Politique urbaine au Maroc

Urbanisation et stratégies d’acteurs


Lhoussain Boukharta
Mercredi 7 Janvier 2015

Politique urbaine au Maroc
Evidemment le choix de ce thème ne découle pas du pur hasard. Mais il dépend de plusieurs considérations dont je cite les conclusions tirées dans mon mémoire des études supérieures en aménagement et urbanisme soutenu publiquement en mars 2001 à l’INAU . Le long de cette recherche, il m’a été donné de découvrir l’existence d’un rapport très étroit entre le politique et le spatial (l’espace urbain de Dar El Gueddari faisant partie du ressort du territoire de la province de Sidi Kacem). L’analyse de la forme urbaine de cette petite localité de différentes facettes a bien révélé l’ampleur des répercussions de la logique politique sur le spatial. La spécificité de Dar El Gueddari m’a amené à réfléchir sur les aspects généraux de la logique de l’exercice du pouvoir au Maroc, ses tendances et ses répercussions sur les formes d’urbanisation. L’étude de très près de ce petit centre m’a mis dans l’obligation de reformuler mes conclusions et mes analyses; la logique politique s’est située au centre de mes préoccupations. Le rapport pouvoir central/ pouvoir local dans une ville à élite classique notable (élite de la famille des Gueddari à la petite ville Dar Gueddari) m’a interpellé à m’interroger sur la nature de ce rapport dans le cas d’un espace urbain dépourvu d’élites notables. A travers nos investigations et les informations recueillies sur l’armature urbaine de la province de Sidi Kacem, la ville de Jorf El Melha a été jugée un cas typique convenable pour aborder cette problématique. Mes considérations dans ce deuxième choix ont été fondées sur ma préoccupation à mettre le point sur les niveaux de différenciation des formes d’urbanisation dans la région du Gharb Cherrarda-Bni Hssen (étude comparative de Dar El Gueddari et Jorf El Melha par rapport à l’urbain régional et provincial). Au niveau de la province de Sidi Kacem, j’étais très frappé par l’existence de deux types de villes dont le premier à urbanisation rapide (Jorf El Melha et Mechraa Bel Ksiri) et l’autre à urbanisation très lente (Dar El Gueddari et Had Kourt). Un tel constat m’a poussé à m’intéresser à la cherche des soubassements profonds de cette différenciation, des soubassements qui devraient mettre le point sur les interactions et les inter-agissements (ou tout simplement sur le rapport) entre « logique politique, typologie d’élites et formes d’urbanisation » et de déboucher en fin de compte sur la logique des politiques publiques au Maroc principalement la politique urbaine et ses tendances à partir de l’ouverture historique de l’Etat sur toutes les forces politiques dès 1998 et spécialement à l’ère du nouveau règne (juillet 1999) . La décision Royale d’intégrer l’opposition au gouvernement, la nature des nouveaux chantiers de développement et les nouvelles générations des réformes lancées à partir de l’investiture du gouvernement de la transition vers la démocratie, ont fait surgir de nouvelles questions sur la logique de l’exercice du pouvoir au Maroc du central vers le local et ses tendances. Dans le sillage des questions nées de la gouvernance urbaine et des défis urbains contemporains, j’exprime désormais, commençant par cet article, une grande volonté de poser de nouvelles questions pour ouvrir des pistes de recherche dans le sens d’éclaircir les soubassements de la logique de l’exercice du pouvoir au Maroc, ses tendances et ses répercutions spatiales (question de la continuité/rupture). En effet, les configurations spatiales, les configurations d’acteurs et les processus de légitimation dans le cadre de la logique politique du pouvoir monarchique restent peu connus en regard des spécificités opérationnelles au Maroc.
Mon intérêt pour ce genre de sujet a commencé à prendre de l’ampleur surtout après la lecture de la thèse de doctorat de M. Aziz El Maoula El Iraki. Outre ses conclusions pertinentes dont j’aurai l’occasion de rappeler dans les prochains articles, son chapitre n°1 du tome I abordant le cas de Dar El Gueddari surtout les soubassements de son urbanisation (section n°1, page 34) m’as permis de soulever de nouvelles questions. Sur la base de mes connaissances sur la région, le choix de Dar El Gueddari par M. El Iraki, en tant que cas typique qui illustre la relation «fonction administrative & urbanisation» ou «fonctionnarisation & urbanisation», ne m’a pas suffisamment convaincu. Le fait de limiter les «effets urbanisants» à Dar El Gueddari dans l’injection d’une masse d’équipements publics, l’accroissement de la masse salariale injectée par l’Etat et la multiplication et la variété d’acteurs (les fonctionnaires) capables d’investir dans la ville, m’as mis dans l’obligation d’approfondir l’analyse sur les réalités et les mécanismes de fonctionnement de cette petite ville et sur la logique de sa promotion administrative. Malgré le rôle et les logiques de l’Etat dans l’équipement et la promotion administrative de cette petite ville et la richesse de son arrière-pays, son niveau d’urbanisation a demeuré très lent. A travers la vérification de nos hypothèses de travail, il a été conclu que le développement de ce centre est fortement lié à la levée d’une multitude de contraintes d’ordre politique, foncier, financier et environnemental dont le politique prime sur toutes les autres (aujourd’hui Dar Gueddari a fait l’objet d’un programme de mise à niveau à l’ère du président usfpéiste). Le cas de Dar El Gueddari a reflété avant 1998 une situation politique où les gagnants sont le pouvoir central et ses élites de subordination. Ce gain, exclusivement sécuritaire, a été opéré au détriment de la ville, de sa population et du progrès politique. Dar El Gueddari a demeuré, depuis l’indépendance, un lieu de concrétisation des intérêts de ses élites classiques (membres de la famille Gueddari).
Par ailleurs, en m’inscrivant dans la lignée de ma recherche déjà soutenue publiquement à l’INAU (2001) et de celles des thèses ayant tenté de modéliser la problématique « logique politique et ses effets sur le spatial », j’ai beaucoup travaillé sur les problématiques urbaines afin d’approfondir l’analyse comparative de la logique profonde qui prime sur la gestion urbaine pour faire face au rythme d’urbanisation. Ma volonté d’approfondir l’analyse sur les deux cas typiques de petites villes (Dar El Gueddari et Joef El Melha) n’est plus un pur hasard. Ma préoccupation majeure est d’aboutir à des points clés me permettant de controverser les différentes conclusions tirées auparavant et de me prononcer sur les vraies logiques politiques et leurs tendances. En effet, les nouvelles actions du pouvoir central, après 1998 et surtout à l’ère du nouveau règne, invitent tous les chercheurs et penseurs à revoir, revérifier ou reformuler leurs problématiques et à poser de nouvelles hypothèses. Il est clair cependant que l’avancée du fait démocratique au Maroc, visible à travers la relative transparence des élections électorales (1997, 2002, 2003, 2007,2009 et 2011) ajoutée aux nouvelles actions du nouveau règne, posent de nouveau la problématique de la continuité/rupture au niveau de la logique de l’exercice du pouvoir au Maroc et celle des acteurs locaux. Les problématiques de la mise en œuvre effective de la notion de la démocratie représentative et participative et de la production des élites avec de nouveaux critères de légitimation s’imposent avec une grande acuité.
Telles sont mes considérations qui m’ont poussé à m’intéresser à l’urbain au Maroc, intérêt qui devait poser les problématiques profondes qui devraient normalement occuper les axes prioritaires des recherches universitaires multidisciplinaires. Si la ville est le lieu où se joue aujourd’hui la bataille de la mondialisation (rénovation urbaine), la question de production des élites à la hauteur des défis de la concurrence territoriale reste posée et interpelle en premier lieu les responsables politiques et l’administration au Maroc. La nécessité de soulever ce genre de problématiques est purement liée à notre attachement à la mise à niveau les logiques et stratégies des acteurs de manière à favoriser les conditions d’un repositionnement avancé de la nation marocaine dans le relief des pays émergents comme le Brésil (A ce niveau je souligne l’importance et l’intérêt du rapport de la visite des journalistes marocains au Brésil écrit et publié par le rédacteur en chef du quotidien Allittihad Al Ichtiraqi Abelhamid Jmahri).
En effet, à l’ère de la mondialisation, outre l’obligation de tendre la ville vers le virtuel avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de communication qui sont en train de bouleverser tous les référentiels traditionnels (développement du e-travail, e-commerce, services électroniques, nouvelles activités urbaines notamment celles qui sont liées à la concentration des fonctions de coordination ,…), elle devrait rester, comme elle l’aura toujours été, un lieu d’écriture et de rénovation des cultures et des civilisations, un lieu d’expression, d’exercice et de partage des pouvoirs économiques, de production, de contrôle des richesses et un lieu d’émergence de leaderships politiques. Ces mutations vont certes avoir un impact considérable sur la logique de gouvernance, sur les comportements des gens et par conséquent sur les formes urbaines. Désormais, l’aménagement de la ville devrait relever de tous les domaines; elle devrait être le support idéal des réformes à entreprendre dans le sens de la modernité pour préparer le Maroc du 21ème siècle à partir d’un réseau urbain compétitif et organisé.
La combinaison des stratégies d’acteurs et logiques politiques qui caractérisent le rapport central/local a toujours été le cœur de l’économie urbaine, un cœur qui devrait être désormais naturellement sain et sauf sans manipulations.

* Ingénieur statisticien
et aménagiste urbaniste


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