Où va la fiscalité européenne ?


Libé
Jeudi 16 Février 2023

Le 9 novembre 2022, la Commission européenne a publié un projet de réforme du cadre de gouvernance économique de l'Union européenne. Le document envisage, entre autres, une approche plus intégrée de la surveillance économique de l'UE, un renforcement de l'appropriation nationale, une simplification des règles de gouvernance des risques budgétaires et une meilleure application de ces règles. Mais les détails de la proposition soulèvent des doutes quant à la possibilité d'atteindre ces objectifs. Plus précisément, le volet budgétaire du cadre proposé laisse trois questions fondamentales sans réponse.

La première question est de savoir si les nouvelles règles permettraient d'éviter l'insolvabilité souveraine. En 2021, sept pays de la zone euro avaient une dette publique brute supérieure à 100% du PIB, ce qui signifie que ce n'est qu'une question de temps avant que les marchés financiers ne deviennent nerveux quant à la viabilité de la dette de certains pays. Or, la méthode proposée par la Commission pour faire face à l'endettement excessif est encore plus indulgente que l'ancienne méthode du Pacte de stabilité et de croissance (PSC).

Le projet rejette l'ancienne règle du «1/20e» pour la réduction de la dette au motif qu'exiger des gouvernements qu'ils réduisent chaque année leur dette de 1/20e de l'excédent dépassant 60% du PIB est trop exigeant. Au lieu de cela, la Commission souhaite que les États membres dont la dette est « importante » ou « modérée » négocient un plan budgétaire à moyen terme qui inclura une trajectoire de réduction de la dette. Le document ne précise pas la vitesse de l'ajustement budgétaire – qui sera détaillée ultérieurement dans la méthodologie de l'analyse de la viabilité de la dette (AVD) – ni les critères permettant de classer les problèmes d'endettement comme «substantiels», «modérés» ou «faibles».

Une deuxième question concerne la plus grande simplicité promise par le projet. Les anciennes règles étaient critiquées pour être trop compliquées et pour s'appuyer sur des catégories floues telles que la production potentielle ou les positions budgétaires corrigées des variations cycliques. Ces indicateurs étant difficiles à mesurer et à prévoir, leur production a toujours donné lieu à des hypothèses arbitraires et à des doutes méthodologiques.

Ici aussi, le nouveau cadre irait encore plus loin dans la mauvaise direction. Les Etats membres devront présenter un programme budgétaire à moyen terme fondé sur une trajectoire d'ajustement pluriannuelle que la Commission fournira après avoir effectué une analyse de viabilité à long terme. Ces propositions seront ensuite négociées avec la Commission avant de recevoir l'approbation finale du Conseil des affaires économiques et financières (ECOFIN).

A première vue, cette approche semble attrayante, car elle s'écarte de la pratique actuelle qui prévoit un objectif identique pour tous les pays. Mais, étant donné la nature obligatoire des programmes d'ajustement budgétaire, assortis de sanctions potentielles, une approche plus individualisée conduira inévitablement à beaucoup plus de négociations entre les États membres et la Commission (et potentiellement l'ECOFIN). Après tout, de nombreuses hypothèses et variables différentes pourraient entrer en ligne de compte dans les négociations, qu'il s'agisse de l'AVD, de la trajectoire de l'ajustement fiscal et de son impact sur la croissance, ou d'autres facteurs tels que les conditions macroéconomiques et les besoins fiscaux particuliers (comme ceux liés à la transition écologique).

Pour compliquer encore les choses, le nouveau cadre de surveillance fonctionnera en grande partie sur la base de prévisions, alors que l'ancien PSC contrôlait principalement des variables réelles. Il est évident que les projections économiques peuvent être sujettes à toutes sortes d'erreurs et d'hypothèses erronées. Par définition, elles ne peuvent pas prévoir les chocs inattendus, ce qui pose un évident problème dans le cas qui nous occupe.

Étant donné la nécessité d'élaborer une politique budgétaire conforme aux programmes budgétaires à moyen terme approuvés par la Commission (avec des sanctions potentielles en cas d'échec), les États membres seront fortement incités à négocier des voies d'ajustement moins ambitieuses et à proposer des prévisions macroéconomiques plus optimistes. Et tandis que la Commission essaiera de faire pression en faveur de voies plus ambitieuses pour éviter le risque de crises budgétaires, les États membres auront l'avantage de l'information dans ce processus excessivement complexe, car ils connaissent mieux que quiconque les conditions nationales. Or, nous savons déjà par expérience que les États membres plus grands et politiquement influents auront tendance à bénéficier d'un traitement favorable.

La troisième question concerne le manque d'appétit politique pour faire respecter les règles budgétaires. Entre 1997 (deux ans avant l'introduction de l'euro) et 2021, le déficit public dans les pays de la zone euro a dépassé 3% du PIB (le niveau maximal établi par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne) dans 143 observations sur 394.

De même, la dette brute des administrations publiques a dépassé la limite de 60% du PIB 229 fois sur 394 observations. L'Autriche, la Belgique, la Grèce et l'Italie n'ont jamais enregistré une dette brute inférieure au seuil, et la France ne l'a fait que deux fois (en 2000 et 2001). La dette du Portugal a dépassé la limite pendant 20 ans, et celle de l'Allemagne pendant 19 ans. Le nombre de membres de la zone euro dont la dette est supérieure à 60% du PIB n'a cessé d'augmenter, pour atteindre 12 sur 19 en 2021.

Plus important encore, malgré les nombreuses violations des limites de déficit et de dette fixées par le traité, les sanctions financières envisagées dans le PSC n'ont jamais été adoptées. Il est clair que les États membres de la zone euro ont un problème d'action collective, qui devra être abordé de front par tout débat sur la discipline budgétaire future. (Dans cette optique, la proposition de la Commission d'introduire des sanctions liées à la réputation semble également problématique, tant en termes d'efficacité potentielle que d'acceptation politique).

La discipline budgétaire est essentielle pour la stabilité de l'euro et, plus largement, pour la stabilité financière et macroéconomique de l'UE. Tout nouveau cadre doit minimiser le risque de retombées négatives et de contagion transfrontalières, décourager le parasitisme et s'attaquer au risque d'aléa moral. Malheureusement, les nouvelles propositions de la Commission sont loin d'être à la hauteur.

Par Marek Dabrowski
Chercheur non résident à Bruegel et professeur invité à l'Université d'Europe centrale de Vienne


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