“Missa” : L'absurde dévoilé



Moulay Ahmed Iraqi, membre du Bureau politique de l’USFP : Le legs du gouvernement de Abderrahman El Youssoufi demeure toujours d’actualité


Moulay Ahmed Iraqi, membre du Bureau politique de l’USFP, secrétaire d’Etat à l’Environnement du gouvernement d’alternance, médecin et professeur universitaire, évoque pour Libé les enjeux de la prochaine conférence sur le climat. Il expose également sa vision des axes majeurs en lien avec l’environnement, la société marocaine et l’actuel Exécutif…

Propos recueillis par Meyssoune Belmaza
Lundi 3 Octobre 2016

Contrairement aux attentes, l’actuel Exécutif adopte une démarche dictée par l’ordre financier actuellement établi en ignorant la dimension sociale à l’échelon national

Libé : Selon vous, les préparatifs de la COP22 vont-ils bon train pour la partie marocaine ? Et pouvez-vous nous rappeler le contexte politique et institutionnel avec lequel il fallait composer pour sa préparation?
Moulay Ahmed Iraqi : A mon humble avis, la préparation de cette COP22 qui aura lieu en novembre prochain à Marrakech s’apparente à des réactions symptomatiques à un mal qui continue de se produire. Quant aux préparatifs, j’estime qu’ils devaient se dérouler autrement.  Je m’explique…Primo, ceux qui planchent sur cet événement souhaitent, de façon volontaire, ignorer ce qu’a été, tout d’abord, la COP7.
Ainsi, tout est fait pour entretenir une sorte d’amnésie volontaire. Parce que lors de la COP7 l’orientation était plus entreprenante et en principe, entre 2001 et 2016, le Maroc devrait avoir accumulé toute l’expérience requise. 
Pour mémoire, la COP7 tenue à Marrakech a connu un succès mitigé puisqu’elle a été un succès politique pour le Maroc mais en même temps un échec environnemental. En fait, il serait judicieux de rappeler que les résultats de la COP7 et ses conséquences, certes encourageantes, quant au processus d’entrée en vigueur du Protocole de Kyoto, ont permis au président de la COP7, Mohammed Elyazghi, également ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme et de l’Environnement, d’inscrire le nom de Marrakech et par conséquent du Maroc dans l’histoire de l’environnement mondial (Cf. notre édition du 12 avril 2016).
Chemin faisant et quinze années plus tard, l’actuel Exécutif évite par tous les moyens de faire appel aux gens compétents dans le domaine, les scientifiques en particulier. Ce qui est malheureux, c’est qu’ils sont systématiquement écartés et, par contre, ceux retenus sont des « alimentaires » qui visent des choses totalement mesquines et certains mêmes ne connaissent rien à l’environnement, ni de près ni de loin. 
Il a donc été demandé à ces derniers de préparer cette COP22 et ils se sont exécutés en commençant par sillonner le monde, alors qu’il s’agit de frais excessivement coûteux, entre billets d’avion, per diem et séjours à l’hôtel, etc. D’ailleurs, quelques changements opérés au sein du Comité de l’organisation de cette conférence sont très révélateurs. Donc, cette amnésie est une première composante de la stratégie de séduction que le Maroc tente de mener dans le domaine de l’environnement.
Secundo, l’on peut aisément relever quelques faits qui se sont produits cette année à l’instar d’un ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique qui a interdit les sacs en plastique. En effet, il faut savoir, tout d’abord, que ce département  ne connaît rien à la question environnementale, qui soit dit en passant n’est pas de la rigolade, et ses cadres sont compétents dans leurs domaines de prédilection qui sont le commerce, l’industrie et l’investissement. Autre bémol, un département en charge de l’environnement délégué auprès du ministère de l’Energie, des Mines, de l’Eau qui donne son aval à une transaction commerciale, c’est purement scandaleux. Certes, ce ministère avec ses cadres maîtrisent parfaitement le domaine de l’environnement, mais, a contrario, ils ne connaissent absolument rien au commerce.
 

L’USFP prend très au sérieux les risques incalculables pris par l’actuel gouvernement, pour l’avenir du pays. A ce titre, nous sommes de nouveau disposés à apporter notre contribution en faveur du peuple marocain

Mais, à votre avis, pourquoi tout ce branle-bas ? 
La réponse coule de source : à travers les deux points susmentionnés, l’on déduira très rapidement que le gouvernement actuel a préféré écarter les compétences pour prendre des mesures rapides qui touchent profondément à la population, à commencer par la maîtresse de foyer qui a besoin d’acheter ses poissons ou autres, tout en passant par les pertes d’emploi de l’ordre de 50.000 formels et de 150.000 informels.
Pis encore, en appliquant cette décision pourtant radicale, l’actuel Exécutif n’a pas estimé opportun de trouver des alternatives à cette problématique, ô combien douloureuse pour le citoyen lambda qui se trouve contraint à chaque fois qu’il fait ses courses, dans les grandes ou petites surfaces, de raquer plus pour acheter des sacs dispendieux (près de 7 DH le sachet) qui n’amassent même pas la totalité de ses emplettes.
A ce propos, je tiens à rappeler que notre parti s’est vivement opposé à l’application de cette loi en créant la section MIKA de l’USFP et aussi en souhaitant instaurer une période transitoire de 5 ans durant laquelle la production, l’utilisation et la commercialisation des sacs en plastique se poursuivrait, le temps de mettre en place les mesures d’accompagnement et dégager des alternatives.
A la veille de la date fatidique (du 1er juillet 2016), le premier secrétaire de l’USFP Driss Lachguar, était même monté au créneau pour demander à l’actuel gouvernement de reconsidérer la date d’entrée en vigueur de la loi, afin de permettre aux 50.000 familles qui gagnent leur vie dans la plasturgie d’opérer une reconversion… 
A mon avis, après la tenue de la COP22, les sacs en lastique réapparaîtront et tout redeviendra comme par le passé parce que, somme toute, ce n’était qu’un effet d’hologramme destiné à jeter de la poudre aux yeux et faisant partie de la fameuse stratégie de séduction…Quoique je ne puisse pas dire autant des personnes qui sont sur le pavé suite à cette décision draconienne.  

Aujourd’hui, quelle appréciation faites-vous de l’impact de la politique gouvernementale de Benkirane ? Et à l’heure actuelle, quelles sont, selon vous, les priorités à définir ?
Que des impairs à mettre à son passif ! Déjà le fait d’importer des déchets prétraités en provenance d’Italie, destinés à être incinérés dans une cimenterie marocaine, est une absurdité. Parce que tout simplement, c’est peut-être rentable pour le lobby italien et aussi pour les cimenteries marocaines qui, elles, gagnent 10 centimes, mais quid de l’impact sur la santé, la nappe phréatique, la qualité des sols,…? Bien évidemment, c’est 100 fois plus cher ! En décodé, les cimenteries vont gagner 1 dirham et les citoyens vont perdre 100 dirhams.
Il est donc évident que des études n’ont pas été faites comme il se doit et que l’on a commencé au nom de la rationalité internationale à dire : il faut faire semblant de protéger l’environnement tout en préservant l’économie, qui doit être la reine sur la scène !
Dernier point et non des moindres à signaler cette année comme l’un des bêtisiers de Benkirane : les « mesurettes » concernant la loi 10-95 sur l’eau, celle-ci étant venue dans l’élan de la politique des barrages de Feu Hassan II. Ce qui est important à savoir, c’est que cette loi 10-95 était bien faite, dans la mesure où elle prévoyait deux choses : le Conseil supérieur de l’eau et les agences du bassin. Sauf que ce Conseil supérieur, qui regroupe les différents secrétaires généraux des ministères percevant dans les 12.000 DH d’indemnités par mois, s’est réuni deux fois en 21 ans ! 
Quant aux agences du bassin, n’ayant pas de vraies politiques, agencent très mal ce qui doit l’être : 90% de l’eau consommée au Maroc vont vers l’agriculture, avec une déperdition et un pillage terribles, 7% vont vers l’industrie avec une pollution critique et les 3% restants vont à la consommation des ménages. En clair, ces agences du bassin vont exagérer en matière de consommation et tout ce qu’elles vont réaliser, se résume en la privatisation de la distribution avec une vente par l’Etat du m3 à 20 centimes. Après traitement il est vendu par l’ONE à 1,20 DH et les distributeurs que sont la Lydec et la Redal, par exemple, vont le vendre aux consommateurs en moyenne à 4 DH ! 
En réalité, ce que vend l’Etat c’est le patrimoine des Marocains en faisant bénéficier l’ONE et les sociétés distributrices. Même si le bénéfice est peut-être justifié pour l’Office, contrairement aux sociétés, qui, elles, viennent uniquement pour distribuer et obtiennent 2,80DH d’écart en passant de 1,20DH à 4DH. Pis, on ne sait même pas si cet argent reste au Maroc ou part à l’étranger.
D’un autre côté, ces sociétés ont des engagements pour arranger les infrastructures relatives à l’assainissement, la prévention, la précaution des crues, mais ces réalisations laissent à désirer et pourtant ils prélèvent un pourcentage conséquent pour ces réalisations qu’elles doivent opérer.
Pavé dans la mare, ce qui a été dit par le passé de la loi sur l’eau était très prometteur mais au bout du compte, en 21 ans, c’est le consommateur, le commun des citoyens qui en subit les frais.
Résultat des courses : le Royaume se retrouve maintenant avec 100% totalement géré aux dépens  de la nation, soit contre les petits citoyens surtout les plus vulnérables, au lieu de 97% du passé.
En effet, le gouvernement Benkirane est venu et a pris un certain nombre de « mesurettes » concernant les 3%, alors que d’aucuns se rappellent que dès 1995, l’on avait annoncé une mesure, en l’occurrence la création de la police de l’eau. Et à défaut de qualification et de moyen, rien ne fut. Et de toutes les manières, même s’il y avait cette police, elle n’aurait intervenu que sur les 3%. Ainsi, alors que quelques-uns parlent d’une loi à tort, il ne s’agit finalement pas d’une loi, mais plutôt du colmatage d’une anomalie qui persiste.
 

Si le gouvernement d’alternance a pleinement rempli sa mission dans une vision nationale et que le Maroc a continué, même après son départ, à en récolter les bénéfices, il est plutôt question, depuis que l’actuel Exécutif est aux commandes, d’un revirement dangereux

Quel commentaire cette situation vous inspire ?
Quand on additionne tous ces éléments : une méconnaissance de la COP7, plutôt qu’une ignorance, une délégation en  charge de l’environnement au ministère du Commerce, une délégation du commerce au ministère de l’Environnement, en plus du camouflage des insuffisances de la loi 10-95 sur l’eau, l’on est enclin au sein de l’USFP à prendre très au sérieux les risques incalculables pris par l’actuel gouvernement, pour l’avenir. C’est la raison pour laquelle au sein du parti de la Rose, nous craignons beaucoup pour l’avenir de notre pays et nous sommes de nouveau disposés à apporter notre contribution.
En sus, il y a des faits et des vérités à connaître : plus récemment, l’USFP a redressé la pente des négociations sur l’environnement en apportant sa contribution à la création de la CMAE (Conférence ministérielle africaine sur l’environnement) et en infléchissant à la COP une nouvelle vision.  Et plus antérieurement, c’est grâce au gouvernement de l’alternance de Abderrahman El Youssoufi que la dette extérieure du Maroc a été revue à la baisse passant de 27 à 13 milliards. Maintenant, elle a atteint le record de 30 milliards de dollars sous le gouvernement Benkirane.
C’est aussi grâce au gouvernement d’alternance que le dossier des droits de l’Homme et notamment de la femme a pris forme même s’il a été récupéré par d’autres. Autres points et non des moindres à mettre à l’actif du gouvernement d’alternance : le code de couverture médicale de base, en l’occurrence la loi 65.00, a été adopté ; des pays comme l’Afrique du Sud ou l’Inde ont mis en hibernation leur reconnaissance du Polisario ; la politique des autoroutes a été initiée ; l’aménagement du territoire a fait l’objet d’un débat national ; la transition entre Feu Hassan II et notre Monarque s’est passée dans la sérénité ; les toutes premières campagnes de la propreté des plages avec Lalla Hasna ont connu un franc succès ainsi que tout ce qui a été réalisé jusque-là en matière d’environnement. 
D’aucuns ne peuvent donc contester que le gouvernement d’alternance a pleinement joué son rôle et avec de grands succès. Même après le départ de Abderrahman El Youssoufi et à travers ces réussites indiscutables de son gouvernement, le Maroc a commencé à récolter des bénéfices.
Ainsi, l’USFP revient aujourd’hui avec le souci de tenter de tirer d’affaire le pays et œuvrer pour sa stabilité. Si notre parti participe au prochain gouvernement, ce sera véritablement en faveur du peuple marocain. 


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