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Le professeur de philosophie et le critique d’art plastique nous a accordé cet entretien pour parler du « Maroc contemporain », événement organisé à l’Institut du monde arabe à Paris. Il est commissaire associé pour cet événement exceptionnel qui s’étendra sur plus de trois mois à l’IMA et dans d’autres salles parisiennes. Parallèlement,
une exposition «Le Maroc médiéval » se tiendra au Musée du Louvre. Il évoque également ses difficultés
à choisir des artistes qui vont représenter la culture marocaine ...
Libé : Notre entretien s’inscrit dans le cadre de l’événement «Le Maroc contemporain » qui sera organisé à l’Institut du monde arabe au mois d’octobre, novembre et décembre 2014.Vous êtes commissaire associé de cette exposition. Quel programme artistique allez-vous choisir pour refléter le Maroc aujourd’hui?
Moulim El Aroussi : Nous avons bien entendu choisi ce qui existe sur le terrain. Comme vous le savez, on parle beaucoup du Maroc du point de vue artistique et surtout de l’effervescence culturelle et artistique. Est-ce vrai ou faux ? C’est la question à laquelle nous nous sommes promis de répondre. Comment le savoir alors ? Certainement pas en se limitant aux catalogues des expositions précédentes que d’autres avant nous ont établis. Nous avons pris le bâton du pèlerin et nous avons sillonné le Maroc du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Ce long voyage nous a permis de faire une grande collecte de dossiers, à mon avis, qui n’a jamais été rassemblé à ce jour. Nous avons, par ailleurs, reçu un grand nombre de dossiers d’artistes que nous n’avons pas pu rencontrer.
C’est l’examen de ce corpus qui nous a permis de définir les axes de notre exposition. L’analyse minutieuse des œuvres, tout en les croisant sans considération aucune des générations, des styles ou des formes d’expression, nous a permis de savoir ce qu’est réellement les préoccupations de la scène artistique marocaine d’aujourd’hui.
La tâche sera-t-elle facile pour choisir les créations artistiques qui vont représenter le Maroc à Paris ?
Comme je viens de vous le dire, une fois que l’analyse du corpus a révélé les axes de l’exposition, les artistes qui n’ont pu être intégrés dans l’un ou l’autre ont, malheureusement, pour nous d’abord et pour eux ensuite, été écartés. Nous avons bien entendu écarté, avec regret, de bons artistes qui ne correspondaient pas du tout au concept que nous avons établi. Cela dit, notre exposition s’inscrit plus dans le cadre de l’art contemporain plutôt qu’autre chose.
Les autres formes de pratiques culturelles et artistiques de la société marocaine, seront-elles toutes représentées : cinéma, théâtre, débat et exposition ?
Bien entendu, il s’agit d’une manifestation artistique et culturelle marocaine. Certes l’art visuel y prend une place importance mais les autres formes seront présentes avant, tout au long et après l’exposition. Notre voyage à travers le Maroc n’avait pas pour seul but de dénicher des artistes visuels ; nous avons rencontré des poètes, des écrivains, des intellectuels, des musiciens, des danseurs,…des artisans… bref le Maroc culturel.
Dans votre dernier livre « Identité et modernité dans la peinture marocaine » vous soulevez les grandes questions de la société marocaine après le Protectorat. Est-ce que le monde artistique aujourd’hui au Maroc est en rupture avec l’héritage colonial et a trouvé son identité et sa modernité ?
En effet, c‘est ce que nous vivons aujourd’hui au Maroc. Et c’est pour cela que nous précisons mes collègues, Jean Hubert martin, Mohamed Metalsi et moi-même dans la présentation de l’actuelle exposition que la question de l’identité ne préoccupe plus les jeunes d’aujourd’hui. Ils appartiennent plus à des tribus d’artistes au niveau international qu’à une identité locale. Du fait, ils se tournent aujourd’hui vers toutes les composantes de la culture marocaine, le legs colonial compris, pour les interroger et en faire un langage universel.
D’autres questions sont posées aujourd’hui. Est-ce que la secousse du «Printemps arabe » qui a traversé la région, a touché la création artistique marocaine?
Le Maroc a vécu les prémisses du Printemps démocratique arabe dans la culture et l’art. Souvenons-nous de ce mouvement fantastique qui a occupé les places publiques de Casablanca et tout le Maroc et que les jeunes ont eu le génie de nommer Naïda, pour signifier en même temps mouvement, renaissance et effervescence. Ce mouvement a touché tous les domaines de la création et a été porté par des jeunes issus de toutes les classes sociales marocaines. Ce n’était ni un mouvement des banlieues ni un courant idéologique déterminé ; c’était un mouvement citoyen. Quand vous évoquez aujourd’hui le Printemps arabe, je ne peux que vous l’accorder. Ceci se sentira dans l’exposition et dans toute la manifestation.
Dans cet événement qui sera organisé à Paris il y a « Le regard de l’autre » et les préjugés. Certains publics français ou occidentaux attendent de voir des tableaux « orientalistes » teintés de folklore et d’exotisme. Comment allez-vous changer les stéréotypes sur l’art et la culture marocains ?
C’est une question capitale. Jean Hubert Martin qui est le commissaire général de cette manifestation avait fait l’expérience de prendre le risque de bousculer les esprits il y a aujourd’hui 25 ans quand il a organisé l’emblématique exposition « Les magiciens de la terre ». Le public qui vit sur des évidences et qui est fermé à l’Autre ne nous intéresse pas en premier lieu. Il y a un public qui ne vient pas dans les expositions parce qu’on continue à lui proposer ce qui a été fait précédemment. Il faut savoir bousculer les mentalités et créer des ruptures. Il ne faut surtout pas avoir peur de l’innovation sous prétexte de garder un public en allant toujours dans la direction de son goût. Notre manifestation sera aussi un véritable exercice de l’altérité.
Le combat pour lutter contre les stéréotypes même au Maroc avance-t-il aujourd’hui ? Le travail de l’Ecole des Beaux-Arts de Casablanca a-t-il réussi à « nettoyer le regard, l’œil et l’esprit du Marocain » ?
On peut détecter cela à travers le marché déjà. Il y a eu effectivement un grand effort fourni par les maîtres de l’école de Casablanca et ceux de Tétouan, mais il y a aussi une nouvelle génération de galeristes qui prennent le risque de miser sur l’avenir. Il y a en plus un phénomène que les sociologues, les économistes, les historiens… doivent interroger un jour, à savoir celui de l’engouement pour l’art dans une société en mutation. Il me semble que les Marocains se reconnaissent de plus en plus dans le miroir de leur art, ce qui les réconforte, à mon avis, dans leur identité visuelle et leur permet de s’ouvrir sur l’Autre.
Est-ce que le combat de la diversité culturelle est gagné aujourd’hui ? Le président de l’Institut du monde arabe, Jack Lang, est-il un allié dans ce combat pour la reconnaissance de la diversité culturelle?
La diversité culturelle stipulée dans la dernière version de la Constitution marocaine a été le fruit d’une longue lutte de la société civile. La manifestation à l’IMA va lui donner un retentissement international. Il ne faut pas oublier que cela se passe à Paris et à l’ouverture de la saison culturelle. Dans ce sens, le fait que Jack Lang soit à ce moment précis à la tête de l’IMA est effectivement une grande chance pour nous Marocains. Il est allié pas uniquement pour cet événement, mais c’est un ami du Maroc et des Marocains depuis plusieurs décennies. C’est un beau cadeau !