Pourquoi l’université marocaine est mal classée


Par YASSIR M’HAMDI *
Mardi 2 Mars 2010

Pourquoi l’université marocaine est mal classée
Le classement des universités marocaines récemment publié par le site ‘Webometrics.info’ nous mettait parmi les plus médiocres et on peut se demander en tant que citoyen marocain pourquoi ? Mais en tant que citoyen et travaillant au cœur du système, enseignant chercheur, on se doit de répondre à la question du pourquoi. Ce classement on doit s’interroger dessus non seulement pour chercher les raisons mais pour éclaircir notre opinion publique pour les possibles raisons et essayer d’apporter chacun les éléments de réponse qui nous permettront de voir un peu plus clair et essayer de localiser le mal et ainsi voir comment le guérir. C’est dans cet esprit que je me suis proposé de rédiger ces quelques lignes et d’aborder avec le lecteur quelques unes des raisons de notre mal universitaire marocain et sans prétendre être exhaustif car à ce stade, il faut recenser tout ce qui peut ressembler à un dysfonctionnement pour ne rien négliger.
Nous ne pouvons pas dire que le mal de l’université vient des autorités gouvernementales et étatiques uniquement car ça sera facile. Bien sûr que leur part existe et qu’ils assument aussi une grande part dans la dégringolade de notre système universitaire mais nous, enseignants chercheurs nous y avons contribué et nous y contribuons avec une part non négligeable, mais la plus importante.
Nous prétextons toujours le manque de moyens pour justifier la médiocrité de nos recherches. C’est vrai que ceci est indéniable car d’une part nos autorités de tutelle ne font pas de la recherche scientifique une priorité nationale mais aussi parce que les responsables locaux, présidents, doyens et directeurs des établissements ne voient pas non plus l’intérêt de la recherche scientifique. En effet la recherche scientifique est un combat de longue haleine et il faut investir aujourd’hui pour cueillir d’ici dix, quinze voire vingt ans et aucun responsable ne se voit initier un travail pour lequel il ne verra le fruit et pour que le suivant puisse en profiter et se voir accompagner un fort développement. En fait, nos responsables sont choisis et désignés chacun sur un projet de développement individuel mais ce qui met l’université ipso facto dans une configuration non harmonieuse car ils sont choisis séparément des fois à des dates très éloignées et personne ne se targuera d’avoir consulté ou concerté son supérieur pour s’inscrire dans une continuité du projet global. Il est donc clair qu’aucune université ne peut mettre en avant une politique de recherche claire et planifiée. J’en veux pour exemple les centres d’études doctorales institués récemment et où nous avons assisté à une course effrénée aux intitulés, sans spécificité mais et surtout sans recensement et valorisation des compétences locales. Dans certaines universités, nous avons eu des centres ayant des homonymes et englobant toutes les spécialités. Ceci n’est pas normal car une université qui se respecte cherche sa spécificité et il n’est pas honteux d’être spécialisé en sciences fondamentales comme il n’est pas plus valorisant d’être le dieu des sciences appliquées. Il suffit pour cela de regarder des pays comme l’Inde ou le Pakistan qui ont brillé dans les sciences fondamentales et sont parmi les nobélisés de la planète. Doit-on rappeler qu’aucune université sur terre et aucune science sur terre n’a atteint son summum en ignorant les sciences théoriques et fondamentales, mots que certains de nos responsables se sentent gênés à prononcer. Il resurgit alors le manque de clairvoyance des autorités de tutelle qui devraient freiner ces comportements, quitte à faire appel à l’expertise internationale car Messieurs les responsables, la recherche scientifique est le premier marché de mondialisation à concurrence ouverte et nous devons y concourir au même titre que les autres et ce selon nos moyens et nos spécificités bien sûr.
Un autre point qui concerne nos universités est la stratégie de formation des jeunes. Car un  pays sans jeunesse bien formée et bien cultivée et voué à la disparation et à l’échec. Dans ce cadre nous avons noté récemment l’arrivée du système LMD (Licence Master Doctorat) et de nouvelles filières d’ingénieurs dans nos universités ; ceci a été accompagné par un déblocage de moyens conséquents, certes jamais suffisants, mais il faut le reconnaître, ils sont loin d’être négligeables. La question est  comment avons-nous accompagné cette évolution ? Je voudrais parler d’un cas de comportements irresponsables d’enseignants chercheurs au vu et au su des autorités locales, qui à mon avis participent aux découragements des enseignants dévoués et même à un échec des progrès réalisés mais aussi poussent les enseignants volontaires à quitter le navire de l’excellence vers les barques roulant sur les longs fleuves tranquille de la médiocrité.
C’est le cas des filières de Licence d’Ingénieries et des Masters dans le cadre du programme national de 10 000 ingénieurs à l’horizon 2010. Dans ce cadre l’état a mis beaucoup des moyens tant au niveau fonctionnement, équipements qu’au niveau des heures supplémentaires et des vacations. Bien évidemment ces filières ont été accréditées en parcourant toutes les étapes légales les unes après les autres : des départements aux conseils d’établissement, ensuite aux conseils d’université et enfin le ministère. Une filière ainsi accréditée devient celle d’un établissement et non celle d’un enseignant qui n’est ni plus ni moins qu’un enseignant au sein d’un département et au sein d’un établissement. Le problème est que le responsable de la filière se trouve heurté et confronté à des situations paradoxales. En effet certains collègues refusent d’intervenir dans leurs spécialités soit parce que la filière n’est pas issue de leur département ou soit parce que le collègue en question n’a pas été consulté ou sollicité lors de la création ou l’élaboration du dossier de la filière. Encore faut-il  lui payer son intervention comme vacataire ou en heures supplémentaires. Je ne vois pas de mal à payer des heures supplémentaires à un collègue qui a dépassé son service et il est tout a fait normal de l’indemniser mais le problème est que ceux qui prétendent toujours à ces heures sont en sous service et leur bonheur vient seulement du fait qu’ils ne sont pas dans le département hébergeant la formation. Cette situation est scandaleuse car lorsqu’on est dans un établissement, on y travaille pour ses besoins et on ne travaille pas pour un département ou une équipe restreinte. Il arrive que dans certaines situations le département ne reconnaisse même pas le service fait par des enseignants dans des filières issues du même  département et ce pour des raisons de personnes. Alors on se trouve parfois dans des situations (et les exemples sont nombreux), où la filière fait appel à des vacataires alors même qu’au sein du département ou de l’établissement les collègues sont en sous service dans ces mêmes spécialités. N’est ce pas là un moyen de gaspillage et de gestion fallacieux ? Si on ne le voit pas c’est parce qu’on ne veut pas le voir.
Cette situation est vécue dans certains établissements au vu et au su de tout le monde. Les doyens, directeurs et présidents sont complices de ces  comportements car ils ne pensent qu’à leurs carrières et à gérer avec un calme absolu même si cela se fait au détriment des moyens de l’Etat destinés aux étudiants.
Je m’arrête là, d’autres comportements sont aussi condamnables et participent au recul du système universitaire marocain et ne nous fâchons pas chers collègues, enseignants chercheurs, si parfois on s’attaque à nous et soyons conscients que si on veut rester parmi l’élite de ce pays il faut hisser comme devise le drapeau de l’excellence et la persévérance et la gestion exemplaire.

* Enseignant chercheur


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1.Posté par Rajaa Chaabi le 05/03/2010 12:59
En fait, le mal est bien plus insidieux. Le premier problème c'est d'abord la chute drastique du niveau des étudiants, qui ne maîtrisent, dans leur immense majorité, aucun véhicule linguistique. L'ajustement structuel a destructuré l'Ecole publique, qui forme des acculturés. Y remédier suppose d'établir le savoir comme étalon de la réussite sociale : rémunéner les enseignants selon leur mérite, remettre l'Ecole au centre de l'ascension sociale, etc. Le système de gouvernance en vigueur y est-il préparé ?

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