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Nouvelles appréciées de la littérature arabe : Deux tableaux du sextuple des six jours d’Emile HabibiTraduit par Sahraoui Faquihi
Lundi 14 Juillet 2014
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Emile Choukri Habibi est né à Haiffa en 1921, d’une famille arabe, chrétienne. Il poursuivit ses études secondaires à Haiffa puis à Aakka, et eut son diplôme de fin d’études secondaires en 1939. Il travailla dans les raffineries de pétrole de Haiffa, et prépara en même temps, pendant deux ans, un diplôme d’ingénieur de mine qu’il obtint de l’université de Londres. De 1941 à 1943, il travailla comme speaker, et responsable du service culturel dans la radio de Palestine émettant en arabe. Il démissionna pour s’occuper exclusivement d’activités politiques au sein du parti communiste palestinien. Il fut l’un des premiers créateurs de la «ligue de la libération nationale en Palestine» en 1945. Il était également le premier à œuvrer pour l’unité des communistes palestiniens et juifs en 1949 dans le cadre du parti communiste israélien. Il représenta son parti au Knesset pendant 19 ans, de 1952 jusqu’en 1972, année où il démissionna pour s’adonner aux activités littéraires ; ainsi s’occupa-t-il de la rédaction du journal du parti en arabe : ««Alittihad». -L’Union- Il réussit à le faire paraître quotidiennement depuis 1983. Il fut obligé en 1989 de démissionner de tous les postes qu’il occupait au sein du parti, y compris celui de rédacteur en chef du journal «Alittihad». En 1991, il démissionna du parti, et cessa toute activité politique. Son talent d’écrivain se manifesta depuis sa jeunesse. Ses premières nouvelles apparurent dans le journal Alittihad, qui fut créé en 1943, puis dans la revue Almihmaz-L’aiguillon- qu’il publia en 1946, et dans de nombreuses publications égyptiennes, libanaises et irakiennes. Il publia également six romans et pièces de théâtre. Le sextuple des six jours –1968, Almoutachail-1972-74, Lakaa fils de Lakaa en 1980- Akhtia 1985 –Fables de Saraya fille de l’ogre en 1991 et une pièce intitulée Oum Arroubabika, -le village Kassem -La Boucherie politique en 1976. Depuis ce moment-là, j’avais monté et descendu les virages d’Allabane une dizaine de fois. Et chaque fois que cette émotion étrange m’assaillait, je lui trouvais une explication pour en avoir la conscience nette. Il fallait attendre ce jour du mois de février dernier, quand je revenais en compagnie de ma femme et de mon fils d’une visite que nous venions de rendre à des amis habitant l’ancienne Jérusalem. C’était un après-midi, quand nous descendions les virages d’Allabane. Les bourgeons des amandiers rouges et blancs s’ouvraient et s’embrassaient dans un enchantement qui faisait danser les dix montagnes aux alentours. -« Dans quelle langue tu as écrit ce poème ?» -« Dans la langue de mon cœur et de mes yeux ! en plus, tu vas m’écouter jusqu’à la fin». Ma femme ne cessait de me supplier de nous arrêter un moment pour cueillir quelques branches d’amandiers qui, je crois, existaient dans le passé. Nous mîmes pied sur terre et coupâmes quatre branches avec lesquels nous échangeâmes des sourires. Quand ma femme me demanda s’il suffisait de planter une branche dans le sol pour qu’elle pousse, et devienne un arbre, j’eus le cœur serré et commençai à me remémorer. Te souviens-tu de cet ami que nous avions au cours de notre jeunesse, et qui aima une jeune fille de Jérusalem ou de Bethléem, en tout cas de quelque part de la région. Nous avons aimé cet amour» -«Nous avons tous aimé et en particulier son amour». -«Il faut dire que son amour était meilleur que les nôtres, parce qu’il est née d’une histoire. Nous étions en excursion, nous sommes descendus juste en face de cet arbre, au début de la pente Allabane. Il y avait une maison avec des poules et des vaches. La maison est toujours sur place, mais il n’y a plus trace de poules ni de vaches. Nous avions demandé à boire aux habitants de cette maison. Soudain, nous rencontrâmes des jeunes filles en excursion également, venant de Jérusalem, qui cueillaient des bourgeons d’amandiers. La future amante de notre ami se trouvait parmi elles. Ils se rencontrèrent et elle lui tendit une branche toute en fleurs. Est-ce que tu étais avec nous ?» -«Et quoi après ?» -«Je garde de lui une belle histoire. Je ne sais plus maintenant comment elle m’est parvenue. Son amie coupa deux branches, lui en tendit une et garda la seconde. Ils se promirent de se revoir l’année d’après au moment où les amandiers refleuriraient, accompagnés chacun de leurs parents pour annoncer leurs fiançailles. Comment se termina leur magnifique histoire alors ? -« Pourquoi t’intéresses-tu à eux à ce point ?» -« Je ne sais pas, mais je sens qu’il y a quelque chose qui me pousse à revenir à toutes mes anciennes amitiés ; comme si je devais raccorder mon présent avec tous les liens du passé, tous ! Pour qu’ils ne soient plus rompus une seconde fois. Ce passé était débordant d’espoir ; un espoir tellement vaste qu’il pouvait embrasser le monde entier ; un espoir pur, et clair comme le regard d’un enfant. J’ai l’impression de m’y accrocher maintenant comme pour m’arracher à ce présent. Crois-tu que je ne suis qu’un naufragé qui s’accroche à des cordes imaginaires ?» -«Et puis après ?» -«Je ne cessais d’errer depuis la guerre de juin tel un insatisfait, à la recherche de mes anciens amis. Mon désir d’en rencontrer davantage augmente chaque fois que j’en déniche un. Et depuis que l’histoire de cet ami m’est revenue en mémoire, je me suis mis à sa recherche. Pas un seul de mes amis ne se souvienne de son histoire. Ce désir de le retrouver me conduisit dans une impasse, à tel point qu’il ne m’arrive pas de rencontrer un ami sans lui demander comment il fit la connaissance de sa femme. Tu es le seul parmi tous les amis de mon enfance à qui je n’ai pas posé cette question. C’est pour cette raison que je te rends visite. Si tu te souviens de lui, dis le que je retrouve la paix !» -«Tu as toujours été étrange mon cher ami, mais cette nuit, tu l’es plus que jamais ! Autrement, comment expliquer ce désir à vouloir se renseigner sur des choses sans importance?» -«Tu dis sans importance ?! Je me rends compte à présent que je ne me suis retiré dans ma coquille et que mon dos ne s’est courbé, qu’à cause de cette rupture avec mon passé. Qu’est-ce que c’est que le passé ? Le passé ce n’est pas un temps ! Le passé, c’est toi ! c’est untel, et untel, et tous les amis ! Ensemble, nous avions dessiné le tableau de ce passé, et chacun de nous l’avait peint de sa couleur préférée pour qu’il eût cette belle vue d’ensemble, flamboyante qui nous illuminait la vie toute entière. Je ne peux reprendre mes liens avec ce passé sauf si je retrouve les différentes couleurs de ce tableau. Quant à notre ami, avec sa belle histoire d’amour, il représente pour moi comme qui dirait un sourire au milieu de ce tableau. Le passé ne vaut rien sans lui. Que reste-t-il alors de la Joconde si on n’en efface le sourire ? L’histoire de cet amour dont la fin serait heureuse si l’amant rencontrait son amante, et triste si cette rencontre ne se réalisait pas, est le symbole de notre passé printanier ; et je tiens à ce que ce passé revienne tel un printemps après un hiver». -«Je remarque que tu reviens à l’histoire des deux villes : les deux branches, les deux amants, une fin heureuse et une autre triste …Quant à la vie, elle ne se manifeste pas sous forme de traits distincts. Les traits sont plutôt enchevêtrés. Ne crois-tu pas que c’est ton imagination, réveillée par une nostalgie printanière pour les hautes montagnes, qui inventa cette histoire?» -«Certes ! Mon imagination s’est réveillée, et je ne veux pas qu’elle se rendorme ! Et c’est pour cela que je cherche notre ami. Puis-je comprendre que tu ne te souviens plus de lui?» -«Laisse-moi réfléchir. Si son souvenir me revient, je t’en tiendrai au courant». Le professeur «M» s’en alla aussi triste que jamais, et je suis resté là, cloué à ma place, plus triste que jamais. Seulement quelques minutes après, j’eus envie de courir après lui pour secouer sa mémoire et lui redonner vie. Je me suis cependant retenu malgré moi. Hélas ! Pourrait-on jamais redonner vie à des morts ? Comment oublié-je cette belle histoire dont le professeur «M» désire tant que sa mémoire lui en rappelle le héros ? Combien de fois je me suis demandé comment réussit-on à enterrer dans son cœur un tel amour ? Après la guerre de juin, quand j’avais rendu visite à cette dame, généreuse et fidèle, à Jérusalem, ou à Bethléem, ou quelque part là-bas dans les environs, selon l’expression du professeur «M», et qu’elle m’avait montré la branche de l’amandier, déjà fané, sèche, et qu’elle gardait pourtant, à tel point que la branche reprenne vie presque lorsqu’elle se mettait à raconter son histoire ; quand je revis cette bonne dame, elle m’apprit qu’il lui avait rendu visite en compagnie d’un certain nombre de ses camarades, qu’il était, le long de l’entrevue, bavard et fort gai, qu’elle les avait introduits dans son bureau pour leur montrer ses livres et ses bibelots, qu’il avait remarqué, lui, le professeur «M», la branche toute sèche, et que lorsqu’il lui demanda ce que c’était, elle répondit tout simplement que les amandiers fleurissaient au mois de juin, et que le professeur «M» changea immédiatement de sujet pour lui parler d’abricots, et des vendredis où l’on en mangeait. Quand la bonne dame me parla de tout cela, je fus extrêmement surpris. Cependant, maintenant, après que le professeur «M» m’ait rendu visite, je comprends tout. Je suis sûr que le professeur «M» est sincère dans son oubli, ainsi que dans son désir brûlant de se rappeler. Par une étrange volonté intérieure, il avait oublié réellement qu’il est lui-même le héros de cette belle histoire d’amour, et que c’était à lui que le sourire qui illumina notre adolescence était destiné. Est-il de mon devoir, moi, de le lui rappeler pour qu’il retrouve la paix comme il me suppliait de le faire ? Pourquoi faudrait-il que je l’aide à retrouver la paix ? Serait-il réellement en paix? Si sa taille comme il me l’avait affirmé, avait pris des hauteurs, il serait certainement assez grand pour apercevoir, de l’endroit où il est, cette nouvelle et la lire. Espérant à ce moment-là qu’il serait capable de se souvenir, et qu’il renouerait avec son passé pour être en mesure de s’arracher à son présent. Enfin les amandiers fleurissent. On se rencontra. Le printemps riait, et le destin s’esclaffait.
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