responsabilités de gestion des communes à un niveau sous-national plus élevé si des problèmes de coordination émergeaient par exemple.
Au fur et à mesure que le Maroc définit plus expressément sa régionalisation, il semble plutôt probable que les niveaux provinciaux et régionaux seront les principaux centres de pouvoir décisionnel. Cependant, le Maroc envisage d’accroître le nombre de ses provinces et régions, ce qui réduirait relativement la population de ces collectivités territoriales, afin de permettre une meilleure réactivité institutionnelle aux populations locales. Un plus grand nombre de provinces et de régions, avec des tailles de population plus modestes, conjugué à des communes habilitées sur le plan opérationnel, instaurerait des conditions optimales pour la régionalisation au Maroc. Toutefois, rien ne saurait remplacer le niveau communal en termes d’opportunités pour faciliter la participation de la population et alimenter les débats autour des frontières des nouvelles entités territoriales (provinces et régions). Par exemple, les populations locales de deux communes adjacentes (Asni et Toubkal) des montagnes du Haut-Atlas expliquent que leur frontière reconnue (qui constitue également la frontière provinciale entre Al Haouz et Taroudant) avait été établie dans le passé lorsque deux personnes ont commencé un jour à avancer l’une vers l’autre à l’aube depuis l’extrémité de chaque commune et leur lieu de rencontre est ainsi devenu leur frontière. Seule l’application concrète des approches participatives avec les communautés locales peut dégager ce genre d’informations vitales pour la planification des collectivités territoriales dans le cadre de la régionalisation du Maroc, ce qui contribuerait à éviter des problèmes majeurs, voire un conflit, qui risqueraient de surgir à l’avenir. Peu importe si l’histoire ci-dessus est historiquement valable, puisque la population locale la croit vraie et qu’en milieu rural, ce sont les frontières qui décident du droit à faire paître les troupeaux, une ressource vivrière pour tant de familles.
Le Royaume du Maroc a misé à juste titre sur la régionalisation pour promouvoir ses intérêts vitaux. Le lien entre la population et le royaume sera renforcé par la régionalisation et le développement humain s‘améliorera sensiblement, une fois le niveau communal consolidé.


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