Parole aux sociologues: Khadija Berady, chercheuse en sociologie des médias ! La société marocaine vit au rythme de nouvelles valeurs


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Mardi 29 Mai 2018

Libé : Comment évaluez-vous aujourd’hui les mutations et clivages de la société marocaine ?
Khadija Berady : En l’absence d’études approfondies qui expliquent ces mutations à tous les niveaux, que ce soit sur le plan politique, social ou économique, il serait difficile de parler de ces mutations que vit la société marocaine. Mais, nous constatons que plusieurs facteurs sociaux affectent ces mutations tels que : le système de gouvernement, le système éducatif, les changements du mode de vie, et surtout l’apparition  de nouvelles valeurs et de nouveaux concepts qui aboutissent à l’émergence de catégories contradictoires et différentes à la fois.
Malgré plusieurs réformes menées, tous azimuts un mécontentement social s’exprime lors des débats publics et qui dénote d’une crise de confiance entre le citoyen et les pouvoirs publics. Laquelle crise de confiance persiste depuis des années à cause de la logique répressive des libertés d’expression et des relations ambiguës entre l’Etat et ceux qui revendiquent des réformes plus profondes, tels que les militants des droits de l’Homme, les chercheurs, les journalistes, les acteurs associatifs, etc.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier la réticence des individus à participer politiquement à travers les partis politiques dont  la majorité n’a jamais donné l’occasion aux jeunes d’assumer des responsabilités ou de participer dans le processus de prise de décision au sein de leurs structures.

Que signifient pour vous les mouvements sociaux traversant le pays ?
Parmi ces mouvements sociaux, il y a les différents types de protestations devenues partie intégrante du paysage politique marocain. Ces mouvements traduisent un malaise social qui s’exprime par les sentiments de privation,  de marginalisation et d’exclusion. Mais c’est un mode alternatif plus fort que de voter aux élections ou d’assister aux activités des partis politiques ou des syndicats.
Actuellement, on est en train de vivre une période d’occupation totale de l’espace public par les citoyens de tout âge. Ainsi, le pôle d’attraction dans le processus des réformes espérées s’est déplacé des structures politiques, dont la légitimité dérive d’une manière ou d’une autre d’une logique classique qui n’attire plus les jeunes, vers une autre plateforme : la rue.

Sommes-nous dans une société qui va à la rencontre des principes d’«égalité des genres», de « liberté de culte» ou de «démocratie participative»?
La société marocaine repose principalement sur un schéma idéologique traditionnel, dont les valeurs et les relations sociales ne prennent pas en compte les règles de démocratie qui respectent les valeurs humaines universelles incarnées par les droits de l’Homme, et les libertés individuelles qui s’excluent réciproquement et respectent les valeurs des libertés collectives.
En ce qui concerne l’égalité entre la femme et l’homme, il faut reconnaître qu’il y a eu des réformes législatives en matière d’égalité des genres qui se sont malheureusement heurtées à la mentalité masculine traditionnelle, qui rejette la participation de la femme dans la vie sociale, politique et économique, et ceci établit une contradiction flagrante entre la réalité sociale et l’approche légale.

L’on reproche au champ médiatique d’être trop «contrôlé», que ce soit au niveau des médias publics ou privés. Quelle est votre appréciation?
Le champ médiatique dans son ensemble est soumis à de nombreuses pressions, contraintes et interventions. L’action médiatique est liée à des forces extérieures et intérieures, et plus particulièrement économiques basées sur la logique de l’offre et de la demande, donc aux lois du marché. Le champ médiatique souffre d’une domination commerciale croissante, au détriment d’un champ politique obsédé par la démagogie.
L’indépendance du champ médiatique est jour après jour, en déclin manifeste, d’autant plus que la transformation des médias en commerce affecte de manière significative son avenir.

Le sociologue analyse et diagnostique, mais il peut éventuellement proposer des suggestions dans ce sens ?
Nous traitons maintenant différents types de sociologues, et c’est l’objet de discussions actuelles en Europe et en Amérique. Il y a le sociologue-chercheur qui revient sur le terrain, et qui mène des recherches rationnelles et produit des ouvrages et des articles académiques, et le sociologue-enseignant qui explique les grandes théories sociologiques et transmet ce savoir aux étudiants universitaires. Le sociologue médiatisé, quant à lui, répond à tous les problèmes sociétaux dans les espaces médiatiques. Enfin, il y a le sociologue-expert qui travaille avec des bureaux d’études, des institutions de recherches et des établissements publics, à qui on demande d’établir des rapports, de soumettre des propositions et des solutions sur certains phénomènes.
En ce qui me concerne, le rôle principal du sociologue réside dans l’approche des différents phénomènes sociaux à travers des enquêtes de terrain quantitatives et qualitatives. Cela lui permet de diagnostiquer et analyser le problème et puis de faire des recommandations et non des suggestions, car, c’est au politique ou au décideur de présenter des suggestions et de les traduire dans les faits.


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