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L'annonce récente par le ministère de la Santé et de la Protection sociale du lancement de l'élaboration d'une stratégie nationale pour la santé mentale et psychique marque une étape importante pour le Maroc. Cette initiative, rapportée notamment par Le Matin, intervient dans un contexte où les besoins en santé mentale sont criants et où le système actuel est confronté à des défis structurels majeurs. Ce rapport vise à dresser un constat de la situation actuelle, à analyser la stratégie gouvernementale annoncée et à proposer des recommandations constructives et prospectives.
Constat de la santé mentale actuelle au Maroc
La situation de la santé mentale au Maroc est préoccupante et caractérisée par plusieurs défis majeurs :
Prévalence élevée et besoins importants : Bien que les chiffres varient, des rapports antérieurs et des constats généraux indiquent une charge significative de troubles mentaux affectant une large part de la population. Les besoins en matière de soins et de prévention sont considérables.
Déficit critique en ressources humaines : Le pays souffre d'une pénurie sévère de professionnels spécialisés. En 2025, on compte environ 3.230 professionnels dédiés, incluant environ 319 psychiatres publics, 274 privés, 62 pédopsychiatres publics et 14 privés, ainsi que 1.700 infirmiers spécialisés dans le public. Le ratio de psychiatres (estimé autour de 1 pour 100.000 habitants) est très inférieur aux recommandations internationales.
Infrastructures insuffisantes et inégalement réparties : Les capacités litières en psychiatrie (estimées à environ 2.260 lits) sont insuffisantes et concentrées géographiquement, laissant de vastes territoires sous-desservis. L'intégration des soins de santé mentale dans les soins primaires est limitée, et le suivi post-hospitalisation est souvent déficient, menant à des taux élevés de réadmission.
Cadre législatif obsolète et gouvernance fragmentée : La législation actuelle est jugée dépassée et inadaptée. La gouvernance manque de coordination entre les différents acteurs, nuisant à la mise en place d'un parcours de soins intégré.
Sous-financement chronique et stigmatisation : Le secteur manque de ressources financières adéquates, et la stigmatisation associée aux troubles mentaux reste un obstacle majeur à la recherche d'aide et à l'intégration sociale des patients.
Stratégie gouvernementale annoncée
Face à ce constat, le gouvernement marocain a annoncé une stratégie nationale visant une réforme à l'horizon 2030. Les axes principaux incluent :
Réforme juridique et réglementaire: Révision du cadre législatif pour moderniser les pratiques et garantir les droits des patients.
Développement de protocoles thérapeutiques : Standardisation des approches pour les troubles prioritaires.
Renforcement (modeste) des ressources humaines : Création de 123 postes budgétaires (psychiatres et infirmiers spécialisés) pour 2024-2025, augmentation des places de formation, et mise en œuvre d’une convention-cadre pour la formation et la recherche.
Restructuration de l'offre de soins :
Généralisation des services intégrés dans les hôpitaux publics, développement des consultations externes, mise en place d'équipes mobiles de crise et renforcement des services de réhabilitation psychosociale.
Rétroaction constructive et recommandations approfondies
L'initiative stratégique est louable et nécessaire. Pour maximiser son impact et assurer sa pérennité, les recommandations suivantes sont à considérer fortement :
Vision à long terme et gouvernance adaptative : Accélérer la réforme légale et instaurer des mécanismes de révision périodique.
Renforcer et pérenniser une gouvernance multisectorielle dotée de moyens et d'indicateurs clairs.
Investissement massif et diversifié dans les ressources humaines : Aller au-delà des 123 postes annoncés via un plan pluriannuel ambitieux de formation et recrutement incluant psychiatres, pédopsychiatres, psychologues cliniciens, psychothérapeutes, et infirmiers spécialisés.
Mettre en place des incitations fortes et durables pour une répartition équitable des professionnels sur le territoire.
Investir dans la formation continue interprofessionnelle axée sur les approches modernes.
Elargissement et modernisation de l'offre de soins :
Diversifier les approches thérapeutiques : Intégrer et financer activement les interventions psychologiques et psychosociales (psychothérapie, TCC, réhabilitation psychosociale) en complément de la pharmacothérapie.
Développer la santé mentale numérique (Télé-santé mentale) :
▪ Exploiter le potentiel de la télépsychiatrie et de la télépsychologie pour améliorer l'accès, réduire les délais et potentiellement la stigmatisation, surtout dans les zones éloignées.
▪ Encourager l'utilisation encadrée d'applications mobiles validées pour le soutien et l'auto-gestion.
▪ Etablir des lignes directrices claires pour la pratique virtuelle (qualité, éthique, sécurité des données, et consentement).
Renforcer l'intégration : Poursuivre l'intégration dans les soins primaires et généraux, et l'étendre aux milieux scolaire, social et professionnel.
Prévention durable et promotion de la santé mentale positive : Mettre en œuvre des programmes de prévention pérennes en milieu scolaire et professionnel.
Intensifier la lutte contre la stigmatisation publique et l'auto-stigmatisation.
Recherche et évaluation orientées vers l'action : Instaurer un système national de surveillance épidémiologique et de suivi des parcours de soins.
Soutenir la recherche appliquée évaluant l'efficacité des différentes interventions (y compris numériques) dans le contexte marocain.
Mettre en place une évaluation rigoureuse de l'impact de la stratégie pour guider les ajustements.
Conclusion
La stratégie nationale de santé mentale est une opportunité historique de répondre à des besoins urgents. Son succès dépendra d'un engagement politique fort, d’un financement adéquat et soutenu, d’une mise en œuvre rigoureuse intégrant_une diversité d'approches thérapeutiques (incluant les psychologues), et de l'exploitation judicieuse des technologies numériques. Une approche globale, multisectorielle et évaluée en continu est essentielle pour améliorer durablement le bien-être psychique de la population marocaine.
Par Dr. El Mostafa Bouattane, MD, MBA, Canada
Constat de la santé mentale actuelle au Maroc
La situation de la santé mentale au Maroc est préoccupante et caractérisée par plusieurs défis majeurs :
Prévalence élevée et besoins importants : Bien que les chiffres varient, des rapports antérieurs et des constats généraux indiquent une charge significative de troubles mentaux affectant une large part de la population. Les besoins en matière de soins et de prévention sont considérables.
Déficit critique en ressources humaines : Le pays souffre d'une pénurie sévère de professionnels spécialisés. En 2025, on compte environ 3.230 professionnels dédiés, incluant environ 319 psychiatres publics, 274 privés, 62 pédopsychiatres publics et 14 privés, ainsi que 1.700 infirmiers spécialisés dans le public. Le ratio de psychiatres (estimé autour de 1 pour 100.000 habitants) est très inférieur aux recommandations internationales.
Infrastructures insuffisantes et inégalement réparties : Les capacités litières en psychiatrie (estimées à environ 2.260 lits) sont insuffisantes et concentrées géographiquement, laissant de vastes territoires sous-desservis. L'intégration des soins de santé mentale dans les soins primaires est limitée, et le suivi post-hospitalisation est souvent déficient, menant à des taux élevés de réadmission.
Cadre législatif obsolète et gouvernance fragmentée : La législation actuelle est jugée dépassée et inadaptée. La gouvernance manque de coordination entre les différents acteurs, nuisant à la mise en place d'un parcours de soins intégré.
Sous-financement chronique et stigmatisation : Le secteur manque de ressources financières adéquates, et la stigmatisation associée aux troubles mentaux reste un obstacle majeur à la recherche d'aide et à l'intégration sociale des patients.
Stratégie gouvernementale annoncée
Face à ce constat, le gouvernement marocain a annoncé une stratégie nationale visant une réforme à l'horizon 2030. Les axes principaux incluent :
Réforme juridique et réglementaire: Révision du cadre législatif pour moderniser les pratiques et garantir les droits des patients.
Développement de protocoles thérapeutiques : Standardisation des approches pour les troubles prioritaires.
Renforcement (modeste) des ressources humaines : Création de 123 postes budgétaires (psychiatres et infirmiers spécialisés) pour 2024-2025, augmentation des places de formation, et mise en œuvre d’une convention-cadre pour la formation et la recherche.
Restructuration de l'offre de soins :
Généralisation des services intégrés dans les hôpitaux publics, développement des consultations externes, mise en place d'équipes mobiles de crise et renforcement des services de réhabilitation psychosociale.
Rétroaction constructive et recommandations approfondies
L'initiative stratégique est louable et nécessaire. Pour maximiser son impact et assurer sa pérennité, les recommandations suivantes sont à considérer fortement :
Vision à long terme et gouvernance adaptative : Accélérer la réforme légale et instaurer des mécanismes de révision périodique.
Renforcer et pérenniser une gouvernance multisectorielle dotée de moyens et d'indicateurs clairs.
Investissement massif et diversifié dans les ressources humaines : Aller au-delà des 123 postes annoncés via un plan pluriannuel ambitieux de formation et recrutement incluant psychiatres, pédopsychiatres, psychologues cliniciens, psychothérapeutes, et infirmiers spécialisés.
Mettre en place des incitations fortes et durables pour une répartition équitable des professionnels sur le territoire.
Investir dans la formation continue interprofessionnelle axée sur les approches modernes.
Elargissement et modernisation de l'offre de soins :
Diversifier les approches thérapeutiques : Intégrer et financer activement les interventions psychologiques et psychosociales (psychothérapie, TCC, réhabilitation psychosociale) en complément de la pharmacothérapie.
Développer la santé mentale numérique (Télé-santé mentale) :
▪ Exploiter le potentiel de la télépsychiatrie et de la télépsychologie pour améliorer l'accès, réduire les délais et potentiellement la stigmatisation, surtout dans les zones éloignées.
▪ Encourager l'utilisation encadrée d'applications mobiles validées pour le soutien et l'auto-gestion.
▪ Etablir des lignes directrices claires pour la pratique virtuelle (qualité, éthique, sécurité des données, et consentement).
Renforcer l'intégration : Poursuivre l'intégration dans les soins primaires et généraux, et l'étendre aux milieux scolaire, social et professionnel.
Prévention durable et promotion de la santé mentale positive : Mettre en œuvre des programmes de prévention pérennes en milieu scolaire et professionnel.
Intensifier la lutte contre la stigmatisation publique et l'auto-stigmatisation.
Recherche et évaluation orientées vers l'action : Instaurer un système national de surveillance épidémiologique et de suivi des parcours de soins.
Soutenir la recherche appliquée évaluant l'efficacité des différentes interventions (y compris numériques) dans le contexte marocain.
Mettre en place une évaluation rigoureuse de l'impact de la stratégie pour guider les ajustements.
Conclusion
La stratégie nationale de santé mentale est une opportunité historique de répondre à des besoins urgents. Son succès dépendra d'un engagement politique fort, d’un financement adéquat et soutenu, d’une mise en œuvre rigoureuse intégrant_une diversité d'approches thérapeutiques (incluant les psychologues), et de l'exploitation judicieuse des technologies numériques. Une approche globale, multisectorielle et évaluée en continu est essentielle pour améliorer durablement le bien-être psychique de la population marocaine.
Par Dr. El Mostafa Bouattane, MD, MBA, Canada