Petite leçon d’échec de réforme : le projet de Code de la route


Par Errachid Majidi
Mardi 26 Mai 2009

Pour la deuxième fois en moins de deux ans, l’examen du nouveau projet de Code de la route a été suspendu au Parlement marocain face à un refus catégorique émanant des professionnels du transport. 10 jours de grève, de violents incidents et une quasi-paralysie de l’activité économique ont entraîné le gel de l’application d’un projet ambitieux. Pourtant, ce nouveau projet de Code qui introduit le permis à points, l’alcotest et d’autres mesures répressives, est nécessaire dans un pays tristement célèbre pour sa violence routière qui coûte la vie en moyenne à 10 personnes par jour (en 2008 le Maroc a connu quasiment le même nombre de morts que la France qui a un réseau routier bien plus long et une population plus importante). Or, s’il y a un consensus autour de la gravité de la situation, comment peut-on expliquer l’incapacité du gouvernement à faire passer ce projet ? Et quelles sont les raisons qui ont contribué à cet échec ?

Un projet trop ambitieux... ou pas assez?

C’est l’argument principal qui a été martelé par les opposants au projet en fustigeant l’inadaptabilité d’un texte calqué sur des lois européennes à un contexte marocain où l’infrastructure routière est majoritairement peu respectueuse des normes internationales. D’un autre côté, le projet se veut sévère en matière de répression de fraude par le biais d’un arsenal d’amendes dissuasives. Il est certain que la réduction du nombre de morts sur la route passerait nécessairement par une répression, mais au-delà de cet objectif louable, le montant des amendes qui varie entre 400 et 900 dirhams pourrait paraître élevé dans un pays où le salaire minimum ne dépasse guère 2000 dirhams.
 Dans un contexte où la corruption des agents d’autorité demeure une réalité, il aurait été préférable d’inciter le citoyen à payer les amendes en les adaptant à ses revenus. Car, des mécanismes de contournement des amendes se créeront facilement puisqu’il est difficile d’exercer un contrôle. De ce fait, l’usager, le professionnel de transport et l’agent de l’autorité seraient incités à recourir à la pratique de la corruption souvent moins coûteuse en temps et en argent. On peut dire qu’une règle ne tient pas sa force dans sa dissuasion supposée mais dans sa capacité à être appliquée réellement.
La mesure consistant à exiger des policiers et gendarmes de mettre des badges affichant leurs noms et leurs numéros d’immatriculation est certes importante, mais elle ne pourrait suffire en matière de lutte contre la corruption.
En fait, la réforme de la justice, pour en finir avec les lacunes en matière d’Etat de droit, est un préalable à la réforme du Code de la route ; faute de quoi les amendes constitueront une nouvelle opportunité pour alimenter la corruption. La réforme du Code de la route devrait même, à vrai dire, s’inscrire dans un projet de réforme global : au-delà de la réforme de la justice, c’est aussi l’amélioration de la qualité des infrastructures et de la formation dans les écoles de conduite qu’il faut mettre sur la table.

Un pilotage de la réforme inefficace.

Gouverner c’est prévoir, et dans le cas des réformes il est encore plus important de prévenir la capacité réelle des perdants potentiels à bloquer la réforme. Dans ce cas précis, il est évident que les professionnels de transport ont un pouvoir de nuisance significatif. Par conséquent, il aurait fallu négocier en amont des compensations aux pertes qu’ils risquent de subir. Le projet a aussi failli car le ministère de tutelle a sous-estimé le pouvoir de nuisance des syndicats en optant pour l’épreuve de force et la volonté de briser la résistance, sans travail pédagogique de préparation de l’opinion, travail qui aurait dû aller au-delà d’une communication vantant les mérites du projet pour viser une réelle préparation des citoyens aux éventuels sacrifices auxquels ils doivent faire face en cas d’actions de blocage.
Outre la méthode, le choix du timing a été un facteur important dans l’échec de cette réforme. Ainsi à la veille d’une échéance électorale importante, les élections municipales du mois de juin, il est très difficile pour les hommes politiques de s’associer à des projets de réforme pouvant alimenter l’hostilité de groupes influents. Dans ce cadre, si le ministre de l’Equipement et du Transport a eu le mérite et le courage de vouloir doter le Maroc d’un Code de la route moderne, au risque de nuire à sa carrière politique, le choix du timing était inapproprié. Car, les enjeux électoralistes ont accentué les divergences autour du projet et ont probablement joué un rôle majeur dans le durcissement du mouvement de grève.
La réforme est un exercice périlleux pour les hommes politiques. Car il les amène à heurter les opinions, à briser les résistances. Cela demanderait certainement de leur part de la technicité, du courage et de la volonté, mais surtout beaucoup d’habilité politique et une capacité à saisir les bonnes conjonctures. Lors de la réforme du Code de la famille, le Maroc a connu une crise similaire à celle-ci. L’échec des premières tentatives a préparé l’opinion et a facilité la réussite du projet final. Reste à savoir si le nouveau projet de Code de la route connaîtra le même sort…

Chercheur au Centre d’analyse économique.
Article publié en collaboration avec www.unmondelibre.org
 


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