Musclemania, bodybuilder pakistanais déchiré entre sa passion et son pays


Samedi 23 Janvier 2016

Musclemania, bodybuilder pakistanais déchiré entre sa passion et son pays
Salman Ahmed était bien seul lorsqu'il est devenu le premier Pakistanais à remporter la compétition internationale de culturisme Musclemania à Las Vegas l'an dernier: contrairement à ses concurrents, il n'a ni manager, ni entraîneur, ni sponsors.
A 25 ans, le sportif doit trancher: quitter le Pakistan ou abandonner une carrière prometteuse, faute de soutien des institutions, dans un pays où le cricket est roi et les potentiels sponsors découragés par la situation sécuritaire du pays.
"Il n'y a pas d'avenir pour un bodybuilder au Pakistan", dit-il à l'AFP dans sa salle d'entraînement, dans un quartier populaire de Lahore.
Le consulat américain l'a félicité lorsqu'il est revenu au Pakistan après sa victoire dans la catégorie poids légers à Musclemania, la principale compétition mondiale de bodybuilding naturel.
Et l'Inde, ennemie de longue date du Pakistan, l'a sollicité pour animer des conférences.
Mais du côté des autorités pakistanaises, silence radio, regrette-t-il.
"Les joueurs de cricket sont les seuls sous les feux de la rampe, et les autres sportifs pâtissent du manque d'attention et de soutien financier", explique Salman. "Pas un responsable gouvernemental n'a pris la peine de m'envoyer un message de félicitations".
Il assure avoir en revanche reçu des "offres très lucratives" de pays européens et des Etats-Unis pour y concourir sous leur drapeau.
"Mais il faudrait alors que je quitte mon foyer et mon pays, et je ne pourrais pas brandir le drapeau pakistanais lors de mes victoires".
Au Body Shape, une salle de sport crasseuse et vieillotte bardée de miroirs, Salman soulève d'énormes poids en compagnie de son protégé de 21 ans, Hassan Butt. Les autres costauds du lieu les regardent avec admiration.
Le bodybuilding est peu pratiqué au Pakistan, mais Hassan - qui est un champion national - assure que la popularité de ce sport est en plein essor dans le pays depuis l'ère du selfie: nombre de jeunes hommes sont fiers de faire circuler sur les réseaux sociaux des photos de leurs muscles.
Il reconnaît néanmoins que certains adhérents ne paient leurs 5 dollars mensuels de cotisation que pour envoyer à des amies des photos de leur "entraînement" dans la salle, où ils ne lèvent pourtant pas une seule haltère...
Le manque de popularité du culturisme a permis à Salman d'obtenir une bourse universitaire en tant que bodybuilder, alors que sa candidature initiale en tant que joueur de cricket avait été rejetée, la compétition étant beaucoup plus rude dans ce domaine.
Malgré son diplôme en Management des ressources humaines à l'Université du Pendjab, il ne peut guère espérer en début de carrière qu'un salaire de 160 dollars, dit-il, alors que les protéines dont il a besoin pour entretenir sa forme lui coûtent 180 dollars par mois.
Sa famille n'a pas les moyens de le soutenir, et les sponsors lui tournent le dos dès qu'ils entendent parler du Pakistan, déplore le sportif. "Ils ont trop peur de venir ici", dit-il. "Je leur dis que Lahore est sûr, mais ils ne me croient pas".
Il gère le gymnase, dont les revenus, loin de pouvoir financer son entraînement, couvrent à peine le loyer. "C'est un sacré défi", admet-il.
Après avoir concouru localement pendant ses années universitaires, Salman s'est attaqué aux compétitions internationales en 2014.
Après des mois d'entraînement rigoureux, il s'est mesuré à 600 bodybuilders venus du monde entier à Musclemania l'an dernier, avec sa détermination pour seul soutien.
"Les bodybuilders coréens, américains et européens avaient des équipes, des managers, des entraîneurs et des attachés de presse pour les accompagner", soupire-t-il. "J'étais seul là-bas - une équipe à moi tout seul - et je les ai tous battus !"
Sa mère, Sajida Yasin - qui connaît les moindres détails de son régime et de son programme d'entraînement - dit avoir pleuré de joie pendant trois jours après avoir vu son fils remporter le trophée, via Internet depuis Lahore.
Salman vise désormais la catégorie Pro de Musclemania, avec en vue la compétition prévue en juin à Miami. Au Pakistan, le bureau des sports du Pendjab, province dont Lahore est le chef-lieu, se dit désormais prêt à rencontrer et soutenir le bodybuilder, y compris financièrement.
Les autorités n'étaient pas au courant de son exploit, justifie le chef de ce bureau, Usman Anwar. "Si nous avions su qu'il allait concourir, on ne l'aurait pas seulement soutenu, on (...) lui aurait fourni un entraînement, une expertise technique et un soutien logistique", assure M. Anwar à l'AFP.
Pour le sportif, l'heure de la décision approche. "Je veux être le meilleur dans ce domaine", assène-t-il. "Et il va bien falloir que je finisse par faire un choix (...) mais ça sera avec le coeur lourd".

 


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