Pour une nouvelle gouvernance africaine


Par Antoinette Delafin (MFI)
Mercredi 7 Octobre 2009

Pour une nouvelle gouvernance africaine
Le président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, publie chez L’Harmattan un pamphlet dans lequel il fait le procès du modèle unique imposé à l’Afrique par le monde occidental depuis les Indépendances. Illustré par des exemples vécus, notamment lorsqu’il était ministre gabonais des Affaires étrangères de 1999 à 2008, l’ouvrage s’accompagne d’un vibrant plaidoyer pour une nouvelle gouvernance africaine. Une vision collective d’« un futur désiré ». A l’abri de la peur et du besoin.
Il y a à peine un demi-siècle, les pays africains sont devenus «juridiquement responsables de leur propre destin (…) en se libérant de l’ordre européen et impérial dans lequel ils étaient étroitement enfermés» depuis des lustres, de l’esclavage à la colonisation, rappelle Jean Ping. Gabonais de père chinois, ce diplomate de haut vol, qui préside la Commission de l’Union africaine depuis avril 2008 ouvre ainsi Et l’Afrique brillera de mille feux, cet essai très riche qui brosse aussi à grands traits les principaux dispositifs politiques et économiques – nationaux, régionaux, internationaux – dans lesquels le continent africain s’est inscrit au cours de la période, avant de donner des pistes pour l’avenir.

Après une courte parenthèse, les “maîtres sont de retour”

Accédant à «cette souveraineté nationale tant désirée (…), les nouveaux Etats tentent de s’émanciper de leurs anciennes puissances tutélaires», dit-il de cette période. Mais le jeu idéologique (capitalisme ou socialisme) que se livrent les deux superpuissances, américaine et soviétique, pendant la Guerre froide oblige les pays nouvellement indépendants à choisir impérativement leur camp pour définir leur politique intérieure et extérieure. Puis cet ordre bipolaire, solidement établi à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, s’effondre en août 1991 avec l’implosion de l’URSS. Dès lors, la mondialisation s’installe progressivement, «un ordre malheureusement injuste».
En Afrique, l’espoir que celle-ci suscite se transforme vite en cauchemar. «Les forces du marché qui ont pris en main la planète créent des gagnants et des perdants.» Il se traduit par une «radicale et rapide remise en cause de leur souveraineté nationale et de leur dignité humaine à peine acquises». Après une courte parenthèse, les «maîtres sont de retour». (…) Comme au bon vieux temps, ils disent le Droit pour nous sans se l’appliquer à eux-mêmes. Ils jugent l’Afrique avec leurs seuls repères, donnent des ordres et des leçons, condamnent et décrètent des sanctions fatales, convaincus qu’ils sont d’agir pour le bien de l’Humanité ».
Il s’ensuit, dans les années 1990, une phase de turbulence : « Une prolifération sans précédent de guerres barbares, notamment interethniques, provoquées ou encouragées notamment par la déconstruction méthodique des Etats [et] de toute autorité. » Au centre des enjeux, l’Etat-nation souverain, un principe d’origine occidental, est sérieusement malmené. La situation est d’autant plus grave que la plupart de ces Etats sont en phase de construction ou de consolidation. Résultat, au lieu de l’état de droit et des droits de l’homme, « on récolte “Etat sauvage”, les coups d’Etat, les massacres et les génocides ».

Les acteurs hors souveraineté exercent des pressions de toutes sortes

Régression, paupérisation massive, «la création de fortunes et de misères extrêmes [sont dues] à l’exacerbation des forces du marché, sous la vive impulsion des plans d’ajustements structurels». Les Etats sont d’autant plus affaiblis qu’on leur dénie « toute responsabilité», qu’on privatise à tout va, de l’eau (confiée à des sociétés étrangères) à la «violence légitime», mise entre les mains de sociétés de mercenaires. L’auteur souligne aussi l’émergence sur les scènes nationales de «ces acteurs hors souveraineté» – qui vont selon lui des ONG aux firmes multinationales, en passant par les médias mais aussi les terroristes, les criminels organisés, mafieux et autres trafiquants… – qui ne manquent pas d’exercer contraintes et pressions de toutes sortes sur les Etats africains sommés de «s’adapter».
Certains Etats – à l’instar du Zimbabwe ou du Soudan – défendent « bec et ongles leur souveraineté et leur spécificité». Ils tiennent tête à la communauté internationale et rejoignent «le front du refus » : une coalition hétéroclite d’Etats comme l’Iran ou la Corée du Nord, et bien sûr le Venezuela. D’autres, comme la Somalie, sombrent dans l’anarchie, la piraterie et le terrorisme…

Repenser la place
de l’Afrique :
“la carotte sans le bâton”

Homme d’expérience qui a côtoyé les plus grands de ce monde – en tant que président de l’OPEP en 1993 puis de l’Assemblée générale des Nations unies en 2004-2005 –, Jean Ping raconte des anecdotes vécues (en italique dans le corps du livre). Notamment les nombreuses médiations africaines qu’il a eues à conduire dans les zones de conflits (Centrafrique, Côte d’Ivoire) en tant que ministre des Affaires étrangères du Gabon de 1999 à 2008 (un pays qu’il ne manque jamais de prendre pour exemple).
Dans les dix dernières années, le continent a été amené à repenser, au plan national comme au plan collectif, sa place dans le système international. La naissance de nouvelles entités (Union africaine, communautés régionales politiques ou économiques), a permis d’«entamer un processus d’intégration politique et économique» en vue de mieux «se réformer, s’adapter au monde et avancer vers la modernité ». Raison pour laquelle, peut-être, et cela malgré un «environnement régional déstabilisé par les guerres et la misère, (…) beaucoup de pays africains font tout de même office d’îlots relatifs de paix, de stabilité, de liberté, de solidarité et même de progrès».
Le livre du diplomate gabonais – qui se lit comme un roman – plaide pour la mise en place d’autres stratégies qui seraient fondées sur « des avantages réciproques, sans grossières ingérences extérieures, sans conditionnalités impossibles, sans préalables et sans menaces de sanctions : la carotte sans le bâton ». Et pour « la redéfinition d’une nouvelle gouvernance globale, plus juste, plus équilibrée, plus solidaire et plus morale dans laquelle l’Afrique finirait par trouver elle aussi son compte et sa place ». Pour une nouvelle gouvernance africaine : une vision collective d’« un futur désiré », à l’abri de la peur et du besoin.


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