Méditerranée : la mer de tous les dangers


Jean Piel (MFI)
Vendredi 24 Juillet 2009

Méditerranée : la mer de tous les dangers
Pollution, urbanisation, pression touristique, surpêche, réchauffement climatique, trafic maritime… La Méditerranée est particulièrement menacée par les atteintes à l’environnement. Comme l’explique Christian Buchet, directeur du Centre d’études sur la mer à l’Institut catholique de Paris : «La Méditerranée est d’autant plus fragile que c’est une mer semi-fermée. La pollution y a un effet décuplé sur la faune et la flore. C’est aussi un endroit très peuplé puisque 150 millions de personnes vivent sur ses côtes et 400 millions dans les 22 pays riverains ».
Le tiers du trafic maritime mondial
Environ 220 000 bateaux de plus de 100 tonnes naviguent en Méditerranée chaque année, soit le tiers du trafic maritime mondial. Les pétroliers sont particulièrement nombreux. Si la pratique du dégazage est plus sévèrement punie, on a néanmoins compté près de 200 cas en 2008 dans la seule partie européenne de Mare Nostrum. Rien qu’en naviguant, les porte-containers et autres paquebots de croisière rejettent 100 000 tonnes de fioul chaque année, en l’absence de toute marée noire. « La Méditerranée reçoit 17 % des hydrocarbures déversés dans les océans alors qu’elle ne représente que 0,7 % de la surface des mers. D’où une menace sur les écosystèmes. »
Déjà fragilisées par la pollution, la faune et la flore font face à l’arrivée d’espèces invasives dopées par le réchauffement. On compterait 56 espèces nouvelles de poissons qui, du fait du changement climatique, remontent le canal de Suez pour s’installer en Méditerranée. Au large de la Corse, les plongeurs admirent régulièrement des girelles bicolores ou des balistes qu’on ne croisait, il y a seulement cinq ans, qu’en Mer rouge. Les requins par contre sont en voie de disparition. Leur nombre a diminué de 97 % en cinquante ans.
Urbanisation mal contrôlée et tourisme de masse
Trafic maritime et réchauffement climatique ne sont pourtant qu’une petite partie du problème : 80 % de la pollution de la Méditerranée vient de terre. Comment s’en étonner ? Plus de 150 millions d’habitants vivent sur son littoral, auxquels s’ajoutent 240 millions de touristes par an ; un chiffre qui devrait passer à 300 millions avant 2030. Certes, c’est une source de revenus non négligeables pour les pays riverains. Mais c’est aussi une grave menace pour l’environnement. Un touriste consomme en moyenne 300 litres d’eau par jour, soit le double des autochtones. La demande en eau – pas toujours satisfaite dans certains pays – devrait doubler d’ici vingt ans en Turquie, en Syrie, en Libye, au Maroc et en Algérie. « La concurrence avec l’agriculture pose déjà un problème. L’Espagne, la Tunisie ou l’Egypte doivent arbitrer entre les différents usages et cela sera de plus en plus fréquent. Les gains liés au tourisme sont évidents, mais on ne calcule pas assez ce qu’on perd en sécurité alimentaire », s’inquiète Pierre Icard, du Programme des Nations unies pour l’environnement.
En outre, entre hôtels, commerces et résidences secondaires, 42 % du littoral est bétonné. Les encombrements favorisent la pollution atmosphérique et les déchets – nombreux – finissent souvent en mer ; 60 % des villes côtières de plus de 100 000 habitants ne disposent pas de stations d’épuration et rejettent directement leurs eaux usées en mer. De même, 80 % des décharges des pays des rives méridionale et orientale échappent à tout contrôle. « Entre une urbanisation mal contrôlée, un tourisme non-durable, des industries polluantes et un fort trafic maritime, les écosystèmes de la Méditerranée se dégradent dangereusement. Il est encore temps d’agir, mais le point de non-retour est parfois atteint », regrette Pierre Icard.
Intervenants nombreux et budgets limités
Evidemment, ce panorama pessimiste ne doit pas faire oublier la beauté des calanques de Marseille, la magie des îles grecques, le retour des mérous, la richesse des fonds sous-marins au large de la Turquie, le charme d’Alexandrie, l’héritage de la civilisation à Carthage. Mais ce panorama prouve aussi à quel point la dépollution de Mare Nostrum constitue un projet légitime – et un redoutable défi – pour l’Union pour la Méditerranée.
Le 25 juin, la première réunion ministérielle de l’UPM, après six mois de blocage dus à l’offensive israélienne contre Gaza, a été consacrée à la protection de l’environnement et au développement durable. Les diplomates se disent persuadés que ce sont ces dossiers qui permettront à une UPM politiquement fragile de progresser.
Au cours de cette réunion ministérielle, 200 projets ont été listés et évalués à 200 milliards d’euros par la Banque européenne d’investissement (BEI). Pour l’instant, seuls cinq projets sont mis en œuvre, parmi lesquels l’extension d’une station d’épuration au Caire (deux millions de personnes concernées), la construction d’une centrale photovoltaïque au Maroc et un ouvrage d’adduction d’eau à Gaza. Cinq projets sur 200 : le résultat est maigre, mais c’est une première étape. D’autant que l’UPM n’est pas seule à agir. La Commission européenne et la BEI ont lancé, en avril 2008, l’initiative Horizon 2020 qui vise à dépolluer plusieurs zones sensibles en Méditerranée orientale et méridionale et à aider financièrement des pays de la région à réduire leurs rejets polluants en mer. De son côté, le Programme des Nations unies pour l’environnement, via son Plan d’action pour la Méditerranée, est également présent, plus particulièrement en faveur de la biodiversité des zones côtières.
Une multiplicité d’intervenants qui laissent les ONG dubitatives. « Ce mille-feuille institutionnel n’est pas synonyme d’efficacité. Les problèmes politiques freinent souvent les réalisations dans le bassin méditerranéen.
Surtout, il manque le nerf de la guerre : des budgets à la hauteur des besoins », entend-on ainsi au Fonds mondial pour la nature (WWF). L’Union pour la Méditerranée a débloqué 23 milliards d’euros pour différents projets liés à l’environnement. Pas uniquement pour dépolluer Mare Nostrum, mais aussi pour un projet de centrale solaire dans le Sahara, l’installation de pompes d’irrigation (fonctionnant aussi à l’énergie solaire) en Tunisie ou l’implantation d’éoliennes à Chypre.
Si elle peut sembler importante, cette somme de 23 milliards d’euros est néanmoins en-deçà des besoins. Les questions budgétaires seront, avec les tensions politiques, la principale difficulté à laquelle l’Union pour la Méditerranée sera confrontée. Dans le domaine de l’environnement comme dans les autres.


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