Le grand écrivain et nouvelliste syrien, Zakaria Tamer, a commencé sa vie en tant que forgeron acariâtre à la cité Albatha. De là, cigarette habituelle à la bouche, toujours secoué par sa toux perpétuelle, il se lança dans le domaine de l’écriture. Il ne quitta point son métier d’origine. Au contraire, comme dirait plus tard son compatriote le poète Mohamed Elmaghote, il restera toujours le forgeron acharné qu’il était, mais dans une patrie en poterie. Ainsi ne tardera-t-il pas à tout renverser. Rien ne lui résistera sauf les cimetières et les prisons parce que fort protégés.
Il publia de nombreux recueils de nouvelles que les critiques et essayistes considèrent parmi les meilleures nouvelles de la littérature arabe. Nous avons choisi la nouvelle intitulée «Les Ennemis» extraite du recueil : «Les tigres au dixième jour », publié par Dar Aladab Beyrouth.
1- Le commencement.
Le policer siffla, et tout d’un coup, le soleil se leva, et illumina les avenues de la ville, de ses rayons pâles comme le bois usé d’une potence.
C’est à ce moment-là que les gens se réveillèrent, désolés et maussades.
2- Le ciel perdu.
Deux oiseaux se posèrent sur une branche sans chanter pour accueillir le soleil matinal ; mais échangèrent un regard perplexe craintifs, puis l’un murmura à l’autre : «Où volons-nous ? Notre ciel est envahi par les avions, il ne nous reste plus que l’espace des cages»
-«Nous allons perdre nos ailes.»
-«Nous allons oublier le chant. »
Ils regardèrent un avion qui traversa le ciel à une vitesse supersonique, échangèrent encore des regards craintifs et se représentèrent la ville comme une bouche féroce. Ils picotèrent alors quelques graines mortes, et tombèrent raides morts, sur un trottoir dur, construit en béton.
-3 Les prisonniers.
Deux vieillards marchaient sur le trottoir à pas lents tout en discutant tristement :
-«C’est la fin du monde »
-Ça va de mal en pis
-C’est le moment de rédiger la pétition.
-Quelle pétition ?
-La pétition qu’il faut présenter au Bon Dieu.
-Et qu’est-ce que nous y écrivons ?
-Nous écrirons ce qui suit :
Nous soussignés, demandons au maître de l’univers de nous envoyer une armée de ses anges équipée d’armes sophistiquées, pour qu’elle prenne position sur les frontières du pays, et combattre les ennemis, à condition de ne pas nous traiter comme des prisonniers.
Et que ferions-nous au cas où il n’exhausserait pas nos vœux ?
-Nous présenterons alors une autre pétition pour lui demander de nous dispenser des cinq prières.
Et s’il ne consent pas ?
Au contraire, je suis sûr qu’il consentira même à nous dispenser du Ramadan. n’est-il pas clément et miséricordieux ?
4-La vengeance.
Il y avait un certain nombre d’enfants, réunis dans la cour de l’école, en train de jouer avec enthousiasme un nouveau jeu.
-Je suis Tarzan !
-Je suis Antar !
-Je suis millionnaire !
-Je suis l’inventeur de la bombe atomique !
-Je suis policier !
-Je suis l’inventeur des avions !
Ils se jettent tous sur l’inventeur des avions et se mirent à le rosser de coups pendant qu’il criait, et hurlait.
5-Des Hommes.
…
Dieu soit loué, lui qui nous a créé hommes, capables de courir aussi vite que le vent pour fuir lors d’un péril, et garder nos vies saines et sauves.
Dieu soit loué, lui qui ne nous a pas créés femmes. Ainsi évitons-nous de rester dans les maisons, et d’être brûlés par les bombes des ennemis tels de vieilles chaussettes.
Dieu soit loué, et seul lui est digne d’être loué.
6-Le danger.
On demanda à un astrologue de prédire l’avenir. Il répondit sans hésitation :
Les grands seront morts, les petits seront morts, les chats et les oiseaux et les fleurs seront morts. Les maisons, les livres et les drapeaux seront tous brûlés. Les bancs des écoles et les cartes de souvenirs seront également brûlés. Le Napalm effacera le rire, la langue arabe, et les récoltes. Les hôpitaux, les usines et les jardins seront détruits. Les femmes marcheront dans la rue sans voile.
Quand cette prophétie fut publiée, bien détaillée dans un livre, les citoyens fidèles au pays se mirent d’accord pour désavouer ce qui arriverait à la femme. Il se promirent d’éloigner ce danger mortel de la femme quel qu’en soit le prix.
5- Le paradis.
Des hommes, quelques minutes avant la prière, impatients, entourèrent l’Imam. L’un d’eux lui demanda d’une voix tremblotante «Est-ce qu’il y a des avions dans le paradis ?»
Le maître répondit : «Non, au paradis, il n’y a pas trace d’avions».
Les hommes soupirèrent alors avec soulagement en disant gaiement : «Dieu soit loué».
8-Discours
Je vous jure que notre silence face aux ennemis n’est pas une faiblesse. On se tait plutôt par orgueil, par fierté, et par confiance en soi.
Ils ont dit : «Nous voulons votre pétrole».
Nous avons répondu : «Prenez notre pétrole nous sommes les descendants de Hatim Attaii».
Ils ont ordonné : «Déclarez la guerre aux idées importées».
Nous avons répondu : «Nous sommes les pères de l’art guerrier. Et nous plantâmes alors des potences et construisîmes des prisons».
Ils essayèrent d’occuper une ville, nous leur en cédâmes plusieurs, pour leur prouver que nous les ignorons. S’ils possèdent des avions et des bombes, nous avons nous une morale et des principes religieux.
Et Dieu sait que la différence est grande entre ce qu’ils possèdent et ce que nous avons. Nous sommes les plus forts, car au lieu de la matière et du faux périssable, nous sommes armés d’une âme, et du vrai.
A suivre