-Laila Alotman est une femme de lettres
koweïtienne.
Jabra Ibrahim Jabra dit d’elle: ses nouvelles...
brillent telle la lame d’un couteau. Elle vous affronte et vous oblige à revoir votre propre expérience, et à être sincère envers
vous-même. Ses histoires sont également une sorte de plongée dans les
profonds de l’être pour en
extraire un moment
d’examen de soi.
Le moment où l’on
affronte soi-même.
A la fin du 20ème siècle, les “gardiens de la vertu” décidèrent de la passer en jugement. Son crime ? Ecrire sur l’amour. Nous laissons aux lecteurs le soin de réfléchir sur cette affaire.
«La folie est la seule vérité absolue dans ce monde. Je pense que tous les fous et les pensionnaires des asiles sont dignes d’être les chefs de ce monde»
Elle vécut des journées douloureuses. Te voilà Souailih autorisé à pénétrer à la maison quand tu voudras, devancé par la mélodie de tes jouets avec un diadème en plumes sur la tête. La barrière est tombée, et au lieu de t'ordonner de quitter la maison, sa mère lui ordonnait, à chacune de tes visites :
- Lève-toi, Aicha, donne-lui un verre d'eau et un gâteau ! Et d'autres ordres encore qui lui perçaient le cœur:
- Ne le réprimande pas ! Ne te moque pas de lui !
Elle réprimandait plutôt sa douleur, se montra tendre envers toi. Elle te regardait pendant que son frère te faisait jouer "au ballon" ou te demandait de t’asseoir auprès de lui pour te raconter les histoires d'autrefois. Son frère également avait pitié de toi ; mais une pitié qui se transformait toutefois en brutalité chaque fois que tu te mettais à crier, ou que tes danses étranges devenaient plus agitées. Il te réprimandait, quand tu n'obéissais pas. Il te terrassait par terre, te foulait la tête jusqu'à ce que tu te lamentasses et que tu promisses d'être docile.
Tandis qu’elle, elle suivait le spectacle, se rendait compte de ta faiblesse, et remarquait tes yeux rouges, pleins de colère, fixés sur son visage, plongeant dans le fond de ses yeux.
Tes yeux d'où jaillissaient l'amertume de l'humiliation et la défaite du misérable que tu étais devenu.
Elle s'approchait de son frère Fahd et le suppliait.
- Ça suffit Fahd, ça suffit !
Il te demandait en t’écrasant toujours la tête de son pied :
- C'est vrai Souailih, tu te calmeras ?
Tes crachats se répandaient. Tu riais. Tu répondais de la tête que oui, le pied de Fahd te libérait alors. Tu te mis debout et tu t'assis en ayant le regard sur elle ; un regard plein de remerciement et d'amour. Tandis que le sien n’exprimait que faiblesse et impuissance.
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Toutes les maisons te sont ouvertes à présent, Souailih. Voilà que leurs propriétaires te ramassent maintenant les boîtes vides et les verroteries et les morceaux de tissu dont tu confectionnes des lacets que tu noues autour de ta taille en guise de ceinture. Tu danses dans la cours jusqu'à ce que tes yeux s'enflamment, et ta salive coule, tandis que les gens rient en serrant leurs enfants contre la poitrine, par précaution ou de peur que tu ne leur fasses mal.
Sa mère, aussi ne lui interdit plus de rester avec toi, sans toutefois oublier de lui faire un signe, lui rappelant que tu es aliéné, et qu'elle court un danger en ta présence. Pour ne pas la contrarier, elle confirme de la tête.
Elle se tait et au fond d'elle, elle est sûre que tu ne lui feras jamais de mal, elle t'offre un sourire tendre.
Et toi, tu t'assieds près d'elle, tu chantes d'une voix triste qui lui donne l'impression qu‘elle est destinée à elle seule. Tu choisis tes chansons qu'elle considère comme des lettres d'amour que tu lui adresses, tu restes calme. Seuls tes yeux s’épanouissent telles des fleurs. Ce regard qui, semblable à deux colombes, se pose sur son visage pâle et y amène le printemps, la tranquillise. Elle souhaite qu’en ce moment où tu es en face d’elle tu possèdes toutes tes facultés. Elle n'arrive pas à croire... Pourtant tout ce qu'elle voit et entend révèle et confirme ta maladie. Même son frère Fahd te maltraite et ne s'amuse plus avec toi. Son amour pour toi se transforme en pitié, puis en brutalité et mépris. Elle le voit souvent monter sur ton dos et t'ordonner de marcher sur le sol poussiéreux de l'enclos ; et souvent le sang coule de ton genou. Dans la rue, il te traite en brebis. Il te donne l'ordre de bêler pendant que les enfants te ridiculisent et introduisent de l'herbe dans ta bouche.
Tu es dorénavant fou Souailih et ta folie va jusqu'à railler les gens. Tu dis un jour à l'un des enfants qu’après avoir surpris son papa dans le bain, tu as remarqué qu'une queue lui poussait. Le jour même, son père arriva hors de lui, il se saisit de toi, introduisit les doigts dans ta bouche et te déchira les lèvres jusqu'à faire jaillir le sang. Il continuait cependant de te menacer.
-Vois-tu démon ? Veux-tu que je te fonde tout le visage pour que tu te taises, et que tu ne recommences plus ?
Ceux qui assistèrent à la scène et parmi eux son frère Fahd, affirmèrent qu'à cause de la douleur, des larmes rouges jaillirent de tes yeux, et que tu crachais des boules et des boules de sang, une fois les ---doigts de l'agresseur furent hors de ta bouche. Cependant, malgré tout, tu éclatas d'un rire bruyant, plaisantant avec l'homme, tout en promettant de ne plus recommencer.
- Je ne reparlerai plus, mais dis-moi comment la queue t'a poussé !
Avant qu'il ne te saisisse de nouveau, tu trottinais avec les boîtes qui tintaient à ton cou bruyamment. Les enfants criaient derrière lui.