Lucile Bernard: L’auteur raconte toujours la même histoire, sous des formes différentes

Entretien avec l’écrivain


​Ce vendredi 25 février, à 18h30, la romancière Lucile Bernard présentera son dernier livre, «A l’aube de nos rêves», paru aux éditions L’Harmattan, à l’Institut français de Marrakech. Pour cette présentation, l’auteure française, par ailleurs fondatrice des «Rencontres internationales de la poésie» à Marrakech et du «Prix Sahara Nour» (concours de Poésie ouvert aux jeunes marocains âgés de 16 à 25 ans), sera accompagnée d’Adel Elouarz, professeur agrégé en littérature et grand amoureux des lettres.

Alain Bouithy
Mardi 22 Février 2022

Libé : « A l’aube de nos rêves » est le titre de votre dernier livre paru aux éditions L’Harmattan. Mais avant d’en parler, que pensez-vous de l’accueil réservé à votre précédent roman « Lettre au dernier amour » ?

Lucile Bernard : « Lettre au dernier amour » est le cinquième ouvrage de la fratrie, un roman aussi. C’est un peu l’enfant pauvre car il est né fin janvier 2020, au tout début de la pandémie du Covid, et il était très difficile de lui donner naissance, le faire grandir. Les librairies étaient fermées, j’ai dû annuler toutes mes signatures et les évènements auxquels j’étais invitée. J’ai essayé avec les mots d’exprimer dans ce livre, comme le dit Marguerite Duras, « le deuil de toute vie, le lieu commun de la pensée ». Je ne sais pas si j’y suis arrivée mais j’ai cette certitude d’un amour fou pour ce livre, d’une passion, car il a été le révélateur pour moi d’une expérience extraordinaire que j’ai relatée à travers les personnages, celle de l’inattendu, la rencontre d’une infinie douceur qui va attirer Colombe, comme un aimant, vers cet autre, cet homme, rencontré sur la plage et à laquelle elle ne peut résister. Ce qui m’a traversée tout au long de ce livre, que j’ai essayé de cerner à travers le bruit des mots, les silences, c’est ce questionnement sur l‘emprise de l’amour, cette fureur devant l’impossibilité à le vivre, cette incompréhension tragique devant un amour qui nous dépasse et dont Colombe finira par en faire le deuil. C’est aussi le visage de l’Afrique, cette Afrique tant aimée, qui apparait aussi, dès le début de « Lettre au dernier amour », dans la bouche de ces deux amis d’enfance, Léo et Colombe, comme un rêve auquel ils croient, qu’ils poursuivront jusqu’au bout.

La Liberté, l’Amour sont très présents dans votre nouveau roman. Tout comme la douleur, la souffrance et, en toile de fond, les rêves. Est-ce la trame de votre dernier livre ?

Oui, l’Amour et la Liberté vont de pair. L’un ne peut exister sans l’autre. Tout au long du livre, c’est le combat de Lou pour sa liberté, cette liberté d’être ce qu’elle est, un être à part entière afin de pouvoir vivre pleinement son amour, mais aussi vivre pleinement ses choix, ceux d’un monde meilleur, plus vrai, plus juste, un monde avec un sens, plus près de l’essentiel. Qu’ont-ils fait, les hommes, de notre terre, de tout ce qui est beau ? questionne Lou au début du livre. Lou est une jeune adolescente, un être en résistance, qui porte haut et fort sa liberté de rêver, celle de croire en ses rêves envers et contre tout. C’est le thème central du livre. Mais cette liberté comporte toujours une prise de risques. Elle va être confrontée au poids de la tradition qui lui impose des normes dans lesquelles elle étouffe, à la violence aussi, celle du grand frangin sur elle et son petit frère, à la douleur aussi de ce vide abyssal, laissé par la mère partie trop tôt. Confrontée aussi au harcèlement au lycée, comme son p’tit frangin à l’école, car trop différents, pas conformes, à l’exclusion, au rejet, voir la haine à cause de cette différence. Lou rêve d’un monde de poésie et de beauté et c’est cette poésie, son amour de Rimbaud, les mots aussi qu’elle écrit dans son journal qui vont lui permettre de transcender cette souffrance, malgré les brimades, les harcèlements, les injonctions, les coups, l’enfermement auquel on veut la contraindre. L’écriture est avant tout un territoire de liberté et personne ne peut lui enlever ce droit fondamental.

Au cœur de votre roman, il y a justement la douleur qu’éprouve Lou suite à la perte de son amour et la souffrance silencieuse de Simon qui va le conduire au bord du désespoir. Que peut-on connaître d’autres sur les trajectoires de ces deux personnages ?

Lou et Simon sont plongés tous deux, chacun à sa façon, dans le chaos, la souffrance d’un amour impossible, celle pour Lou générée parla disparition brutale d’Arthur, celle pour Simon de l’indifférence de Lou, son refus de l’aimer. Et c’est bien la question de l’amour impossible, la question des bizarreries, de l’injustice de l’amour que je soulève à nouveau dans le livre. Cette inégalité des chances devant l’amour qui ne s’explique pas, avec son cortège de désarroi et de souffrance qui en découle. Le livre est traversé par l’attente, celle de Lou pour le retour de son amour perdu auquel elle croit obstinément, par la descente aux enfers de Simon, détenteur d’un lourd secret et de son impuissance à se faire aimer. Par cela même, ils vont être astreints à suivre tous deux un chemin bancal, à la fois ensemble et parallèlement, sans jamais se rencontrer vraiment : le jeu est là dans le livre, le jeu de l’amour à la fois cruel et vengeur et ce jeu va les précipiter tous deux dans la désespérance. Pourtant, ce sont bien la nature, la poésie, les vers de Rimbaud ou ceux de Rainer Maria Rilke qu’ils aiment à citer au milieu de cette nature qui vont les faire se rejoindre, cette nature qui fait naitre, à travers l’émerveillement qu’elle suscite, à ce monde de Poésie et de Beauté. Cette nature, elle sera pour Simon, une amie, un refuge, une confidente, celle qui va panser ses plaies, dans laquelle il finira par s’aventurer, se perdre pour oublier et n’en plus revenir.

Vous allez animer vendredi 25 février une rencontre autour de votre livre « A l’aube de nos rêves » à l’Institut français de Marrakech. Qu’espérez-vous partager en premier avec le public invité ?

Avant tout du vivant ! Pour cette présentation, je serai accompagnée d’AdelElouarz, professeur agrégé en littérature, grand amoureux des lettres, et d’élèves de classe de terminale littéraire du lycée français Victor Hugo de Marrakech qui ont tenu à participer eux aussi en lisant quelques extraits du premier tome « L’amour, c’est comme les oiseaux », livre pour lequel je suis intervenue l’année dernière dans leur classe de première en philosophie littérature. Une expérience inoubliable tellement riche et chaleureuse ! Je me réjouis de les retrouver ! Vous en êtes à votre sixième ouvrage.

Lequel de ces livres vous représente le plus ?

Question difficile. Ils sont tous la chair de ma chair, ils sont tous mes enfants, cette fratrie dans laquelle je me reconnais. Vous savez, quelque part, l’auteur raconte toujours la même histoire, sous des formes différentes, il y met un peu de sa vie, de ce qui le traverse à travers ses expériences, ses rencontres, l’interpelle. Je suis un peu partout dans les livres mais pas complètement, pas vraiment, d’autres y sont aussi.

Un mot sur «Les Rencontres Internationales de la Poésie» et le Prix de la Poésie Sahara Nour dont vous êtes la fondatrice...

J’ai créé pendant 10 ans, les «Rencontres Internationales de la Poésie» à Marrakech : «La Poésie un pont universel entre les cultures». Notre optique est l’ouverture à soi et au monde. La Poésie n’est pas élitiste, elle parle avant tout à l’âme, elle s’adresse à tout le monde, elle n’a pas de barrière. Dans notre Centre de Création Artistique «Riad Sahara Nour» nous avons accueilli des poètes du monde entier (Mohammed Bennis, Yassin Adnan, Mohammed Loakira, Jacques Ancet, Jean Pierre Siméon, Ilma Rakusa, HansThill, Jose Oliver, Nimrod Bena, Andres Sanchez Robayna, Lisa Cligman Mizrachi, Myriam Montoya, Kiffle Beseat Selassie, Salah Al Hamdani…) Nous sommes intervenus également avec les poètes dans des associations pour enfants défavorisés, telle l’association Al Karam, dans les collèges, les lycées… À l’intérieur de ces Rencontres, j’ai créé également un concours de Poésie, le «Prix Sahara Nour», pour les jeunes marocains âgés de 16 à 25 ans en langues arabe, française, anglaise ou amazigh, afin de permettre à tous ces jeunes de s’exprimer notamment avec ce qu’on a de plus beau, cette Poésie qui nous habite, parfois à notre insu, nous fait vivre, respirer. J’ai rencontré beaucoup de jeunes concernés et désireux de participer à ce prix. Les jeunes ont besoin de dire, de s’exprimer, ils ont aussi à nous apprendre, j’en suis convaincue. Il est temps de leur donner la parole, ce sont eux les bâtisseurs du monde de demain.

Propos recueillis par Alain Bouithy


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