Moen K.Shakfa: Qatar propose, avec l’aval des Etats-Unis, aux Palestiniens une paix sur mesures israéliennes


Propos recueillis par Hassan Bentaleb
Jeudi 1 Août 2013

Moen K.Shakfa: Qatar propose, avec l’aval des Etats-Unis, aux Palestiniens une paix sur mesures israéliennes
Les représentants palestiniens et israéliens ont repris, lundi 29 juillet dans la soirée, les discussions
à Washington pour entamer les négociations de paix gelés depuis près de trois ans. Pour
y arriver, il a fallu que le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, enchaîne les visites
en Israël et dans les Territoires palestiniens pour amener les deux parties à s’asseoir autour de la même table.
Pourtant, les Palestiniens restent sceptiques face au gouvernement
Netanyahu qui n’est pas sur le point de changer de politique, et aux Américains qui n’ont pas pris de position claire sur la colonisation.
Cependant, la direction palestinienne n’hésite pas à montrer sa bonne foi en suspendant toute démarche à adhérer
à des organisations internationales, y compris les instances judiciaires susceptibles de poursuivre Israël, comme l’accession
de la Palestine au statut d’Etat observateur à l’ONU le 29 novembre qui lui en donne
désormais le droit, le temps pour John Kerry de parvenir à des résultats. Retour sur
ces tentatives de relancer le processus de paix et la situation dans
les territoires occupées avec le journaliste palestinien connu Moen K.Shakfa qui a fait le bonheur de plusieurs
rédactions dont notament  Achark Al Awsat. Et c’est avec tout autant de bonheur qu’il a opté pour le free-lance.

 
Libé : Où en est le processus de paix israélo-palestinien? Peut-on dire qu’il est mourant ?

Moen K. Shakfa : Non, je ne crois pas. On peut dire que le processus de paix est gravement malade mais non moribond puisque l’ensemble des parties concernées n’ont pas intérêt à achever ou à enterrer ce processus. Tout le monde sait qu’un tel gel sera lourd de conséquences. Notamment pour Israël qui tente, chaque fois que c’est possible, de relancer ce processus dont il est premier à récolter les bénéfices. Toutefois, je tiens à préciser que l’Etat hébreu ne semble pas si pressé de faire la paix avec les Palestiniens. Il joue sur le facteur temps et ne prend pas l’Autorité palestinienne au sérieux. Cette dernière est traitée plutôt comme une sorte de conseil communal et non comme une Autorité souveraine.
Israël veut que les Palestiniens reviennent à la table des négociations tout en acceptant la colonisation. Il souhaite une paix selon ses conditions et ses propres intérêts. Une paix capable de briser  l’obstacle psychologique qui le sépare des pays arabes ; même s’il sait certainement que tout processus de paix ou normalisation des relations diplomatiques passe par une vraie paix avec les Palestiniens.
Aujourd’hui, l’avancement du processus de paix est fortement handicapé par ce qui se passe dans le monde arabe.  Il faut rappeler que la cause palestinienne est une affaire arabe par excellence. Quand le défunt président palestinien Abou Amar a voulu s’engager  dans le processus de paix, il a consulté l’ensemble des pays arabes qui constituent  un soutien fort dans toute négociation avec l’occupant.
Un soutien que les Palestiniens ont du mal à avoir aujourd’hui comme l’attestent les coulisses du vote, le  jeudi 29 novembre dernier, pour rehausser le statut de la Palestine à un Etat observateur non membre de l’ONU. Les Palestiniens ont dû déployer beaucoup d’énergie et d’efforts diplomatiques pour convaincre certains pays à voter pour eux.  A cela s’ajoute le rôle de Qatar qui sert en premier lieu l’administration sioniste.      

En évoquant Qatar, que pensez-vous de «l’initiative de paix arabe» défendue par ce pays?

Il faut rappeler que depuis la Nakba (l’exode palestinien de 1948), aucun leader arabe n’a jamais évoqué le principe d’échange de territoires entre  Israël et les Palestiniens. Et voilà que Qatar vient aujourd’hui proposer cette initiative. Le pire, c’est que le ministre des Affaires étrangères qatari a évoqué cette affaire depuis Washington pour donner plus de force à ses déclarations et donner l’impression que l’administration américaine approuve le principe.
Personnellement, j’ai beaucoup respecté la position du président Abou Mazen qui a refusé cette initiative  malgré la carte de la crise économique brandie par le ministre qatari des Affaires étrangères. Je salue également la position des pays arabes qui ont refusé eux aussi cette initiative que je n’hésite pas à qualifier de crime contre la cause palestinienne ou une nouvelle Nakba. Qatar propose aux Palestiniens une paix sur mesures israéliennes et avec l’aval des Etats-Unis.

Et qu’en est-il de « l’initiative de paix de Genève » ?

Il faut rappeler que cette initiative n’a jamais été faisable. Elle a été d’abord conçue pour rapprocher les points de vue entre les deux parties. En d’autres termes, il s’agit bien d’un modèle à suivre dans les négociations entre les Palestiniens et les Israéliens imaginé par plusieurs personnalités qui ne représentent pas leur gouvernement.

Selon vous, quels sont les choix possibles qui se présentent devant le président Abou Mazen pour faire avancer la cause palestinienne?

Abou Mazen n’a pas beaucoup de choix. C’est pourquoi, il parie sur toutes les opportunités offertes notamment dans un contexte d’après-Printemps arabe. Aujourd’hui, le président de l’Autorité nationale palestinienne a fait le choix de parier sur la société civile mondiale et pas sur celui de la résistance armée. Car il sait que ce choix  est long et exige un soutien permanent et inconditionnel. Des exigences qui n’existent pas aujourd’hui puisque rares sont les pays prêts à soutenir la résistance sans exiger de conditions préalables. Et c’est le piège contre lequel a trébuché Hamas qui a accepté d’obtenir une aide conditionnelle de la part de la Syrie. Après le déclenchement de la crise syrienne, le régime de Damas a exigé du Hamas d’adopter une position qui a été malheureusement contre le peuple syrien.

Que pensez-vous du Printemps arabe? Quelles conséquences sur la cause palestinienne?

Au début, on a pensé que le Printemps arabe allait tout changer, que la libération de la Palestine était proche et que c’est le peuple qui prendrait les rênes du pouvoir. On a pensé qu’avec l’arrivée de nouveaux régimes, il y aura pression sur l’administration américaine pour trouver une issue au conflit israélo-palestinien. Mais, notre déception a été forte. Et notre surprise a été si grande  lorsqu’on a découvert que ces régimes ont d’autres priorités à défendre que la cause palestinienne. Ils avaient pour priorités une crise économique à gérer, de nouvelles Constitutions à élaborer et des Parlement à mettre en place. Un labyrinthe dont plusieurs pays sont incapables de sortir.   J’ose même dire que le Printemps arabe a affecté les relations entre les pays arabes.   Prenons l’exemple des relations entre l’Egypte et les Palestiniens qui n’ont jamais atteint un tel niveau de gravité comme c’était le cas après l’assassinat de 16 garde-frontières égyptiens en août dernier à Rafah où l’on a vu  l’armée égyptienne détruire des dizaines de tunnels et arrêter des Palestiniens. On peut évoquer également le cas de la Syrie : pour la première fois, Israël bombarde ce pays et tue des civils dans une indifférence totale de la rue arabe.

Est-ce vrai que la rue palestinienne vit dans un état de déception sérieuse ?

Les Palestiniens sont vraiment déçus et il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer cette déception. L’un des éléments explicatifs reste les dissensions entre Fatah et Hamas. Le peuple palestinien a aujourd’hui le sentiment d’avoir deux têtes diamétralement opposées. Il a l’impression de tourner dans un cercle vicieux. Actuellement, la priorité principale pour le citoyen lambada est d’abord l’unité des rangs palestiniens avant toute chose, avant même la paix. Car tout le monde sait qu’Israël exploite cette situation de conflit interne, qui entame sa septième année consécutive, pour maintenir le statu quo qui sert ses intérêts. En effet, un pouvoir partagé entre l’Autorité nationale palestinienne en Cisjordanie et Hamas à Gaza dédouane l’Etat hébreu en tant que force d’occupation responsable de la sécurité de trois millions de Palestiniens.    

La situation à Gaza est-elle aussi explosive ?

 Actuellement, Gaza est au bord de l’implosion  et Hamas joue sur un volcan qui peut exploser à tout moment. Il a beaucoup perdu de sa popularité. L’épreuve du pouvoir a fait tomber le masque sur la vraie identité du Hamas. Il s’agit bien d’un mouvement tyrannique qui a su se servir des souffrances et de la patience du peuple palestinien.  Il faut rappeler que Hamas a pris le pouvoir dans le sang   après l’assassinat de 736 Palestiniens et  l’attaque de plusieurs maisons des membres du Fatah ainsi que l’agression de plusieurs officiers de police. Le mouvement gouverne seul et selon ses propres normes. Le dernier rapport de Humain Rights Watch sur la situation des droits de l’Homme à Gaza est édifiant. Il a fait état de nombreuses atteintes graves aux droits de l’Homme comme c’est le cas de plusieurs décès enregistrés dans les prisons de Hamas.  Dernièrement, il a  même osé interdire plusieurs manifestations  de l’Office de secours des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) comme c’était le cas pour le marathon, les colonies de vacances et certains jeux mixtes.

Et qu’en est-il de l’intégrisme qui sévit à Gaza?

 Hamas ne soutient pas ces mouvements. Ces derniers ont été imposés par certaines parties donatrices. Gaza aujourd’hui a l’air d’un far west où tout est permis. Mais l’existence de ces mouvements n’est pas fortuite. Cette situation sert les intérêts du Hamas qui veut maintenir à tout prix le monopole de la résistance armée en Palestine. Ceci d’autant plus que ces mouvements seront  utilisés comme carte de pression dans les prochaines négociations de réconciliation palestino-palestinienne. Hamas sait pertinemment qu’il y aura une pression pour qu’il accepte l’entente avec l’Autorité palestinienne. Alors, il assure ses arrières en s’appuyant sur  le soutien et l’appui de ces mouvements. Néanmoins, il faut savoir que tout individu de ces mouvements susceptible de représenter un danger pour Hamas ou Israël sera automatiquement liquidé. A preuve, et j’assume totalement ma responsabilité sur ces déclarations, l’assassinat de Haïtam El Mishal qui a été détenu dans les prisons de Hamas pendant 30 jours. Il a été assassiné après sa convocation par le Shin Beth (service de contre-espionnage et de la sécurité intérieure israélien). L’Etat hébreu sait lui aussi que ces mouvements existent à Gaza puisque c’est lui qui a facilité leur introduction dans les territoires palestiniens afin de jouer, le temps opportun,  la carte du terrorisme pour affronter les pressions internationales.

Où en est-on avec le processus de réconciliation?

On est proche et je crois que d’ici quelques mois il y aura une déclaration dans ce sens. Actuellement, Fatah et Hamas font l’objet d’une grande pression pour retourner à la table des négociations afin que ni les Etats-Unis ni Israël ne puissent continuer à profiter de cette situation de division.  Ceci d’autant plus que ni Fatah ni Hamas n’ont plus intérêt à rester en conflit. Leur existence sur la scène arabe dépend en grande partie de leur réconciliation. Le processus de paix est fortement lié à la réconciliation. Les deux mouvements savent que refuser la réconciliation signifiera l’auto-exclusion. Notamment pour Hamas qui a essayé à plusieurs reprises d’établir des relations officielles avec certains pays arabes qui ont refusé tant qu’il y a division dans les rangs palestiniens. Mais tout laisse penser qu’on est proche d’une réconciliation entre les frères ennemis puisqu’on commence déjà à parler d’un gouvernement d’urgence qui sera constitué dans 90 jours afin qu’il supervise les prochaines élections.

Que pensez-vous de l’avenir de la paix en Palestine ?

A vrai dire, je ne suis pas trop optimiste car les données sur la scène palestinienne et arabe laissent penser qu’il ne faut pas attendre grand-chose. Les cartes ont été fortement brouillées et Israël sait bien que le jeu n’est plus le même.


Lu 2144 fois


1.Posté par Magid le 03/08/2013 00:36
Le fatah du temps de Arafat était corrompus et le hamas joue la politique de la terre brulée. Quand au gouvernement israélien, tout le monde sait et y compris de nombreux politiques de part le monde, qu'il ne veut pas la paix et qu'il feind de la vouloir. Comme précisé dans l'article Israèl joue en permanence la montre pour coloniser un maximum de terre palestienne et accorder aux palestiniens de Cisjordanie un territoire pas plus grand que Gaza. Il compte sur la politique du fait accompli devant la scène internationale.. Alors que eux ( les israéliens) refusent le retour des palestiniens spoliés de leur terre sous prétexte de boulversement de la démographie d'Israel ou les palestiniens risqueraient d'être plus nombreux. Il faut souligner que les politiques israéliens sont en fait tous d'accord quelque soit le gouvernement en place pour continuer de manière passive ou active cette politique de colonisation. Quand aux pays arabes , leur rivalité et leur duplicité envers l'occident ne sert que les intérêts israéliens pour le plus grand malheure des palestiniens.

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.





services