Mauvaise passe pour des rappeurs chinois bannis


Samedi 9 Janvier 2016

Dans le "hit-parade" des chansons interdites par le gouvernement, les rappeurs effrontés et tatoués d'IN3 pulvérisent tous les records: leurs titres, mélange du truculent parler pékinois et de rythmes hip-hop, trustent... les 17 premières places.
IN3 a rempli des salles de Pékin pendant une décennie, mais le trio a été détenu à l'automne, quelques semaines après la publication par le ministère de la Culture d'une liste de 120 chansons bannies d'Internet car accusées de "propager des obscénités, la violence, le crime et de porter atteinte à la morale".
Les rappeurs ont toujours roulé des mécaniques mais soigneusement évité les sujets strictement interdits comme les attaques contre les dirigeants communistes, préférant la frime, avec baskets Nike et consoles de jeu Playstation.
Mais ils pourraient bien ne plus jamais pouvoir jouer dans leur ville de coeur.
Leur chanson la plus connue, "Journal du soir de Pékin" -- classée 3è sur la liste du gouvernement -- chronique une vie nocturne pékinoise faite d'ivresse au volant, de flirts grivois et de bagarres avec des patrons de bars. Le titre contient également des bordées d'injures ciblant pêle-mêle le coût des médicaments, les embouteillages et la mauvaise insonorisation des immeubles -- des plaintes régulièrement relayées par les médias officiels eux-mêmes.
"Certains dorment dans les couloirs du métro, d'autres volent l'argent public pour leurs restos", rappe le groupe, en référence à la corruption des fonctionnaires.
Casquette noire sur la tête, Converses aux pieds, Jia Wei, un des membres, assure à l'AFP: "On ne veut pas seulement critiquer la société, on veut que la société évolue".
Le trio réserve ses diatribes les plus acerbes contre le système éducatif chinois, "le plus gros problème" en Chine selon M. Jia.
Dans leur chanson la plus véhémente, "Bonjour prof", ils promettent de barbouiller leurs manuels de dessins graveleux et appellent les enseignants "hypocrites" et "éhontés" à "mourir rapidement". Le titre a terminé numéro un du "palmarès" gouvernemental.  Mais les IN3 ont connu des relations moins conflictuelles avec les autorités.
Un des membres, Chen Haoran, a étudié la clarinette au prestigieux Conservatoire central de musique, à Pékin, et conserve chez lui une collection de tortues.
Lors des Jeux olympiques de Pékin en 2008, la télévision locale les filmait le long des "hutongs", ces anciennes ruelles emblématiques de la capitale chinoise, dans un rap consensuel: "Ici, les étrangers veulent tous parler pékinois; ils vont soutenir avec nous l'équipe de Chine".
La même année, le journal officiel China Daily les avait encensés en les surnommant "les mauvais garçons de la dynastie bling-bling".
Mais le contrôle déjà étroit des autorités sur l'art s'est resserré depuis les JO, et Jia Wei explique que les autorisations pour les concerts sont désormais difficiles à obtenir.
"Je doute qu'ils puissent revenir jouer à Pékin", soupire Amy Wang, une admiratrice. "Bien sûr que je suis contrariée. Leur rap s'intéresse au genre d'histoires qui arrivent chaque jour à mes amis."
A la recherche d'un lieu alternatif, IN3 s'est produit dans la province du Yunnan, à 3.000 km, mais quelques minutes à peine après avoir réatterri à Pékin, la police a surgi dans l'avion avant de les menotter et de les embarquer, explique M. Jia.
"On a été bloqués sur des chaises d'interrogatoire, cagoule sur la tête", raconte-t-il, évoquant une semaine de détention durant laquelle il dit avoir été passé à tabac: "Ils voulaient me faire peur".
Le groupe, qui n'a jamais fait mystère de son usage de cannabis, aurait été détenu dans le cadre d'une opération anti-drogue visant notamment les célébrités consommatrices, tel le fils de l'acteur Jackie Chan, emprisonné en janvier pour six mois.
Jia Wei a été relâché faute de preuve mais estime que leur musique a joué un rôle dans leur détention, quelques semaines après la publication en août de la "liste noire" gouvernementale.
"Ils ont mis nos téléphones sur écoute durant trois mois, et ils nous ont répété nos conversations", ajoute-t-il.
La police n'a pas répondu aux demandes de commentaire de l'AFP.


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