Loubna Cherif Kanouni, fondatrice de l’Amicale marocaine des infirmités motrices cérébrales (AMI)

La distanciation sociale est difficilement envisageable


Propos recueilli par Chady Chaabi
Samedi 11 Avril 2020

Loubna Cherif Kanouni, fondatrice de l’Amicale marocaine des infirmités motrices cérébrales (AMI)
Libé : Comment le confinement est-il vécu par les personnes en situation de handicap ?
Loubna Cherif Kanouni : D’après les contacts avec les familles affiliées à l’AMI et aussi les associations qui œuvrent dans le même domaine, le confinement est difficile, encore plus pour les personnes esseulées. Car il ne faut pas oublier les personnes âgées qui vivent seules et qui sont en situation de handicap. Ce qui limite leur autonomie. Il y a aussi des personnes adultes âgées de 20 à 40 ans et dont le souhait a toujours été d’être autonome en dépit de leur handicap. Maintenant, dans quelle mesure est-ce que ces personnes sont aidées par des proches ou des voisins ? C’est une grande inconnue.
Pour ce qui est des enfants et adolescents, ils vivent au sein de leurs familles et sont pris en charge par celles-ci. Pour les proches, évidemment cette période est pénible. Les enfants ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent plus sortir. Beaucoup de familles nous relatent le mécontentement de leurs enfants. En plus, les parents doivent désormais eux-mêmes s’essayer à des séances de kiné, de psychomotricité ou des sessions d’apprentissage en éducation spécialisée. Ce qui est loin d’être évident. Pour les aider, nous travaillons sur la mise en place de formule vidéo comme les parents l’ont souhaité.

Quelles sont les difficultés qui guettent les personnes en situation de handicap en cette période ?
Le confinement est d’abord difficile à vivre d’un point de vue psychologique. Et c’est valable pour tout le monde. Ensuite les personnes en situation de handicap sont fragilisées et le confinement ne fait qu’accroître cette fragilité. Puis, il y a la problématique des aides-soignants. Beaucoup ont l’habitude d’avoir des personnes à leurs services car ils ne peuvent pas faire autrement. Quand ce sont des proches, la problématique ne se pose pas, par contre, quand ce sont des professionnels, il y a un manque parce que ces personnes ont elles aussi le droit de choisir d’être confinées auprès de leurs familles. C’est humain. On ne peut pas leur faire de reproches.

Le confinement accentue l’isolement des personnes en situation de handicap. Qui peut atténuer ce sentiment et surtout comment ?
L’isolement est plus facile pour les personnes en situation de handicap qui vivent à la campagne ou dans des maisons avec jardin ou bien tout simplement une maison suffisamment grande. Mais malheureusement, le handicap est généralement étroitement lié à la pauvreté, et qui dit pauvreté dit forcément des maisons réduites en termes de superficie.
Alors être confiné dans ces conditions, c’est pénible. Et puis il ne faut pas oublier les proches. Eux aussi vivent une période extrêmement difficile au quotidien, à chaque minute. Il faut leur venir en aide.
Aujourd’hui la solidarité se résume à des financements. C’est bien mais c’est insuffisant. Il faut aussi des programmes, et pourquoi pas sur les canaux de télévision. Si on y diffuse des cours, alors il faudrait aussi penser à des programmes destinés aux personnes en  situation de handicap. Ce sera une manière de leur montrer que la nation ne les oublie pas. Cela fera du bien aux familles et aux enfants.

Pour ceux qui ont besoin d’être accompagnés dans tous les gestes de la vie quotidienne, la distanciation sociale imposée n’est pas envisageable. Que faire ?
Elle n’est absolument pas envisageable. On va prendre le cas d’un adolescent totalement dépendant. A partir du moment où il y a une forme de dépendance, il faut qu’il y ait de l’aide. Une aide humaine principalement, mais comment voulez-vous faire avec la distanciation sociale quand il faut le doucher, l’alimenter ? Dans ce cas-là, le confinement total de la famille est capital. Car si une personne sort et qu’elle contracte le virus, le premier qui risque d’être contaminé est la personne en situation de handicap. Et l’impact pourrait être dramatique car ces personnes sont affaiblies.

Concernant les codes sociaux que l’on travaille, avec ce confinement prolongé, va-t-il falloir tout reprendre à zéro ?
Effectivement, un arrêt sur une longue période est négatif dans ce sens. Comme pour les séances de kinésithérapie. Une personne qui en a besoin quotidiennement, au bout de quelques semaines sans séances, elle aura des rétractions musculaires. Et qui dit rétraction musculaire, dit détérioration de la charpente osseuse. Ce sont des situations complexes qui peuvent être évitées grâce à de la prévention.
Les recommandations que nous avons reçues de la part du ministère de tutelle sont vraiment très plates. On nous demande de faire au mieux pour pouvoir mettre des actions en place. Encore une fois, les institutions publiques se déchargent en demandant aux associations de l’expertise. Donc pour les associations qui ont pu ou vont pouvoir mettre en place des actions, c’est encourageant, mais dès qu’on est face à des handicaps particuliers ou bien du poly-handicap, soit plusieurs handicaps qui s’accumulent chez la même personne, et bien cela devient encore plus difficile. Les adolescents en situation de handicap sont également sous la menace de la dépression et c’est très difficile de les en sortir.

Comment les familles vivent-elles cette situation ?
On a essayé de contacter des parents. Les trois quarts étaient satisfaits mais il y en a d’autres qui nous ont fait des reproches. Mais globalement, les gens étaient très contents de recevoir notre soutien même si ce n’est que par téléphone. Chose qu’on fait habituellement et encore plus en ces moments. Et si en plus, on arrive à mettre en place des programmes et des actions qui leur permettront de mieux vivre la situation, ce sera un plus non négligeable. Encore une fois, toutes les franges de la société sont en droit d’attendre de l’aide.


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