Projet de loi 59.24 : Le chantier inachevé de l’enseignement supérieur marocain


Hassan Bentaleb
Samedi 25 Octobre 2025

Le controversé projet de loi n°59.24 a refait surface mardi dernier devant la Chambre des représentants. Présenté par le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, ledit projet s’est exhibé en tant qu’une réforme majeure du système universitaire marocain. Il vise à réorganiser le cadre législatif et institutionnel de l’enseignement supérieur, à renforcer la qualité et la gouvernance des universités, et à adapter l’offre de formation et de recherche aux besoins du développement national et de l’emploi. Pourtant, et comme toute réforme, il reste incapable de répondre à toutes les attentes.
 
Continuité

Dans son exposé, le ministre a souligné que le projet de loi s’inscrit dans la continuité de la Vision stratégique 2015–2030 et du Nouveau modèle de développement, visant à aligner le système universitaire marocain sur les standards internationaux tout en préservant la spécificité du modèle national.

Ainsi le texte propose une refonte globale de la gouvernance universitaire en clarifiant les rôles entre le ministère, les universités et les établissements, tout en renforçant les pouvoirs des conseils d’université et le rôle des présidents, ainsi qu’en rationalisant le fonctionnement des établissements grâce à une plus grande autonomie académique et financière. Sur le plan de la qualité et de l’attractivité de la formation, il prévoit l’adoption d’un cadre national des diplômes pour harmoniser les cursus, l’encouragement de la formation par la recherche et les partenariats avec les entreprises, ainsi que la révision des critères d’accréditation et de reconnaissance des diplômes.

En ce qui concerne le développement de la recherche scientifique et de l’innovation, le projet de loi instaure la création d’un Conseil national de la recherche et de l’innovation en charge de la coordination stratégique, un soutien renforcé à la recherche appliquée surtout dans les domaines technologiques et environnementaux, et un encouragement des coopérations internationales ainsi que du transfert de technologie.

Le texte met aussi l’accent sur l’ouverture et l’équité d’accès, à travers le renforcement du système de bourses et d’aides sociales pour garantir l’égalité des chances, l’appui à la digitalisation de l’enseignement et à la formation à distance, et l’intégration des langues et compétences transversales dans les cursus.

Enfin, il établit un lien fort entre université, territoire et économie en favorisant l’implication des universités dans le développement territorial, l’adaptation des formations aux besoins régionaux et sectoriels, ainsi que la promotion de l’employabilité des jeunes diplômés grâce à des partenariats renforcés entre universités et entreprises. Cette réforme ambitieuse veut faire de l’université marocaine un acteur clé dans la transformation sociale et économique du pays, en mettant l’étudiant au centre du dispositif et en modernisant l’ensemble de l’écosystème de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
 
Ambiguïtés

Cependant, le projet de loi sur la réforme de l’enseignement supérieur, bien qu’annonçant l’autonomie des établissements, laisse subsister de nombreuses ambiguïtés quant à sa mise en œuvre effective. En effet, si le texte met en avant l’autonomie universitaire, il ne précise pas clairement les mécanismes de financement associés ni les limites exactes de l’intervention ministérielle, ce qui laisse présager un risque élevé de maintien d’un contrôle administratif persistant. Par ailleurs, le projet accorde une faible attention aux conditions du corps professoral, en restant discret sur les statuts, les salaires et les perspectives de carrière des enseignants-chercheurs, pourtant essentiels à la réussite d’une telle réforme.

Un autre point critique réside dans le risque de creusement des inégalités territoriales : sans un système de péréquation équitable, l’autonomie pourrait accroître les déséquilibres entre universités déjà bien dotées dans les grands centres urbains comme Casablanca, Rabat ou Marrakech, et celles des régions périphériques qui risquent d’être marginalisées.

Le texte manque également de garanties précises pour un financement durable, ne détaillant pas suffisamment les sources complémentaires ni les incitations nécessaires pour attirer l’investissement privé dans la recherche, ce qui pourrait freiner la réalisation concrète des objectifs affichés.

Enfin, la dimension sociale est insuffisamment développée : même si des dispositifs d’aide sont évoqués, il n’existe pas de mécanismes précis pour répondre efficacement à la massification croissante des étudiants ni à la précarité persistante dans le milieu universitaire. Ainsi, cette réforme, malgré ses avancées prometteuses en matière d’autonomie et de rapprochement avec le secteur privé, soulève plusieurs défis majeurs liés à sa mise en œuvre et à l’équilibre social et territorial du système universitaire marocain.
 
Conditions

Pour plusieurs observateurs, si le projet de loi n°59.24 représente une étape stratégique majeure dans la refonte de l’enseignement supérieur marocain, son succès dépendra de trois conditions essentielles : d’abord, une autonomie réelle et responsable des universités qui ne se limite pas à une autonomie formelle, mais qui soit accompagnée d’une clarification des rôles et d’un financement stable et équitable, permettant aux établissements de fonctionner sans dépendance excessive de l’Etat tout en assurant une répartition équilibrée des ressources. Ensuite, une valorisation effective du corps enseignant et de la recherche scientifique est indispensable, avec une amélioration des statuts, des salaires et des perspectives de carrière des enseignants-chercheurs, ainsi que des investissements soutenus dans la recherche appliquée et l’innovation. Sans ces éléments, le projet de loi pourrait n’être qu’une modernisation institutionnelle superficielle, sans transformer en profondeur le modèle universitaire marocain, qui a besoin d’un véritable dynamisme pour relever les défis économiques, sociaux et technologiques actuels.

Cette réforme vise à faire de l’université un moteur de développement régional et national, mais sa réussite repose donc sur la mise en œuvre de ces conditions structurantes, sans lesquelles les aspirations affichées risquent de ne pas aboutir à une transformation durable.

Hassan Bentaleb


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