Nouvelles appréciées de la littérature arabe : La mariée (2)


Jeudi 17 Juillet 2014

Nouvelles appréciées de la littérature arabe : La mariée (2)
Ghassane Kanafani est né en 1936, à Aaka, au nord de la Palestine, d’un père avocat. Il est d’une famille moyenne. Il avait poursuivi ses études dans une école française.  Mais aussitôt que l’Etat d’Israël fut créé,  sa famille perdit son statut social et fut alors obligée d’émigrer au Liban en tant que réfugiée politique. Au cours de cette étape d’éparpillement, la vie de Ghassane fut caractérisée par l’instabilité.  Après un court séjour au Liban, il s’installa en Syrie, puis au Koweït pour revenir plus tard au Liban. 
 Il a poursuivi ses études à ses propres frais en travaillant comme instituteur dans une école primaire au village Zabadani en Syrie ; après quoi, il rejoignit la faculté de Damas où il étudia la littérature arabe pendant trois ans. Après en être renvoyé pour des raisons politiques, il s’installa au Koweït  pendant six ans où il s’occupa de la lecture et de l’écriture.       
Sa vie politique commença en 1952. 
Il adhéra au Mouvement des nationalistes arabes en 1960 qui lui demanda de s’installer au Liban pour travailler dans le journal du parti. En 1967, il créa la branche palestinienne du Mouvement des nationalistes arabes, appelée le Front Populaire pour la libération de la Palestine dont le président fut Georges Habach.  En 1969, il est nommé rédacteur en chef de sa revue «LE BUT» qu’on publiait au Liban. Il garda ce poste jusqu’à ce que le Mossade l’assassinât dans une explosion de voiture, en 1972, en plein centre de Beyrouth
 
Mais les nouvelles de Chaab le devancèrent à Tarchiha. Il n’apprit cependant rien des nouvelles de son fusil. Les combattants de CHAAB, fatigués, furent surpris par une attaque mortelle.  Après avoir perdu  sept des leurs, il se retirèrent en traînant derrière eux quatre blessés pour disparaître à travers les plateaux.  
Pendant qu’il était au bord de la folie, martelé en même temps par les nouvelles de son fusil et ceux de Chaab, comme s’il était entre deux feux, le reste des combattants de ce petit village y descendit, deux heures après son retrait, attaqua comme un éclair le village, l’occupa pour la troisième fois, et pour la troisième fois y prit position  après  s’être emparé des  munitions de l’ennemi  et de ses ravitaillements et lui avoir  causé de réelles pertes. 
Je ne sais pas qui lui avait  dit à Tarchiha  que s’il pouvait  rentrer à Chaab sans armes, on se débrouillerait pour lui en procurer un. Je ne sais pas non plus si ces paroles lui avaient plu ou non. Tout ce que je sais que, c’est qu‘au cours de cet après-midi chaud, il vit son fusil sur l’épaule de quelqu’un dans la grande place. 
Il fit exactement ce qu’il fit le jour où il l’arracha aux mains crispées du soldat assassiné.   Il  s’y agrippa de ses mains et ses dents alors que le fusil était encore suspendu à l’épaule du combattant. Quand celui-ci se retourna, ébahi  et qu’il vit devant lui ce grand homme solide, au regard sévère,  et au visage harassé de fatigue,  il comprit certainement qu’un combat était inévitable. Il plia le coude  autour de la bandoulière du fusil, et tendit l’autre bras pour empêcher le géant de s’approcher de lui. 
Tandis que notre ami était incapable de prononcer un seul mot. On me dit qu’il pleurait et tremblait tel un malade atteint de fièvre. Il murmurait des choses inintelligibles, face à l’autre, avec sa barbe soignée, et son regard perçant, décidé à mener le combat jusqu’au bout. 
-C’est ma Martinette ! 
Il fournit un effort insurmontable pour prononcer ces mots, d’une voix rauque et râleuse  tout en fixant le vieillard comme s’il s’attendait à un aveu de sa part. Le vieillard, intraitable, lui cria : Ta Martinette espèce de voleur,  j’en ai payé le prix de mon propre argent il y a deux jours  seulement !
Seuls les yeux de l’homme à la barbe  s’interrogeaient. Il était dorénavant incapable d’ajouter un seul mot ! Mais la réponse lui parvint pour autant  :
-De mon propre argent,  je l’ai acheté en présence de deux témoins, d’un officier  qui se dirigeait vers le nord à deux cents jounaihs. Il desserra les mains du fusil sans le lâcher totalement. On eut l’impression à un moment qu’il allait choir, mais au prix d’un grand effort, il se reprit,  et murmura :
J’en ai besoin  pour revenir à Chaab !
Chaab ? Elle vient d’être occupé par les juifs.
Il lâcha définitivement le fusil que le vieillard serra contre sa poitrine en reculant deux pas.  Après s’être assuré qu’il ne perdrait plus son arme, il lui demanda :
Est-ce que cette Martinette t’appartenait ?
Il répondit  d’un signe de la tête,  indéfiniment désespéré. 
-J’ai payé deux cents jounaihs pour l’acquérir, la dote de ma fille unique. J’ai toute ma vie refusé de marier ma fille à ce vieillard puant.  Mais que voulez-vous que je fasse maintenant. Il m’a versé  deux cents jounaihs que j’ai versés un quart d’heure après pour avoir ce fusil tchèque. 
Il se retourna tranquillement tel un objet fracassé, et s’en alla.  C’était la dernière fois qu’on le vit à Tarchiha. On ne sut plus où il se dirigea.  De toutes les manières, s’il avait pris la direction du nord, il aurait certainement entendu,  avant de traverser les frontières, que ses dix camarades, les seuls survivants des combattants de CHAAB,  étaient  encore descendus des plateaux deux jours après, avec le peu d’armes qui leur restait,  et qu’ils avaient récupéré le petit village en ruine pour la quatrième fois. 
Je ne pus retrouver le nom de la mariée qui fut vendue pour l’acquisition du fusil. Je ne sais pas encore ce que fit le vieillard de ce fusil tout neuf.  Je ne sais pas non plus comment se termina l’histoire de Chaab,  ni celle de ces quarante personnes qui furent fondus lentement comme un morceau de beurre sur le feu. 
Est-il le seul homme qui resta des combattants de Chaab ? Peut-être ? Je ne sais pas en fait ! J’imagine que c’est la seule raison qui fit de lui cet homme étrange à la recherche de son fusil perdu, pour rejoindre  ses camarades qui l’attendaient toujours, dans ce village maintes fois détruit. 
Pourquoi alors cher Riad ne m’aides-tu pas à retrouver cet homme ? C’est un homme d’une grande taille, fort, dont j’ignore le nom, mais qui porte une tenue kaki,  très vieille, et qui paraît être entouré d’une brune lumineuse. On a l’impression au premier abord, quand il t’aborde pour te demander «Tu n’as pas vu la mariée?»,  on a l’impression qu’il est débile.
Aide-moi à le retrouver là où tu es parce que j’ai des nouvelles fraîches de la mariée…
Beyrouth 1965


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