Participation politique des jeunes au Maroc

Réflexion sur le désengagement politique et l’engagement civique


Par Mohamed Anwar El Hazziti
Mardi 18 Février 2020

La question du vote des jeunes au Maroc est très fréquente dans le processus démocratique du pays, et elle l’est encore aujourd’hui. En 2016, lors des élections législatives, les jeunes (entre 18 et 35 ans) ne représentaient que 30% de la liste électorale officielle et ils ne représentent actuellement (jusqu’au 31 mars 2019) que 24%, et ce avec une diminution du nombre d’inscrits sur la liste électorale de 2% entre 2016 et 2019.   Aussi, le taux de participation électorale général, selon les chiffres officiels, n’a cessé de diminuer depuis 1963 (de 71,79% en 1963 à 37,50 en 2007), puis il a monté sensiblement en 2011 (45.4%) et il a diminué en 2016 (43%).
Dans le même constat, selon une enquête du Haut-commissariat au plan en 2011, « la participation aux élections (régulière ou non régulière) croît significativement avec l’âge ; les jeunes âgés de moins de 18 à 24 ans enregistrent le taux de participation le plus faible (23% contre 69% parmi les jeunes âgés de 35 à 44 ans). Les jeunes ayant un niveau scolaire supérieur sont moins enclins à voter (43% contre 57% parmi les jeunes sans niveau scolaire). Le niveau de participation aux élections est plus faible parmi les femmes que parmi les hommes (46% contre 54%) et en milieu urbain qu’en milieu rural (46% contre 55%). Concernant le degré de confiance des jeunes dans les institutions nationales, 58% d’entre eux accordent une grande ou moyenne confiance à la justice (contre 26% qui ne lui accordent aucune confiance), 49% (contre 32%) au gouvernement, 60% (contre 24%) à la presse, 49% (contre 28%) à la société civile, 37% (contre 42%) au Parlement, 26% (contre 60%) aux collectivités locales et 24% (contre 55%) aux partis politiques ». De plus, en termes « d’implications et d’engagements civiques, les jeunes Marocains accordent peu d’intérêt à la chose publique. Excepté la participation aux élections affirmée par 49% des jeunes (35% de façon régulière et 14% de façon non régulière), les autres aspects de la participation enregistrent des niveaux bas : 1% des jeunes adhèrent à un parti politique, 1% sont membres actifs d’un syndicat, 9% participent à des activités de bénévolat, 4% aux rencontres d’un parti politique ou d’un syndicat et 4% aux manifestations sociales ou grèves ».
A l’échelle mondiale, on assiste au même fait relatif au faible engagement des jeunes dans la participation aux élections en Europe. Ainsi, à l’occasion des élections européennes de mai 2014, 73% des jeunes âgés de 18 à 35 ans n’ont pas voté. Aux Etats-Unis, 50% de jeunes âgés entre 18 et 29 ans ont voté lors de l’élection présidentielle de 2016. Cependant, plus de 70% des jeunes Sud-Coréens ont voté à l’occasion de l’élection présidentielle de 2017.
Ainsi, les tendances récentes de la fluctuation du taux de participation des jeunes au Maroc doivent être expliquées, ce que les modèles de comportement de vote actuels ne parviennent pas à faire en raison de leur concentration sur le non-vote plutôt que sur le vote.
De ce fait, il faut normalement étudier ces jeunes qui votent et pourquoi ils votent au lieu de se concentrer sur des causes d’abstention qui ne contribuent pas autant à analyser les tendances de comportement liées au vote. C’est aussi une tentative de dégager les différences majeures entre ces jeunes et leurs homologues désengagés. A cet effet, l’examen de ce qui encourage et engage les jeunes qui votent, pourra peut-être offrir des occasions et des possibilités de faire participer les jeunes électeurs.
Généralement, la plupart des recherches sur le vote et l’engagement politique ont détecté les causes de l’abstention des jeunes, citant par exemple le manque de stabilité, l’engagement limité dans la politique et les barrières liées à l’âge. Bien que ces explications soient testées et largement citées pour expliquer pourquoi les jeunes s’abstiennent de voter, les explications relatives au comportement des jeunes qui votent restent essentielles pour cerner la compréhension de la question du vote des jeunes.
Il faudra dire dans ce sens que, lors de mon contact avec les jeunes au  cours des différentes formations sur la démocratie participative, il s’avère que les jeunes qui votent connaissent bien leurs convictions politiques, ils ont une identité en tant que personnes politiques et choisissent d’agir en fonction de leurs croyances et valeurs qu’ils ont appris dans leur environnement de vie (familial, associatif, universitaire et autres). En effet, les jeunes qui ont acquis une identité politique sont plus susceptibles de voter que ceux qui n’ont pas développé d’identité. Je suis arrivé à la conclusion que la formation de la personnalité politique est un processus de socialisation et d’intériorisation qui peut prendre des années, et qui commence dès  l’enfance et se poursuit tout au long de l’âge adulte.
La socialisation s’explique surtout à travers les impacts de la vie familiale, des écoles, des médias, des pairs, etc. Les jeunes deviennent socialisés à leur environnement politique au fil du temps à travers une variété d’événements. En outre, alors que la socialisation peut fournir des moyens communs pour les jeunes de connaître leur monde politique, l’individualisation implique la formation de leur propre identité. Ainsi, l’individuation est considérée comme un processus dans lequel les jeunes explorent et voient le monde d’une manière différente des générations précédentes. C’est pour cela que la compréhension de la formation d’une identité politique et du processus de la construction de la personnalité politique est l’élément essentiel pour identifier le comportement des jeunes qui votent.
Pour l’exemple marocain, nous pourrons affirmer que le contexte politique a joué depuis l’indépendance un rôle important dans la manière dont les jeune sont socialisés pour interagir avec le système politique. A cet effet, les leaders inspirants (ex : leaders de l’UNFP et l’USFP depuis les années 60 jusqu’au début des années 2000) ont impacté la hausse de la participation des jeunes électeurs. Aussi, les jeunes qui ne sont pas partisans sont plus susceptibles de participer au processus politique s’ils ont un leader dont ils y trouvent ce qu’ils inspirent. Dans plusieurs élections marocaines, les slogans directeurs des campagnes électorales des partis politiques ont joué positivement pour mener les jeunes à voter pour certains partis (lutte contre la corruption, la réforme, etc). Egalement, il ne faut pas oublier que les discours religieux et moraux peuvent expliquer le vote des jeunes Marocains.
Ce qui est très marqué dans le comportement politique des jeunes, au Maroc et dans d’autres pays, c’est leur fort engagement civique. Or, ces comportements civiques fonctionnent en dehors du système politique pour résoudre des problèmes sociaux et communautaires immédiats et tangibles. Les jeunes préfèrent l’engagement civique plutôt que l’engagement politique. De plus, ils participent activement dans les communautés civiles et jouent souvent un rôle de plaidoyer en utilisant tous les moyens de renforcement des capacités pour encourager la participation des jeunes à l’action civique.
L’analyse des comportements des jeunes impliqués dans les organisations civiles témoigne que ces dernierscomprennent mieux l’organisation sociale. Les valeurs que les jeunes apprennent dans ces organisations comprennent le lien et l’identification avec les autres, l’interaction avec les institutions au sein des communautés, et la façon dont leurs actions, leurs pensées et leurs expressions peuvent faire la différence.
En conséquence, il faudra dire que le vote n’est qu’une forme d’engagement politique. Malgré que l’engagement des jeunes en faveur de la participation politique conventionnelle soit effectivement en déclin, on remarque sur le terrain qu’ils restent pourtant attachés à des formes de participation non conventionnelles et civiques.
 Le fait d’interpréter le vote comme la principale forme d’engagement politique revenait à méconnaître fondamentalement la manière dont les jeunes conceptualisent aujourd’hui le domaine politique et le rôle des formes alternatives d’engagement, surtout avec l’utilisation massive des réseaux sociaux.
En outre, même si on remarque que les jeunes sont actuellement moins susceptibles que par le passé de voter, d’être membres d’un parti politique ou de faire campagne au nom des partis politiques lors d’une élection, ce constat n’est pas révélateur d’un désengagement civique et politique ou d’apathie. Au contraire, c’est la conséquence du sentiment des jeunes que les politiciens et les institutions politiques ne sont pas intéressés par leurs préoccupations et ne répondent pas à leurs besoins. Ces jeunes considèrent le vote comme l’un des moyens les moins efficaces de réaliser le changement et ils considèrent que les formes d’engagement politique civique et non conventionnel sont beaucoup plus efficaces pour avoir un impact sur les décisions publiques.
 Pour cette raison, ils utilisent un modèle d’activisme différent pour soutenir les causes qui leur semblent pertinentes et importantes. Donc, le défi de nos partis politiques ne réside pas dans la recherche des moyens pour encourager les jeunes à voter, mais plutôt ça consiste à comprendre leurs besoins et à adapter leurs organisations et leur mode de fonctionnement aux nouvelles formes d’engagement civique des jeunes.


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