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Parole aux sociologues : Said El Maghrebi 'La grogne des Marocains se fait sans visée révolutionnaire ni radicalité'


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Lundi 4 Juin 2018

Parole aux sociologues :  Said El Maghrebi 'La grogne des Marocains se fait sans visée révolutionnaire ni radicalité'
Accorder la parole aux chercheurs en sociologie, c’est permettre aux observateurs avertis de se prononcer publiquement sur des faits de société. Une nécessité  pour établir une relation plutôt équilibrée entre médias et sociologues. 
Connu depuis le début des années 80 comme l’un des artistes engagés et présent dans les cercles estudiantins et universitaires, Said El Maghrebi s’est aussi investi dans la recherche scientifique et particulièrement en sociologie ! 

Libé : Il semble que les classes sociales  au Maroc connaissent des changements. Quels en sont les grands indicateurs, selon vous ? 
Said El Maghrebi : Je pense qu’on peut repérer les prémices de ces changements dans les réactions spontanées des populations, sans aide ni  structures politiques ni   syndicats. Aujourd’hui,  j’imagine que la population a compris qu’elle détient son destin en main pour revendiquer les besoins élémentaires en vue de pouvoir vivre dignement. Bien évidemment, l’époque actuelle en termes de pouvoir d’achat des populations ont considérablement  changé. Il en résulte aussi la faillite des idéologies, l’émergence d’autres perspectives et configurations qui ont modifié la stratification sociale habituelle, devenant plutôt pragmatique tant au niveau social  que   revendicatif.     
Après les mouvements sociaux au Rif et à Jerada, quelle évaluation faites-vous aujourd’hui des mutations et clivages que traverse la société marocaine ? 
Deux constats à souligner : l’échec des partis et des institutions. Il faudrait noter ici, que ce que vous appelez «clivage»  est statique quant à son  application dans le contexte des populations musulmanes ou plutôt marocaine. 
Ce qui fait que nous n’avons pas réussi, dans notre approche historique, à créer ce type de  strates ou classes convaincues de leur rôle  dans l’évolution des sociétés.  Notre bourgeoisie doit se révolter contre elle-même, car le rôle de vassalité, qu’elle joue ne peut plus continuer au-delà de son impact local. L’Etat doit cesser d’être assujetti aux directives des multinationales et du FMI. Autrement dit, travailler pour le compte des entreprises étrangères sans autonomie ni esprit clairvoyant est une attitude  vouée à  l’échec. Cela pouvait aider à clarifier l’échiquier politique marocain et le rendre plus visible, en termes de strates ou de classes. Conscience capable de relever le défi d’une vraie politique sociale.
Cela est dû à quoi ?
En fait, la France nous a légué des formes architecturales en béton et un mode  de vie et surtout des  institutions à reconfigurer. La population marocaine que je considère, et depuis longtemps, intelligente dont la capacité à assimiler le mal et à résister aux difficultés de la vie,  sans heurt, a enfin trouvé les moyens efficaces pour exprimer son mal de vivre,  grâce à son niveau d’instruction.  Je fais, bien évidemment, allusion aux réseaux sociaux capables, à notre époque, de tout bouleverser en conscience dynamique et en mouvement interactif.  
Quel sens ont ces mouvements sociaux qui traversent le pays à différentes altitudes ?
Nous avons pris l’habitude de voir la réaction des autres sur ce que nous sommes  capables de réaliser et d’attendre  les échos d’ailleurs. En tout cas, ces réseaux sociaux ont entraîné un désastre économique et sécuritaire dans les pays ayant fait leur  révolution avortée ou plutôt inachevée. Les Marocains sont en train  de mettre en place un moyen efficace pour revendiquer des réformes et exprimer leurs souffrances sans visée révolutionnaire ni radicalité. Cela convient à notre identité et à notre mode de vie.    
Sommes-nous réellement dans une société qui va à la rencontre des principes d’«égalité des genres», de «liberté de culte » ou de «démocratie participative» ? 
Pour «l’égalité des genres» et «la liberté de culte», rien de tout cela n’est possible pour le moment.   La société n’a pas encore de conscience citoyenne mûre pour comprendre cela loin de sa religiosité. Par contre, la «démocratie participative» demande, avant tout, l’assainissement du champ politique, à savoir la crédibilité de la classe politique par  l’acquisition d’une solide  formation citoyenne, afin de bien  mériter de jouer son rôle comme représentante de la population. Sans cela, nous allons encore patauger, aussi longtemps et prévoir le risque de fâcheuses surprises.
Est-il vrai que l’on vit actuellement une crise des valeurs ? 
Je pense qu’il s’agit d’une époque d’enracinement dans l’archaïsme total et l’encrage de notre société, encore plus, dans ce que vous appelez crise des valeurs.. Bien sûr l’impact de la mondialisation et ce qu’elle offre comme modèles à nos jeunes ne peuvent qu’accentuer cette perte des repères et créer des conflits générationnels.
Le sociologue analyse et diagnostique, mais il peut éventuellement proposer… des suggestions dans ce sens ? 
A ma connaissance, l’objet de la sociologie est important et peut bouleverser la donne quand il s’agit d’une pratique appliquée, volontaire et rigoureuse.  En d’autres termes,  le sociologue, contrairement aux scientifiques,  est tenu de connaître l’Homme dans sa diversité globale, symbolique et matérielle. Bref, la sociologie ou encore l’anthropologie sont des  sciences positives fabuleuses. 
Il faudrait juste avoir conscience de leur utilité dans des pays comme le nôtre où leur impact est inexistant ou plutôt timide et loin de toute interprétation des données collectées. Les bases de la sociologie sont dans le raisonnement philosophique et l’intelligence de l’esprit et non pas juste dans les statistiques et les méthodes formalistes  qui dominent l’espace des études  sociologiques au Maroc.    
Etes-vous d’accord que les sociologues marocains ne contribuent pas à la construction d’un espace public selon une conception habermasienne ? 
Ils  sont loin de cela, il faudrait d’abord avoir des sociologues de la connaissance convaincus de leurs véritables missions historiques, à savoir que l’espace public est le champ prépondérant de la sociologie. 




 


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