Marion Slitine : Un musée pour la Palestine, une façon de lutter contre l’effacement d’un peuple voulu par l’occupation


Youssef Lahlali
Dimanche 16 Juillet 2023

Dans cet entretien, Marion Slitine, l’une des commissaires de l’exposition «Ce que la Palestine apporte au monde», nous parle du projet de musée à Jérusalem Est et de la résistance artistique et culturelle du peuple palestinien.
 
Libé : Pourquoi avoir choisi le titre «Ce que la Palestine apporte au monde ?»

Marion Slitine : Il s’agit d’un renversement de perspective où on a eu envie de voir en quoi aujourd’hui la Palestine, qui est au cœur des images géopolitiques, depuis un certain nombre d’années avec les révolutions arabes et d’autres évènements a été mise à l’écart de l’attention.

L’idée c’est vraiment de montrer que la Palestine est encore au cœur des manifestations et surtout est une source d’inspiration, quand je parlais de renversement, c’était vraiment l’idée de comment la Palestine a une capitale symbolique extrêmement puissante, que ce soit historiquement, politiquement mais aussi culturellement. Au lieu de parler de la Palestine à travers ce dont on a l’habitude de voir, c’est-à-dire la perte, la souffrance, ce n’est pas l’idée d’effacer, d’annihiler le contexte d’occupation et colonial mais l’idée c’était de parler de la Palestine à travers ce qu’elle a créé, hier et aujourd’hui, et ce qu’elle inspire au monde.

C’est donc ça le renversement et de voir aussi comment la Palestine pouvait nous apprendre. Elle a toujours été à l’avant-garde des questions de résistance, d’injustice, de lutte pour les droits de l’Homme. Mais ce qu’elle pouvait aussi nous apprendre en termes de créativité, d’expérimentation artistique qui passe beaucoup par l’humour qui est très présent dans cette création contemporaine.
L’humour agit comme une soupape de sécurité et une résistance au désespoir. L’idée c’était vraiment de renverser un peu les perspectives et montrer une Palestine qui est extrêmement créative, vivante et qui nous apprend en termes de créativité également.

C’est toute cette vitalité, cette effervescence de la création en Palestine et pour la Palestine aussi qu’on a voulu mettre en avant. Il fallait un titre qui fasse référence aussi à une revue qui est sortie et qui a été éditée par l’Institut du monde arabe et le Seuil dans la collection Araborama qui porte donc le nom de ce que la Palestine apporte au monde où énormément de chercheurs, d’artistes, d’acteurs de la société civile ont contribué, que ce soit des Palestiniens ou des internationaux. Des pays arabes également ont participé à cet ouvrage collectif. C’est donc ça le point de départ.

Les œuvres présentées lors de l’exposition sont normalement exposées au musée national de la Palestine. Comment donc bâtir un musée pour un peuple et un Etat encore sous l’occupation ?

C’est justement tout le défi et le pari de cette exposition. Il y a effectivement ce musée national de l’art moderne et contemporain de la Palestine qui a été fondé par Elias Sanbar en 2017 et sur les modèles de musée en exil, des musées de solidarité qu’il y avait aussi en Afrique du Sud ou au Chili. L’idée ici c’est un musée fondé sur des donations d’artistes internationaux qui font donc don d’une de leurs œuvres voire plusieurs. Par ce geste de don, on retrouve l’idée de créer un musée à l’avenir, en devenir qui a vocation à être à Jérusalem Est, dans un avenir proche qui serait donc la capitale des Palestiniens.

C’est vraiment un musée solidaire mais qui a réellement une ambition d’avoir sa dimension physique à l’avenir. Ce qui est également intéressant dans ce musée, c’est qu’Elias Sanbar ne va pas aller chercher des œuvres. Ce sont vraiment des artistes qui ont une sympathie et qui veulent s’engager pour la question palestinienne. Actuellement, les collections de ce musée sont dans les réserves de l’Institut du monde arabe puisqu’il y a eu énormément de dons qui ont été faits à tel point qu’il n’y avait plus de place. Il y a donc un partenariat entre l’IMA et ce musée qui a été établi pour héberger ces collections en attendant un futur musée à Jérusalem Est.

Le musée de Jérusalem Est est-il encore à l’état de projet ou est-il en cours de construction ?

C’est un projet qui pour l’instant est en devenir puisqu’on sait que dans la situation politique actuelle, il est impossible d’établir un musée palestinien à Jérusalem qui est annexée, mais l’idée à terme, c’est que ce musée ait vraiment un pendant physique à Jérusalem. C’est aussi une idée de solidarité, un musée qui est pour le moment mobile et tangible au gré des expositions et des déplacements mais avec de vraies collections physiques.

Est-ce que ce musée a pour but de préserver la mémoire et la culture  palestiniennes face à une occupation qui cherche en quelque sorte à faire disparaître tout cela ?

Non seulement le musée mais aussi l’exposition de manière générale, c’est aussi montrer cette revendication qui n’est pas une provocation à être là, à exister malgré toutes les difficultés de la vie quotidienne sous l’occupation et évidemment la question de créer des archives, une histoire culturelle, de préserver le patrimoine et la mémoire culturelle des Palestiniens. Ce sont des enjeux majeurs dans un contexte d’occupation où l’on sait que l’une des premières choses que l’armée israélienne fait est de détruire les archives notamment culturelles. Il faut donc créer toutes ces initiatives artistiques et les préserver, les conserver dans un musée car c’est aussi une façon de lutter contre l’effacement d’un peuple voulu par l’occupation parce que c’est une occupation non seulement militaire et économique mais aussi culturelle et c’est là, la force de l’art et de la culture.
C’est  pour rappeler cette volonté qui n’a jamais cessé et qui est toujours aussi présente de faire valoir sa voix et ses droits et montrer aussi une visibilité, se représenter par la culture et par toutes ces images qui disent d’autres choses de la Palestine.

En organisant cette exposition à l’IMA, quel public souhaitez-vous toucher ?

Pour commencer, le partenariat entre l’IMA et le musée d’art moderne et contemporain de la Palestine y est pour beaucoup dans le choix de faire l’exposition à l’IMA. Ce partenariat fait qu’ils doivent présenter chaque année les dernières acquisitions et donations des artistes de ce musée. Là, l’idée était de faire un évènement fort.  Nous ne sommes pas sans savoir que nous sommes à la 75ème année de commémoration de la nakba. Donc c’était aussi une volonté de mettre l’IMA à l’heure palestinienne.
C’est très important qu’une institution d’une telle envergure en France puisse faire partie de ce projet. C’est une manière à la fois de toucher un public arabophone mais également un public beaucoup plus large puisque l’IMA est une centralité culturelle majeure en France, donc c’est tout à fait naturel de la faire ici.

Paris : Propos recueillis par Youssef Lahlali


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