Réflexion sur la mission de la Commission spéciale sur le modèle de développement


Libé
Mardi 24 Décembre 2019

La Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) a finalement pris ses fonctions. La Commission est originale dans sa mission que dans sa conception. Le Maroc a de quoi se targuer de la création de telle Commission. L’idée de créer une Commission spéciale n’est pas nouvelle, il faut la replacer dans son contexte historique. Elle est le prolongement d’un long processus de réformes économiques et régionales décevant. Pour le président de la CSMD, ce dossier n’est pas nouveau. En tant que ministre de l’Intérieur, il a participé aux grands chantiers de réforme de la décentralisation, puis de la régionalisation avancée, résultat d’un compromis institutionnel dont il connaît bien leurs limites. Certes, la mission est difficile, mais pas impossible. L’on constate bien que la Commission est une idée ancienne, qui a mûri ces dernières décennies pour atteindre aujourd’hui ce niveau de réflexion.Investi d’une nouvelle mission, ce super-ministre a comme objectif de mettre en relief toutes les contraintes internes et externes déterminant le processus de développement. Les enjeux ne sont pas les mêmes, on n’est plus dans les années 1990 ou 2000. Le Maroc aujourd’hui fonctionne sous l’égide d’un Roi dynamique et avec une nouvelle Constitution qui a, d’une part, posé pas mal de problèmes, dans le sens où les institutions actuelles ne sont plus en mesure de suivre le rythme des réformes imposées par la loi fondamentale. D’autre part, les acteurs politiques, notamment les partis politiques qui, pour de nombreuses raisons, ne sont plus enclins à suivre cette évolution. Obnubilés par la quête du pouvoir, ils sont en perte de vitesse par rapport à la réalité du pays.Ils participent de manière directe à ralentir les réformes initiées par le Souverain à l’échelle du pays. Leur inefficacité est caractérisée. Ils sont devenus à ce titre contre-productifs. L’accumulation de ces problèmes structurels tout au long de ces dernières années a conduit le pays à l’impasse. Les politiques poursuivies jusqu’à aujourd’hui, ne sont plus conformes au schéma général de l’évolution du pays. Il faut établir une rupture radicale avec l’ancien modèle, qui selon S.M le Roi Mohammed VI, ne permet plus «de répondre aux demandes et aux besoins croissants des citoyens ni de réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales». Ajoutez à tout cela le taux toujours crissant du chômage touchant particulièrement les jeunes diplômés, la population est au bout du souffle. Les disparités entre les régions, qui ont été d’ailleurs mentionnées dans les différents rapports, n’ont pas disparu complétement et continuent à enfreindre le développement économique. La situation devient ingérable, il est devenu urgent de trouver un nouveau modèle de développement adéquat avec les particularités et la diversité des différentes régions du pays:«Nous aspirons à un modèle de développement authentiquement marocain», a souligné le Souverain. D’où l’idée de recourir à une Commission, formée de courants de pensée, une voie pour sortir de cette crise structurelle. Il convient de préciser que «la notion de développement permet d’intégrer plusieurs niveaux d’analyse». Elle concerne les aspects économiques, politiques et sociaux, sans réaliser de ruptures avec le phénomène des réseaux sociaux et les effets engendrés par les nouvelles technologiques. La composition de cette Commission nous donne déjà une idée sur sa mission. Elle renvoie à plusieurs dimensions (juridiques, technologiques, etc). Sa préoccupation ne relèvera pas uniquement «d’une convergence macro-économique, de ce qu’on appelle l’inégal développement régional», mais «tout aussi fondamentalement d’une cohérence sociétale».Il ne s’agit pas non plus de prévaloir un domaine sur un autre. C’est la convergence d’ajustements multiples qui fait que l’on peut parler de modèle de développement. Le scénario de plusieurs modèles de développement n’est pas à écarter. On peut bien songer à deux ou trois modèles par exemple, tenant compte des problématiques régionales et sectorielles. Le cadre juridique préétabli par la loisur la régionalisation avancée ne constitue donc pas systématiquement le point de départ du travail de la Commission. Le bon sens exige que celle-ci ne procédera ainsi que si une région donnée réunit l’ensemble des conditions et offre des garanties de réussite d’un certain modèle de développement. Et c’est précisément cette généralisation des normes à toutes les villes et à toutes les régions qui était l’origine du fiasco économique et de la défiance politique. La mission de la Commission est à notre avis plus technique qu’autre chose. Dans l’attente des résultats des travaux de la CSMD, on ne peut exclure une nouvelle révision de la loi sur la régionalisation. Bien que la mission de la CSMD est de ne pasfaire bouger lesfrontières entre les différentes régions existantes actuellement (l’expression CSMD peut raisonner comme étant une Commission à vocation administrative). On ignore ce qu’adviendra de ces anciennes régions ou comment sera articulé le nouvel équilibre régional ? Peu importe la méthode, l’essentiel est le résultat. Tant attendu, la Commission n’a cependant pas droit à l’erreur. Elle est tenue à une obligation de résultat. Au-delà de ces scénarios prévisionnels, retenons une problématique centrale comment intégrer le facteur humain dans ces politiques de développement ? Si l’on veut poser autrement cette question, il convient de s’interroger sur le rôle de la société civile pour la réussite du prochain modèle de développement. Sans oublier que le principe de la participation politique est le fondement même de la démocratie. Le rôle de la société civile est à cet égard décisif. L’un des points faibles des politiques gouvernementales, du moins depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution est l’absence de la société civile du pouvoir décisionnel. La société civile dans sa grande variété devait impérativement prendre conscience de son rôle pour y participer à définir les grands choix nationaux. Il faut, par ailleurs, une société civile expérimentée et aguerrie pour ce genre de missions. Le modèle de développement ne peut se penser en dehors de cette vision globale. Tout dépendra du sens qu’on donnera à cette participation. Ainsi, le premier acte de la Commission est de ne pas reconnaître que tous les membres du corps social sont concernés par cette question du développement. Mais d’indiquer avec précision et concrètement le rôle assigné à ce corps social et les moyens mis à sa disposition pour rendre cette participation effective. Toute ambigüité sur ce point risque de poser un sérieux problème pour la mise en œuvre de certaines réformes. En France par exemple, la démocratie participative versus budget participatif est connue et comprise. Comment peut-on traduire cette réalité politique sur le sol marocain ? Les présidents de régions sont-ils en mesure de tenter des expériences et inviter les citoyens ordinaires à l’exercice démocratique ? A défaut de cette volonté, il serait difficile de mettre en relation deux catégories sociales qui ne sont pas sur le même plan. Cette vision fréquente n’est pas fallacieuse, elle est au cœur du modèle de développement. On connaît tous les dégâts et les inconvénients qu’avait engendrés cette classe politique : abstentionnisme, défiance politique, développement de l’islamisme radical, etc. De ce point de vue, on touche à quelque chose d’essentiel qui fixe le sens du travail de cette Commission.
Par Chihab HIMEUR 
Docteur en Sciences politiques 
Secrétaire général du centre d’arbitrage CEARFI
Avocat au Barreau de Paris


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