Maria Losada Une main-d’œuvre mixte est un atout compétitif majeur pour l’entreprise


Propos recueillis par Alain Bouithy
Mercredi 5 Février 2014

Maria Losada Une main-d’œuvre mixte est un atout compétitif majeur pour l’entreprise
La promotion de la diversité des genres dans les milieux 
d’affaires en Egypte, en Jordanie, en Tunisie et au Maroc constitue le cheval de bataille du Programme régional 
« Intégration économique des femmes dans la région Mena » (EconoWin). 
C’est dans ce cadre que l’Agence allemande de coopération
au développement (GIZ) a procédé récemment au lancement de «La compétition pour une diversité des genres dans 
l’entreprise». Cette initiative, qui s’adresse d’abord au 
secteur privé, vise à relever le défi « de gagner, maintenir 
et développer les talents féminins dans la main-d’œuvre », souligne la responsable du projet, Maria Losada, qui  
évoque également la situation de la femme au 
sein des entreprises marocaines .

Libé : L’Agence allemande de coopération au développement (GIZ) a lancé récemment « La Compétition pour une diversité des genres dans l’entreprise » dont vous êtes la responsable dans la région Mena. De quoi s’agit-il?
 
Maria Losada : La «Compétition pour la diversité des genres dans l’entreprise» est un projet régional que nous lançons simultanément au Maroc, en Jordanie, en Egypte et en Tunisie pour appuyer les entreprises de ces pays à développer leur propre projet en vue de recruter, retenir et développer les carrières de femmes au sein des entreprises. Ce projet est une initiative du programme régional «Intégration économique des femmes dans la région Mena» (EconoWin), mandaté par le ministère fédéral allemand  de la Coopération économique et du Développement (BMZ) et mis en œuvre par la Deutsche Gesellschaft für international Zusammenarbeit (GIZ).

Quelle est justement la situation des femmes dans le marché du travail dans la région Mena et particulièrement au Maroc ?
 
Plusieurs études réalisées au niveau international mais aussi des statistiques fournies par les pays concernés relèvent que la participation économique des femmes reste faible surtout dans le secteur privé. Globalement, il ressort que l’intégration des femmes au marché du travail dans la région Mena est la plus faible au niveau mondial. Selon les chiffres, les femmes représentent 24% de l’ensemble de la main-d’œuvre dans la région Mena. Au Maroc, seulement 27% des femmes en âge de travailler participent au marché du travail et moins d'un quart sont effectivement employées.

En matière de diversité des genres, le secteur public s’en tire plutôt mieux. Pourquoi la place de la femme est-elle plus critique dans le privé ?
 
Le constat général est qu’il y a plus de femmes dans le secteur public. Des études montrent qu’il est plus facile pour elles de garder leur poste de travail et de concilier entre vie professionnelle et vie privée au sein des institutions publiques. Mais il faut probablement analyser plus en détail la réglementation et les pratiques de chaque pays pour tirer des conclusions.

Dans le cas du Maroc, quels sont les obstacles auxquels les femmes doivent faire face pour «être admises, maintenues et promues au sein de l’entreprise»?
 
L’analyse des études réalisées par diverses institutions nationales et internationales sur cette thématique, cite notamment des contraintes institutionnelles, à savoir des contraintes au niveau du droit du travail et de la famille; des restrictions personnelles (compétences ou choix de vie de chacun) et les restrictions sociétales sur les rôles attribués aux femmes dans le monde du travail, mais aussi les restrictions liées à la mobilité et à la sécurité. 
Ce qui est intéressant, c’est que ce constat a été confirmé lors de l’événement de lancement du projet, le 22 janvier dernier, où les intervenants ont confirmé que certaines questions culturelles et sociétales ne facilitent pas l’intégration totale de la femme marocaine, mais que cette réalité n’est pas forcément typique de la région. Quoiqu’au Maroc, les femmes aient vraiment besoin de croire en leurs compétences car le manque de confiance en soi constitue un frein à leur intégration.
Notre vision, et d’ailleurs une conclusion de l’événement de lancement, est qu’il faut absolument que les entreprises prennent leurs responsabilités, assistent les femmes qui souhaitent vraiment intégrer le marché du travail et qu’elles les appuient dans leur carrière professionnelle. Les entreprises doivent apprécier à leur juste valeur le potentiel économique des femmes et appuyer la population féminine à rester dans l’entreprise. Ce qui, finalement, aura un impact positif sur leurs performances et leurs chiffres d’affaires.

Avez-vous observé des disparités selon les secteurs d’activité ? La réalité est-elle la même partout ?
 
On a constaté une ségrégation horizontale, c’est-à-dire que la plupart des femmes sont concentrées dans quelques secteurs et professions. 
Dans le cas des secteurs à fort potentiel économique, les sociétés n’arrivent pas à recruter des femmes ou à mettre en place des partenariats avec les écoles et universités, où les femmes sont d’ailleurs majoritaires. Et ce, en dépit du fait qu’il se crée beaucoup de postes importants dans ce secteur. La question est comment encourager les entreprises à aller chercher ces talents féminins qui sont en réalité disponibles.

Quelles sont alors les mesures et solutions à mettre en œuvre pour faire face à tous ces obstacles ? Que faut-il faire pour exploiter le réservoir de talents féminins ?
 
Nous avons lancé cet appel à idées afin que des entreprises du secteur privé présentent des projets sur la diversité des genres qu’elles souhaitent mettre en pratique.
Notre approche englobe trois volets : le volet «recrutement», c’est-à-dire, augmenter l’effectif des femmes dans les entreprises. Le second volet consiste à «fidéliser» les talents féminins présents dans les entreprises parce que c’est la masse critique dont elles ont besoin pour la faire évoluer. Et le troisième volet c’est« l’avancement professionnel ».
Au-delà, notre approche est d’avoir une vision globale : il faut avoir une volonté du top management pour vouloir mettre en place cette politique et après la décliner dans la vision de l’entreprise dans tous les départements concernés. C’est une approche globale pour une diversité des genres dans l’entreprise qui touche à la culture de l’entreprise et à toutes les échelles du management.

Comment les entreprises ont-elles réagi à ce projet ?
 
La thématique sur la diversité des genres n’est pas nouvelle pour les entreprises entretenant des relations internationales ou pour celles qui sont des filiales de multinationales. A leurs yeux, cette thématique est adéquate et répond parfaitement à leurs besoins. 
Par contre, il faudrait faire un peu plus d’efforts pour attirer l’attention des entreprises 100% marocaines. A ce propos, je pense qu’après cette première phase de la compétition, on devrait franchir un grand pas, d’autant plus que certaines ont manifesté l’intérêt de postuler. Nous devrons consacrer plus d’efforts à la sensibilisation notamment des PME qui représentent la majorité du tissu économique marocain. 

Y a-t-il des entreprises dans le monde qui pourraient inspirer celles du Maroc ?
 
On trouve effectivement des entreprises leaders en matière de diversité des genres comme Unilever,  Coca-Cola et Bosch, entre autres. Nous, on s’est inspiré de deux projets financés par l’UE. Le premier au profit de 34 pays pour appuyer le secteur privé dans la mise en place de stratégies de diversité. 
Le second projet du ministère allemand du Travail qui a lancé un appel à proposition aux entreprises sur le thème de la conciliation vie professionnelle et vie privée.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il existe plusieurs projets de diversité des genres au Maroc mais ces initiatives sont peu connues. 
Et nous allons appuyer de façon technique et financière ces projets, puis créer des échanges de pratiques et de modèles de réussite afin de les faire connaître et de les transmettre aux autres entreprises.

La question fait débat à l’étranger où des lois ont été recommandées pour amener les entreprises à s’y mettre. Faut-il passer par là ?
 
Il y a une combinaison possible de plusieurs approches. Plusieurs initiatives ont été prises dans ce sens et qui appellent les entreprises à publier des données désagrégées par genre. Je pense que chaque pays doit faire son choix. En Norvège, par exemple, on a opté pour des quotas. Il faut sans doute des initiatives au niveau politique pour accompagner les entreprises et les femmes dans leur intégration au marché du travail. Je pense que les deux approches sont complémentaires.

Qu’en pensent les femmes de toutes ces initiatives ?
 
Le retour était que les femmes souhaitent naturellement avoir un appui des entreprises pour concilier vie professionnelle et vie privée, ce qui sera d’un soutien fondamental pour leur avancement professionnel. Elles ont aussi partagé la difficulté encore présente à briser le plafond de verre, non seulement à travers des formations mais aussi à travers une prise de conscience des dirigeants. Donc, le retour par rapport au projet a été positif.

Un mot aux entreprises marocaines ?
 
J’appelle les entreprises marocaines à postuler à la compétition pour une diversité des genres dans l’entreprise parce qu’on veut vraiment les appuyer à développer de bonnes initiatives qui pourront être promues en tant que bonnes pratiques et dupliquées ailleurs.


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