Qui veut la peau des défenseurs des droits humains au Maroc ?


Mounir BENSALAH
Mercredi 27 Octobre 2010

Qui veut la peau des défenseurs des droits humains au Maroc ?
Le 1er octobre, l'OMDH a rendu  hommage à trois défenseurs des droits humains dans la région  : Driss Yazami, président de la Fondation euro-méditerranéenne pour les défenseurs des droits humains,  Kamel Jendoubi,  président du Réseau euro-méditerranéen des droits humains et Johannes van der Klaauw, représentant du HCR à Rabat, ayant tous contribué à la solidarité morale et matérielle, pour soutenir les défenseurs des droits humains dans la région. Ce grand évènement  d'hommage devrait se dérouler en présence notamment de Souhair Benlahcen, présidente de la FIDH,  Mokhtar Etterifi, président de la Ligue tunisienne des droits humains, Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits humains,  Bahi Dine Hassane, directeur du Centre du Caire des études des droits humains, Raji Sourani, président du Centre palestinien pour les droits humains, et de plusieurs défenseurs des droits humains. Les préparatifs et les démarches administratives ont commencé,  un mois auparavant, mais les autorités marocaines ont souhaité gâcher cet évènement en interdisant à Kamel Jendoubi de rentrer sur le territoire marocain, sans motif !
Kamel Jendoubi était au Maroc en tant que président du Réseau euro-med des ONG des droits humains en juillet dernier. Il était aussi au Royaume pour les négociations du Statut avancé Maroc-UE. En grand ami du Maroc, qu'il considérait comme sa seconde patrie (Tunisien naturalisé français), son refoulement nuit gravement à l'image du Maroc, pays qui essaie de tourner la page du passé. Il semblerait que les autorités marocaines ont agi ainsi sous la pression  des autorités tunisiennes pour lesquelles Jendoubi est un grand opposant, expulsé depuis 2000 et privé de passeport. Les autorités françaises se sont tues également sur cette affaire. Ainsi une quarantaine d'ONG ont-elles signé un communiqué commun dénonçant cette interdiction. La présidente de l'OMDH a annoncé qu'au 1er octobre de chaque année, sera célébrée la Journée nationale des défenseurs des droits humains en commémoration de ce triste jour où est attaqué tout défenseur DDH dans la région.
Si l'OMDH dérange, c'est aussi parce que depuis son dernier congrès, l'ONG met en place des mécanismes pour la lutte contre l'impunité. Dernier exemple en date, l'OMDH mènera avec plusieurs ONG (AMDH, LMDH, FMVJ) une marche nationale dimanche prochain pour, entre autres, inciter les autorités marocaines à activer l'application des recommandations de l'IER, précédée d'un sit-in symbolique le vendredi 29 octobre pour demander à faire lumière sur les célèbres affaires : Ben Barka, Manouzi, Rouissi, …. Justement, cette ONG commence à agacer. A chacune de ses actions depuis son congrès, elle traîne avec elle la signature du collectif dont elle est chef de file : mécanisme pour lutter contre la torture (une dizaine d'ONG), 2ème symposium des droits humains (le premier a abouti entre autres à l'installation de l'IER, le 30 août, AMDH, FMVJ, … ont demandé à l'OMDH de re-présider le collectif), action Ould Salma (15 ONG), révocation par le ministre de la Justice de 2 juges au conseil supérieur de la magistrature (10 ONG ont dénoncé l'ingérence du gouvernement dans les affaires d'une institution constitutionnelle, la justice, ce qui affecte son indépendance!) …. Cela commence certainement à agacer certains centres de  pouvoir. Sur d'autres affaires, le dérangement semble avoir atteint son paroxysme : Affaire Fodail Aberkane, l'ONG se place en partie civile ; affaire des 6 détenus " ayant des opinions politiques " du groupe Beliraj, l'OMDH a fait une première au Maroc en publiant des commentaires sur un jugement, exhibant ses failles ; … Rappelons les propos de la présidente de l'OMDH lors du dernier congrès : " Il y a une crise de gestion de la problématique des droits de l'Homme … Nous ne sommes pas dans une étape de recul mais dans une phase où nous n'avons pas une stratégie, une vision pour renforcer ce processus … Cependant, […] nous ressentons que ces réalisations restent fragiles et sont marquées par une crise réelle matérialisée par une triple absence : celle d'un interlocuteur gouvernemental en matière de droits humains, celle de mécanismes nationaux efficaces en matière de médiation dans les droits humains, et celle d'une stratégie intégrée et harmonisée dans la mise en œuvre des recommandations de l'IER ".
La transition paraîtra claire ensuite, lors de l'affaire de Laksar (communément connue par l'affaire de " mariage d'homosexuels ") où le journaliste Niny (désolé, encore une fois je vais parler de lui après mes précédents billets), n'avait pas fait preuve de retenue. L'OMDH a été la seule à avoir cette position : " Nous demandons réparation des personnes touchées [Sic : 4 procureurs de la ville] par un dirham symbolique ". Dans le contexte d'une série de procès hybrides qui feront reculer le Maroc dans le classement mondial RSF de la liberté de la presse, le journal Almassae a été condamné à verser un total de 7.200.000 dirhams ! Nuance faite par rapport aux autres journaux, dont les jugements ont été effectifs dans l'immédiat : Le journal Hebdo, Economie & Entreprises, Almichaal, Nichane, … l'Etat, ou du moins certains centres de pouvoir, semble laxiste pour appliquer le jugement. Certaines indiscrétions parlent d'un deal entre le journaliste Niny et ces mêmes centres de pouvoir, commençant par une lettre de supplication adressée au Roi. Les dessous d'une reconfiguration du champ de la presse marocaine sont clairement explicités par un article documenté sur le blog de Larbi. Il apparaîtrait en clair désormais que le deal du journal Almassae est devenu intelligible : servir de porte-parole des détenteurs de certains centres de pouvoir au sommet de l'Etat.
Le journaliste Niny récidive encore dans sa diffamation. La semaine dernière, il signe une chronique où il tire tous azimuts, pour finir comme suit : " Au ministère de l'Emploi, il n'y a pas de la place juste aux jeunes filles lauréates des instituts, mais aussi pour des militantes de longue date dans la politique. Même si le militantisme politique ne laisse pas de temps à certaines de se présenter à leur travail, grâce auquel elles perçoivent un grand salaire. Amina Bouayach, présidente de l'Association marocaine des droits humains, qui ne vient au ministère que pour percevoir son salaire, doit avoir honte de sa position de fonctionnaire fantôme dans le cabinet du ministre de l'Emploi … Amina Bouayach, présidente de l'Association marocaine des droits humains [Sic : persiste et signe à changer l'OMDH par l'AMDH] n'assite pas aux réunions, ne suit pas ses dossiers et ne fait aucun travail pour lequel elle mériterait son salaire mensuel et la voiture avec chauffeur mise à sa disposition … ". Par respect à la personne d'Amina Bouayach, je ne rentrerai pas dans les détails, lui laissant le choix de le faire elle-même, je veux juste témoigner de ce que je sais d'elle  en tant que collègue à l'OMDH ) : Amina n'est pas membre du cabinet du ministère de l'Emploi, elle roule avec sa propre voiture achetée à crédit et n'a jamais eu de chauffeur, ni personnel ni d'un quelconque ministère. Soit ! Certains amis de l'AMDH ont eu une réaction bizarre en envoyant au journaliste Niny une clarification : " Mme Bouayach est présidente de l'OMDH et non de l'AMDH ", comme si c'était le seul souci : repousser le problème de la maison AMDH.
Rappelons un peu le contexte du dernier congrès de l'AMDH, la série d'attaques qu'elle a subies et la solidarité qui s'en est suivie, non pas pour ses positions, mais pour son existence. Le proverbe arabe dit : " J'étais mangé le jour où le bœuf blanc a été mangé ! ". L'attaque, dans le contexte précité, de l'OMDH est une attaque contre tous les défenseurs des droits humains. L'attaque par presse jaune interposée n'est pas nouvelle, un petit débriefing chez nos voisins tunisiens peut renseigner sur ces pratiques d'un régime qui semble charmer des gens de chez nous. Justement, les liens semblent bons, lors de l'interdiction de Kamel Jendoubi, militant reconnu, Almassae a publié bizarrement des articles de cette presse tunisienne qui attaque ce militant, et d'autres. Rien n'est fortuit !
Disons-le clairement : Au Maroc, les politiques baissent la tête, les activistes des droits humains résistent encore, il est clair qu'ils sont dans la ligne de mire. Remarquons qu'aucune déclaration publique d'un parti politique n'a été faite au sujet de Kamel Jandoubi, ni même dans cette affaire. Solidarité avec Amina, avec l'OMDH et avec tous les défenseurs des droits humains. Il est aussi clair que tant que la politique est en décadence (dixit Laroui dans son dernier ouvrage), il ne faut pas espérer que les activistes des droits humains pourraient changer quelque chose. Tant que les ambitions  politiques restent aussi viles, les droits humains subiront de plus en plus de coups bas !


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