Nouvelles appréciées de la littérature arabe : Le chasseur d’autruches (2)


Traduit par Sahraoui Faquihi
Jeudi 24 Juillet 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe : Le chasseur d’autruches (2)
L’auteur est né en 1945. Il poursuivit ses études jusqu’à l’obtention d’un diplômes d’études 
supérieur en littérature arabe, préparé au sujet du poète préislamique Taabbata Charrane. Après, il exerça le métier d’enseignant à la faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat, avant d’être muté à celle d’Aïn Chok. Sa patience pour l’écriture 
commença depuis qu’il comprit qu’écrire est une manière de s’affirmer. Ses premières nouvelles apparurent dans des 
revues et journaux 
nationaux,  au début des années soixante-dix, du siècle précédent. Il  
publia jusqu’à présent trois recueils de 
nouvelles qui sont :
« Revoir les personnes chères» (1984). 
«Ni vu ni connu (1987). «Le chasseur 
d’autruches» (1993). 
 
Waâ, waâ, waâ, la voix d’un enfant qui crie dans l’une des îles de l’archipel …
Ma mère,  et notre voisine, la vieille que j’appelais maman également parce qu’elle était la sage femme dont les mains m’avaient reçu quand je fus –«tombé»  ici –«bas», m’avaient emmené au marabout Sidi Tahar, et m’avaient enfermé tout seul, après m’avoir étendu à même le sol froid et dur. Une attente tendue. Il y avait un monstre, sur le point de se jeter sur moi, tandis que moi : -Waâ, waâ,  waâ   - Pas une seule de mes mères n’entendait mes cris ; ni celle qui me mit au monde, ni celle qui m’y  reçut.  Seul le monstre existait… Le petit monstre la-bàs…Sur le mur, en face du marabout : un gecko… avec une longue queue dont je ne voyais pas le bout fin au milieu de la pénombre poussiéreuse,  avec des yeux globuleux, et un ventre gonflé, d’une blancheur éclatante.  Il se déplaçait à toute vitesse,  juste quelques centimètres puis il s’arrêtait.  Il s’immobilisait totalement comme s’il faisait partie de cet espace poussiéreux. Je cessais de pleurer alors, les yeux hors de leurs orbites de stupeur ; puis je reprenais : Waâ, waâ, waâ. Ensuite je le regardais de nouveau. Je cessai de pleurer en le fixant pendant qu’il rampait quelques centimètres. Il pressentait mon regard, s’arrêtait puis regardait autour de lui. On s’engageait ensemble dans une rivalité étrange : quand je pleurais, il bougeais. Quand je me taisais, il s’immobilisait totalement.  Et  le monde entier autour de nous s’arrêtait, tranquille,  silencieux et splendide tel un fil en soie qui lie mes yeux exorbités à son regard scrutateur. Ses yeux que je vois maintenant clairement comme s’ils étaient enregistrés par magnétoscope dans ma mémoire : des yeux pleins d’indifférence.  Une indifférence cruelle, sauvage, définitive qui n’accepte ni le retrait, ni la démission ni le délai ou la réflexion ; une indifférence dure comme le bois ou le fer,  semblable à celle des mères qui étendent leurs petits enfants, encore vivants, au milieu des morts, et les abandonnent pour leurs occupations féminines, après avoir bien couvert la tombe.
C’est pour cela peut-être que je suis toujours fasciné par les yeux exorbités, les grains ou le –«creux de beauté», ou tout trait distinctif dans le visage d’une femme ; ces traits frappants qui affectent au visage sa singularité et son autonomie, et partant son indifférence vis-à-vis des autres … Je suis attiré par cette indifférence. Elle me séduit par sa conquête, par le fait qu’elle nous oblige à prêter notre attention !
C’est pour cela,  qu’un jour, il y a longtemps, j’avais utilisé l’ouvrage  intitulé; La guérison par la médecine et la sagesse, pour l’élaboration d’un talisman à des fins affectueuses. Ainsi écrivis-je le nom de la femme au grain de beauté suivi de celui de sa maman sur un morceau de sucre que je lui servis une fois seuls. Elle avait souri pour se moquer ainsi de l’enfant amoureux que j’étais, en disant :
-«Tu n’as pas besoin de tout cela mon petit, je frapperai à ta porte la nuit, et t’apprendrai comment on aime».
Ma «maîtresse» vint à la tombée de la nuit et se chargea de m’apprendre à aimer jusqu’à l’aube, après quoi, elle m’enveloppa d’une couverture et s’en alla.
C’est pour cela que je fus enflammé par le petit croissant  se trouvant au-dessus de la lèvre supérieure de l’avocate- une ancienne cicatrice – ni le teint rose du visage, ni la peau semblable à un beignet n’ont d’importance. On y voit parfois surgir des rides aussi minces qu’un cheveu. Tout cela est sans importance.  Seul ce petit croissant avait pu nous unir toute cette longue période, malgré le nombre de querelles ; malgré sa langue cruelle qui ne se tait jamais …Je ne sais pas pourquoi la femme parle. Au fait elle ne parle pas ! Elle laisse échapper  de simples sons moelleux …Il suffit de les laisser glisser sur le tampon de ton oreille et d’y répondre par d’autres sons ayant la même douceur.
Je me mis debout. Je quittai les toilettes et allai au frigo, un jus d’orange, je revins encore aux toilettes.
Quel que soit le pays -croyez moi- il y est toujours assez de places pour ses habitants, c’est plutôt  dans la mentalité des habitants qu’il n’a pas de place.
C’est pour cela que, politiquement,  je ne trouvais plus de place alors que j’étais encore élève. Et c’est pour cela qu’on m’avait retiré de ce monde vaste pour me jeter dans une cellule. Malgré son étroitesse pour les six camarades que nous étions, nous réussîmes à l’élargir grâce à nos chants. La nuit, après le départ des responsables du commissariat, les gardiens de nuit devenaient tolérants.  Il arrivait que l’un d’eux ait la gentillesse de nous acheter des cigarettes, ou de nous offrir un verre de thé.  C’est à ce moment-là qu’on oubliait la torture diurne  des instructions, et que la voix de Lmakki se mettait à chanter :
-«Ou Rakbat aâlia (âin zoura) ou chaouach Khatri ou chhal bkite (elle -ain Zoura- m’a vaincu j’eus des soucis et combien j’ai  pleuré.  -«Ma biach Bladi Bia Gzali Lli Ana Khallite» :                 
Ce n’est pas ma patrie qui me cause tant de soucis, c’est plutôt ma gazelle que j’ai dû abandonner. 


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