Observations sur le dernier rapport annuel du Conseil national des droits de l’Homme


Par Hicham Madacha
Mardi 7 Juillet 2020

Observations sur le dernier rapport annuel du Conseil national des droits de l’Homme
Le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) a rendu public en mars dernier son rapport annuel au titre de l’année 2019. Ce rapport a suscité de nombreuses réactions et débats aussi bien sur la méthodologie adoptée qu’en ce qui concerne sa teneur. Nous allons essayer dans cette étude de présenter quelques remarques qui ne mettent pas en question –loin de là- l’importance de ce rapport ou déprécient le travail de ceux qui l’ont élaboré. Notre objectif principal est de prendre part à ce débat national à propos de la situation des droits de l’Homme dans notre pays loin de toute surenchère ou de dépréciation du travail des autres et d’attirer l’attention sur d’éventuelles lacunes dans le travail de cette institution constitutionnelle, considérée comme un acquis qu’il faut  développer au niveau central et régional pour qu’elle soit effectivement une institution nationale pluraliste, indépendante veillant à la protection et au respect des droits de l’Homme et des libertés.
L’une des remarques évoquées par plusieurs observateurs est celle concernant la nature de ce rapport : S’agit-il d’un rapport global de la situation des droits de l’Homme dans notre pays ou d’un bilan de l’action du CNDH ou les deux à la fois ? Ce qui justifie une telle remarque est précisément la teneur de l’article 160 de la Constitution et de l’article 35 de la loi relative à la réorganisation du CNDH.
En effet, l’article 160 de la Constitution dispose que « toutes les institutions et instances visées aux articles 161 et 170 de la présente Constitution doivent présenter un rapport sur leurs activités, au moins une fois par an. Ces rapports font l’objet d’un débat au Parlement ».
Par ailleurs, l’article 35 de la loi 76-15 relative à la réorganisation du CNDH souligne que cette institution soumet à S.M le Roi un rapport annuel sur l’état des droits de l’Homme dans le Royaume et elle lui soumet, le cas échéant, des rapports spéciaux et thématiques sur tout ce qui est de nature à contribuer à une meilleure protection et à une meilleure défense des droits de l’Homme. Une copie de ces rapports est transmise au chef du gouvernement, au président de la Chambre des représentants et au président de la Chambre des conseillers. Le CNDH œuvre également à les publier et à en informer le public. Et en application des dispositions de l’article 160 de la Constitution, le président du CNDH présente, au moins une fois par an, un rapport d’activité. Lequel rapport fait l’objet d’un débat au Parlement. Tous ces rapports doivent être publiés au Bulletin officiel.
D’après l’article 35 de la loi relative à la réorganisation du CNDH, celui-ci est tenu d’élaborer trois types de rapports : 
1- Le CNDH élabore un rapport annuel sur l’état des droits de l’Homme dans le Royaume. Lequel rapport est soumis à S.M le Roi et une copie est transmise au chef du gouvernement et aux présidents des deux Chambres du Parlement. Le CNDH rend public ce rapport annuel.
2- Le CNDH élabore également un rapport, au moins une fois par an, sur les activités du Conseil. Ledit rapport fait l’objet d’un débat au Parlement conformément à l’article 160 de la Constitution (le dernier rapport que le CNDH avait présenté au Parlement était celui de 2014).
3- Cette institution est tenue également d’élaborer, le cas échéant, des rapports spéciaux et thématiques sur tout ce qui est de nature à contribuer à une meilleure protection et à une meilleure défense des droits de l’Homme. Ces rapports sont soumis à S.M le Roi et une copie de ceux-ci est transmise au chef du gouvernement et aux présidents des deux Chambres du Parlement. Le CNDH œuvre à les publier et à en informer le public.
A notre avis, le CNDH est censé préparer trois types de rapports : 
a) un rapport annuel sur l’état des droits de l’Homme au Maroc dont l’objectif est d’évaluer la situation des droits de l’Homme et les progrès réalisés par notre pays dans ce domaine, et de dévoiler les raisons des défaillances, des lacunes et des échecs ; 
b) un rapport annuel dans lequel cette institution fournit des informations sur ses activités de manière transparente en vue d’évaluer si elle a correctement exercé ses fonctions et ses prérogatives ;
 et, enfin, le CNDH est tenu de préparer des rapports spéciaux et thématiques sur tout ce qui pourrait contribuer à une meilleure protection et à une meilleure défense des droits de l’Homme.
Théoriquement parlant, l’on peut classer le rapport du CNDH qu’il a rendu public en mars dernier dans le type des rapports concernant l’état des droits de l’Homme au Maroc, et ce pour plusieurs raisons :
1- L’intitulé du rapport lui-même : « Rapport annuel sur l’état des droits de l’Homme au Maroc au titre de l’année 2020 ».
2- Dans la présentation de ce rapport, la présidente du CNDH évoque seulement l’état des droits de l’Homme : « Le CNDH établit son rapport annuel sur l’état des droits de l’Homme dans notre pays. Il constitue une opportunité pour tous les acteurs pour évaluer, avec suffisamment de distanciation et de perspicacité, les moments forts qui ont marqué les événements ayant un rapport avec les droits de l’Homme au Maroc en un an ». Elle a expliqué que l’un des objectifs de ce rapport consiste à fournir au lecteur un ensemble d’informations fiables et vérifiées et, partant, à évaluer les progrès réalisés par notre pays dans le domaine des droits de l’Homme et à dévoiler les raisons des faux pas, des lacunes et des échecs.
3- Dans l’introduction du rapport lui-même (page 8) on note ce qui suit : « Le rapport vise à procéder à une évaluation objective et à une analyse globale de l’état des droits de l’Homme dans notre pays  dans le cadre des prérogatives conférées au Conseil dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l’Homme… » et que ledit rapport « …sera soumis à S.M le Roi et une copie sera transmise au chef du gouvernement et aux présidents des deux Chambres du Parlement. Et le Conseil ouvrera à le publier et à en informer le public… ».
Par ailleurs, le rapport reconnaît également qu’il dresse « un bilan des activités du Conseil pendant une année dans le cadre des missions et prérogatives qui lui ont été conférées », c’est-à-dire qu’on peut ranger le rapport dans le deuxième type des rapports élaborés par le Conseil et qui font l’objet d’un débat au Parlement conformément à l’article 160 de la Constitution. Cela mettra, bien évidemment, le lecteur devant une sorte de confusion et d’ambiguïté, puisqu’il trouve une grande difficulté pour séparer, dans le rapport, les éléments concernant le bilan de l’état des droits de l’Homme et ceux ayant rapport au bilan des activités du CNDH. Et ce qui sème encore la confusion chez le lecteur, c’est que le rapport souligne dans son introduction que le CNDH « présentera, à une date ultérieure, un rapport sur les activités du Conseil qui fera l’objet d’un débat au Parlement ». 
 D’aucuns estiment qu’il ne faut pas faire une ligne de démarcation entre les deux types de rapports, étant donné que le fait de dresser le bilan des activités du Conseil conduit inévitablement à parler de l’état des droits de l’Homme dans notre pays. Pourtant, cette opinion contredit la volonté du législateur qui avait fait clairement la distinction dans l’article 35 de la loi relative à la réorganisation du CNDH entre les deux types de rapports.
Par conséquent, le lecteur ne peut pas distinguer clairement dans le rapport du CNDH entre l’état des droits de l’Homme dans notre pays et le bilan des activités du Conseil, car il y a une confusion méthodologique entre les deux types de rapports ou l’omission ou l’absence de l’un d’eux au détriment de l’autre dans certaines parties et axes du rapport. Il serait, donc, préférable de faire la distinction prochainement entre les deux types de rapports pour les considérations que nous avons déjà évoquées et conformément aux dispositions de l’article 35 de la loi relative à la réorganisation du CNDH.
 
La faiblesse de la dimension régionale
La régionalisation est l’une des réformes structurelles profondes et ambitieuses visant à changer la structure même de l’Etat, à démocratiser davantage la gestion des affaires publiques et à faire converger les politiques nationales, sectorielles et territoriales, comme l’a bien souligné S.M le Roi dans plusieurs de ses discours. Ainsi le Souverain a souligné dans son discours prononcé à l’ouverture de la première session de la 2ème année législative en octobre 2017 que « la régionalisation n’est pas seulement un ensemble de lois et de procédures administratives. Elle est, fondamentalement, l’expression d’un changement profond dans les structures de l’Etat ; elle est aussi le support d’une approche pratique en matière de gouvernance territoriale ». Personne ne peut ignorer ou nier le rôle que le CNDH pourrait jouer dans le suivi et le contrôle de la situation des droits de l’Homme au niveau régional. 
1- Le CNDH et la régionalisation : 
La loi relative à la réorganisation du CNDH stipule que celui-ci exerce ses attributions en toute indépendance dans toutes les questions se rapportant à la protection et au respect des droits de l’Homme et des libertés. Il veille, à cet effet, à l’observation, à la surveillance et au suivi de la situation des droits de l’Homme aux niveaux national et régional. Le CNDH procède, dans le cadre de ses missions de protection, à l’observation des violations des droits de l’Homme dans toutes les régions du Royaume. Pour mener à bien cette tâche, le CNDH dispose des commissions régionales des droits de l’Homme qui exercent, sous l’autorité du président du CNDH, leurs attributions au niveau du ressort territorial de chaque région.
Ces commissions régionales (selon le règlement intérieur du Conseil) disposent de trois comités permanents, à savoir un comité permanent pour la protection des droits de l'Homme, un autre pour la promotion des droits de l'Homme et un troisième pour suivre et évaluer l’intégration des droits de l'Homme dans les politiques et programmes régionaux. Ces comités sont chargés de suivre la situation des droits de l'Homme et de réaliser les rapports et les actions qui leur sont confiés par le président de la commission régionale. Les présidents des commissions régionales, sous l'autorité du président du Conseil (...), soumettent au président du Conseil des rapports spéciaux ou périodiques sur les mesures prises concernant le traitement des plaintes relevant de la compétence de la commission, en plus d’observer et de suivre la situation des droits de l'Homme au niveau de la région et d’aviser immédiatement les instances du Conseil au niveau central, et de préparer des rapports thématiques sur les questions des droits de l'Homme au niveau de la région, sous l’autorité du président du CNDH.
Le but de rappeler ces dispositions n’était pas d’énumérer les attributions du Conseil et de ses commissions régionales, mais de montrer que la volonté du législateur de donner une dimension régionale à l’action du CNDH n’était pas arbitraire, mais elle est en parfaite harmonie avec l’un des choix stratégiques de l’Etat. Par conséquent, le Conseil a été autorisé à créer des commissions régionales en vue d’observer et de suivre la situation des droits de l’Homme au niveau régional, de suivre et d’évaluer l’intégration des droits de l’Homme dans les politiques et les programmes régionaux, d’élaborer des rapports spéciaux ou périodiques et des rapports thématiques sur les questions des droits de l’Homme au niveau de la région.
 
2- Le rapport du CNDH et la faiblesse de la dimension ou l’approche régionale
La présidente du CNDH a mis l’accent, dans la présentation du rapport, sur la politique de proximité et le suivi des politiques publiques au niveau régional. Ainsi, elle a souligné : « Le Conseil a tenu des rencontres avec les citoyennes et les citoyens soit au niveau central soit à travers ses 12 commissions régionales dans le cadre d’une vraie politique de proximité pour suivre les politiques publiques au niveau régional ». Pourtant, en examinant le contenu du rapport, on s’aperçoit que la dimension régionale n’était pas fortement présente dans ledit rapport, pour ne pas dire qu’elle était faible voire absente dans sa philosophie et sa méthodologie, et même au niveau des données et du contenu, à l’exception de quelques domaines et axes où l’on remarque la présence plus ou moins de l’approche régionale dont notamment : 
° L’axe concernant les plaintes : On a présenté, dans cet axe, des données relatives aux plaintes selon les régions comme le fait de mentionner que le nombre des plaintes déposées auprès des commissions régionales (1216 plaintes) est plus important que celles déposées auprès du Conseil lui-même (3150), de même pour le nombre de personnes reçues (sur un ensemble de 4585 personnes, 3799 sont reçues seulement par les commissions régionales). Tout cela a été étayé par des graphiques, des chiffres et des pourcentages. 
Malheureusement, le rapport n’est pas allé loin dans l’adoption de cette approche, car l’on aborde en même temps dans cet axe les plaintes relatives aux lieux de privation de liberté qui ont été transmises directement aux commissions régionales pour les examiner et les traiter dans le cadre de la mise en œuvre du principe de la proximité et les plantes reçues par les commissions régionales et concernant les mêmes sujets ayant rapport avec les lieux de privation de liberté. Mais le rapport ne donne aucune précision concernant les commissions régionales auxquelles ont été transmises des plaintes ni celles qui ont reçu directement les plaintes. 
* Il en va de même en ce qui concerne l’observation des procès : Le Conseil et ses commissions régionales ont observé 53 procès au cours de l’année 2019. Certains procès sont liés au droit à la manifestation sur la voie publique, d’autres sont liés aux droits individuels, à la liberté d’expression et à la protection des personnes. Il s’agit également des procès qui ont suscité l’intérêt de l’opinion publique nationale et internationale. Cependant, le rapport ne mentionne pas les régions où ces procès ont eu lieu et la part de chaque région. La même chose en ce qui concerne la situation des jeunes filles. A titre d’exemple, le rapport évoque les rencontres de sensibilisation organisées par les commissions régionales à propos de la révision de l’article 20 du Code la famille concernant l’autorisation du mariage des garçons et des filles avant l’âge de la capacité matrimoniale, mais ne précise pas le nombre des rencontres ni les régions où ont été organisées lesdites rencontres. Le choix du titre du rapport « Effectivité des droits de l’Homme dans un modèle émergent de libertés » donne l’impression que ledit rapport favorise la dimension régionale et locale dans son approche et ses évaluations des droits et des libertés et, partant, nous attendions que cela soit reflété dans le rapport par exemple dans :
*  L’axe relatif aux droits des femmes et des filles : Le Conseil parle de la campagne nationale qu’il a lancée concernant la question du mariage des mineures. Durant cette campagne, le CNDH et ses commissions régionales ont organisé une série d’activités de sensibilisation et des tables rondes sans pour autant préciser les régions qui ont bénéficié de ces activités ni la réalité concernant ce sujet dans chaque région.
*  L’axe relatif aux droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux : le rapport évoque l’organisation des rencontres organisées par les commissions régionales sur le thème de l’effectivité des droits et des libertés au Maroc. Il consacre des axes pour parler des droits à l’éducation, à la santé et à l’eau, étant donné que ces droits suscitent son intérêt et ont un lien étroit avec les mouvements de protestation éclatés dans de nombreuses régions du Maroc. Le Conseil a noté dans son rapport des réticences dans un certain nombre de domaines. Malheureusement, il n’a pas pipé un mot sur les régions qui ont été victimes de ces réticences et qui font face aux problèmes et aux obstacles dans la mise en œuvre effective de ces droits tels que l’éducation, la santé ou l’emploi.
* En ce qui concerne le droit à l’éducation et l’enseignement : Le rapport aborde deux problématiques liées à ce droit, à savoir la déperdition scolaire et l’enseignement primaire. Bien qu’il ait cité des données fournies par des institutions officielles, le rapport n’a pas fait allusion aux régions les plus confrontées à ces deux problématiques. Le rapport a également traité la question de l’intégration de l’amazigh dans l’éducation, notant que cette intégration « n’a enregistré aucune avancée, et l’on peut parler parfois de régressions en ce qui concerne par exemple le processus de généralisation de l’enseignement de la langue amazighe dans de nombreuses directions régionales et provinciales », mais le rapport ne cite pas ces régions et ces provinces.
Il en va de même en ce qui concerne le droit à la santé. Bien que le Conseil ait enregistré des manques importants au niveau du réseau hospitalier et qu’il y ait une disparité aux niveaux spatial et territorial, en plus de la faiblesse de l’encadrement médical, il n’a pas non plus précisé les régions qui font face à ces problèmes. La même observation s’applique au droit au travail. En effet, le Conseil n’a pas fourni de données et de détails sur la mise en œuvre de ce droit et les problèmes entravant son application au niveau de chaque région. 
*  L’axe concernant la promotion de la culture des droits de l’Homme : La promotion des droits de l’Homme est la deuxième tâche principale des institutions nationales des droits de l’Homme et qui est explicitement énoncée dans les Principes de Paris. Cette promotion vise la création d’une société dans laquelle l’on reconnaît et l’on respecte les droits de l’Homme. A cet égard, le Conseil et ses commissions régionales exercent plus d’attributions qui s’inscrivent dans ce cadre. Si le rapport fait allusion à la nature de ces activités, il a complètement passé sous silence les régions qui ont bénéficié de ces activités. 
Ce sont quelques-uns des exemples qui illustrent la faiblesse, voire l’ « absence » de la dimension et de l'approche régionale dans le rapport du CNDH, ce qui nécessite à l'avenir la révision de la philosophie et de la méthodologie de ce rapport pour donner une image plus claire et plus précise des réalités des droits de l'Homme au niveau de chaque région, et aussi pour montrer l’intégration des droits de l'Homme dans les politiques et les programmes régionaux, ou du moins les joindre ou faire référence à des rapports spéciaux ou périodiques et thématiques sur les questions et la situation des droits de l'Homme au niveau de chaque région. Lesquels rapports sont censés être élaborés par les commissions régionales comme stipulé dans le règlement intérieur du Conseil. Cela nous permettra de connaître la réalité et la situation des droits de l'Homme dans chaque région. Dans ce contexte, j’attire l'attention sur le manque de réactivité avec la recommandation émise par le Forum parlementaire des régions organisé par la Chambre des conseillers, lors de sa première session tenue en juin 2016 et la deuxième tenue en novembre 2017. Ladite recommandation appelle le CNDH à parachever la création d'un label pour la région en matière de droits de l'Homme, tout en intégrant des critères liés à l'évaluation de la transversalité des politiques publiques au niveau territorial.
 
Remarques supplémentaires
Nous voudrions maintenant passer en revue six (06) remarques supplémentaires de manière concentrée et très concise à propos du rapport annuel du CNDH. Nous comptons aborder les autres remarques ultérieurement. 
Pour ce qui est du présent article, nous signalons que le rapport a abouti à un certain nombre de remarques générales intéressantes qui méritent d’être signalées :
a. Ce qui a trait aux libertés individuelles : on a enregistré un grand écart entre la consécration par la Constitution –lettre et esprit- des libertés individuelles et la faiblesse de l’arsenal juridique qui garantit à tous d’en jouir effectivement. 
b. La faible considération des droits de l’Homme dans les politiques publiques : on a enregistré une continuation de cette baisse d’intérêt dans les domaines économique, social, culturel et environnemental. Le rapport considère que le cumul déficitaire dans ces domaines est l’une des principales raisons responsables de l’augmentation des différentes formes de protestation aussi bien classiques que nouvelles dans plusieurs régions en raison de la redistribution non égale du fruit du développement économique. En outre, ces politiques publiques ont donné lieu à beaucoup de disparités territoriales et sociales que les politiques de développement n’ont pas pu réduire.
c.  L’inquiétude relative au respect des normes internationales concernant la manière de gérer un certain nombre de tensions nouvelles à notre société. 
Quant aux cinq remarques, nous les présentons comme suit :
1) Droits de l’Homme et médias ou simple relevé de ce que la presse a publié sur le Conseil ? 
Le rapport annuel du Conseil national des droits de l’Homme de l’année 2019 a consacré un axe portant le titre « Droits de l’Homme et médias » (quatrième axe). Ce dernier laisse croire que l’axe abordera la question des droits de l’Homme dans les médias dans le sens de relever les exactions et les violations commises par les médias dans le domaine des droits humains telles que l’atteinte à la dignité humaine, l’atteinte à la présomption d’innocence, les conditions du procès équitable lors de la couverture médiatique de certains événements, l’atteinte à l’image de la femme et la consécration d’une image stéréotypée d’elle, de l’enfant et des étrangers, la violation des droits des enfants, l’injure et la diffamation, la diffusion de discours de haine, la promotion de propos ségrégationnistes ou racistes, l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image et autres exactions que les médias commettent à travers différents supports… », ou qu’il tâchera, au contraire, de relever l’image positive de ce que les moyens de l’information et de la commission utilisent pour diffuser et consacrer la culture des droits de l’Homme. 
Or l’axe n’est rien qu’une simple compilation de ce qui est écrit dans la presse notamment les journaux de format papier et quelques sites électroniques en rapport avec les questions des droits de l’Homme et des différentes activités du Conseil. De la sorte, cet axe contient : 
-Des données de quelques articles publiés dans les journaux nationaux (format papier ou électronique) que le Conseil a relevées en raison de l’intérêt qu’elles ont suscité. 
-La couverture médiatique réservée aux différentes activités du conseil fondamentalement informative (97% du total des articles) ainsi qu’un portrait de la présence du Conseil dans le numérique.
Il est à noter que cet axe est dominé par l’aspect « marketing » de l’image du Conseil car il insiste sur la mise en relief de ces activités et l’ampleur de sa présence dans la presse nationale et sur les sites électroniques –ou plutôt les journaux numériques voudrait dire le rapport- et aussi dans l’espace numérique. Par conséquent, il aurait été pertinent que cet axe, tel qu’il a été pensé et formé, fasse partie du rapport consacré au bilan des travaux du Conseil. Il aurait été préférable, également, qu’il prenne comme titre « Présence du Conseil dans les médias » sans qu’il soit intégré dans un rapport traitant de la situation des droits humains.
Il est à signaler que cet axe se focalise vraisemblablement sur la presse papier et numérique (et non pas sur les sites électroniques sans en spécifier la nature) tout en excluant les médias audiovisuels nationaux. Nous pensons, en revanche, qu’il aurait été judicieux pour le Conseil de solliciter la coopération de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle en raison de sa spécialisation et aussi de son expérience et des moyens logistiques, techniques et humains dont elle dispose, susceptibles de lui permettre l’élaboration d’un axe qui localise réellement la question des droits humains dans les médias. 
Dans ce sens, nous voudrions attirer l’attention qu’il est nécessaire de penser sérieusement la question de coopération possible entre le CNDH et les institutions de gouvernance afférentes, dans la perspective de réaliser une certaine complémentarité, d’optimiser l’effort et de rationnaliser les moyens, ce qui permettra de promouvoir les droits de l’Homme au Maroc en en relevant les violations et les dérives en même temps qu’en en assurant la diffusion.
2) Absence des rapports annuels des dispositifs nationaux
La Loi 76.15 relative à la réorganisation du Conseil national stipule que chacun des coordinateurs des dispositifs nationaux prépare un rapport annuel sur le bilan de ses activités, adjoint au rapport annuel du Conseil. Toutefois, il n’y est fait aucune mention des rapports annuels de ces mêmes dispositifs, de même que la création d’un site électronique relatif au dispositif de la torture dont nous n’avons trouvé aucune trace jusqu’à la rédaction de ces lignes. 
3) Divergence des termes et des notions 
Dans plusieurs parties du rapport, on se trouve face à des termes incohérents et des notions peu normalisées. Tantôt le rapport parle de sites électroniques de manière absolue et sans en spécifier la nature, tantôt il évoque les journaux numériques. Dans certains cas, il emploie des notions comme la manifestation, la protestation pacifique, les tensions, les mouvements protestataires, les protestations sociales, ou encore les manifestations et les rassemblements aux côtés d’expressions telles que « manifester dans l’espace public », « les manifestations pacifiques », « les marches ». Aussi, il met en liaison certains événements avec l’endroit où ils ont eu lieu : « Protestations d’Al Hoceima », « Protestations d’Al Hoceima et de Jerada », ce qui rend le rapport ambigu et crée une confusion notionnelle quant à la qualification de certains événements. 
4) Tâtonnement/retard dans l’exécution des recommandations de l’Instance Equité et Réconciliation (IER) :
Le rapport indique, entre autres, que Sa Majesté le Roi a chargé l’ex-Conseil consultatif et actuel Conseil national, en date du 6 janvier 2006, de suivre l’exécution des recommandations de l’IER y compris celles relatives à la divulgation du sort des victimes de la disparition forcée, à la préservation des lieux de commémoration, à la réparation financière, à l’intégration sociale, à la régularisation administrative et à la couverture maladie des victimes et de leurs ayants droit. Aussi, il a été prôné d’accélérer les recommandations de l’IER et de la Commission de suivi dans les domaines de la réparation du préjudice individuel, de la divulgation de la vérité, de la gouvernance sécuritaire et de faire bénéficier les victimes de violations graves, dans le passé ainsi que leurs ayants droit, des programmes lancés par le gouvernement visant à assister les catégories sociales en situation de vulnérabilité. En revanche, il n’a pas été fait allusion au sort des dossiers hors délai dont certaines propositions de solution avaient été présentées par l’ex-Conseil.
Quelles que soient les approches adoptées par le Conseil dans l’exécution des recommandations de l’IER, il faudrait signaler qu’il ne peut y avoir de « justice transitoire continue » dans le temps. Le tâtonnement/retard (16 ans après la création de l’IER) accusé dans l’exécution des recommandations de cette instance nécessite que le Conseil le traite avec davantage d’efficacité, au risque de remettre en question les objectifs et finalités qui ont fait naître l’Instance comme la réconciliation, la rupture avec le passé, la réparation du préjudice et la commémoration afin que l’histoire ne se répète pas. 
5) Occultation des difficultés ou obstacles auxquels le Conseil a fait face :
La loi relative à la réorganisation du Conseil stipule que le rapport annuel contient les difficultés et obstacles susceptibles d’empêcher le Conseil ainsi que ses dispositifs nationaux et commissions régionales d’accomplir leurs missions. Le rapport contient également la présentation de recommandations susceptibles de franchir ces obstacles ; hélas, aucune donnée ni allusion ne sont faites dans le rapport aux difficultés et obstacles ayant entravé le Conseil, les dispositifs nationaux et les commissions régionales dans l’accomplissement de leurs travaux.
6) Manque de données relatives à certaines violations et l’effectivité de certains droits et libertés tels que : 
a- La liberté d’opinion et d’expression : le Conseil a relavé un nombre de poursuites judiciaires à cause de la publication de contenus notamment à travers les réseaux sociaux et s’est préoccupé de la condamnation des poursuivis par des peines privatives de liberté particulièrement quand il s’agit de formes d’expression jouissant de la protection de la communauté internationale des droits de l’Homme. Cependant, le rapport ne présente ni chiffres, ni la nature des contenus pour lesquels ils sont poursuivis. 
b- Le droit à l’éducation : le rapport dresse un ensemble de remarques et de difficultés en rapport avec ce droit comme l’augmentation continue des cas de déperdition scolaire, la transformation de certains établissements privés en des entreprises commerciales visant le profit en premier lieu tout en considérant que le système éducatif ne correspond pas aux besoins du marché du travail. Le rapport focalise sur le préscolaire, le primaire et le secondaire sans parler des difficultés relatives à la mise en application du droit à l’enseignement au niveau universitaire. 
c- Les droits culturels : le rapport a abordé la situation de l’amazigh dans différents domaines, mais il a omis de parler de son statut dans les médias. 
Enfin, nous signalons que, quand bien même le Conseil a choisi pour son rapport le titre « L’effectivité des droits de l’Homme au sein d’un modèle émergent de libertés »,  a déclaré qu’il fera de la question de l’effectivité des droits une approche qu’il adoptera dans l’évaluation des politiques publiques, s’est basé sur des orientations stratégiques fondées sur l’effectivité des droits et a jugé de faire de la plaidoirie le socle de sa stratégie de travail pour la période 2019-2021.Il faut dire le rapport n’est pas allé loin pour cerner la question de l’effectivité des droits et des libertés que nous ne saurons détailler ici. Aussi, le Conseil a exprimé sa volonté d’effectuer une évaluation objective et une analyse globale de l’état des droits de l’Homme dans notre pays en lien avec les missions dont il est chargé. Dans ce sens, il opte pour une approche qui respecte son statut en tant qu’établissement autonome, pluriel avec des compétences élargies, mais il demeure légitime de poser les questions suivantes :
- Est-ce que le rapport a réussi à réaliser une évaluation objective et globale de la question des droits de l’Homme ?
- Est-ce que le rapport a effectué une évaluation réelle et globale de la capacité de l’effectivité des droits à changer la réalité et à faciliter l’accès des citoyennes et des citoyens aux droits essentiels ? 
- Est-ce qu’on a dépassé l’approche consistant à limiter la question de l’effectivité des droits et des libertés à l’interrogation des textes de loi ?
Le Conseil a-t-il réussi ? A-t-il échoué ? C’est ce à quoi nous essaierons de  répondre dans un autre article. 
 
 * Universitaire spécialiste des sciences
 politiques et du droit publi
 


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