Les vestiges de la ferme Pierrard dans la forêt de Chiadma


Mustapha Jmahri
Vendredi 15 Avril 2022

Les vestiges de la ferme Pierrard dans la forêt de Chiadma
L’ association des parents d’élèves de l’école Dakhla à Bir-Jdid en collaboration avec Brahim Battah, chercheur en histoire locale (Bir-Jdid etsa région) a eu la bonne idée d’organiser une sortie récréative en forêt dite de Chiadma, comprenant les vestiges de la ferme Pierrard. L’endroit se trouve à 9 km de Bir-Jdid, dans un cadre de verdure bien tranquille,sur la route nationale Casablanca-El Jadida. L’accès à la forêt est facilité par une petite route goudronnée bordée d’eucalyptus et s’enfonçant entre les arbres pour atteindre l’Oulja.

Il faut dire que ce genre d’activités pour les élèves est à encourager car il s’agit d’une réappropriation et d’une réconciliation avec notre patrimoine naturel ou bâti, d’autant plus qu’il sensibilise les jeunes à s’intéresser aux vestiges du passé, proches de leur milieu de vie. Les ruines de la ferme Pierrard ne sont pas visibles de la route nationale car cachées par les arbres, mais en s’engageant à l’intérieur de la petite forêt à presque un kilomètre de la route. Brahim Battah nous expliquait que les gens du terroir l’appellent Ghabat Chiadma (forêt de Chiadma), soit du nom de la tribu alors que certains autres propriétaires, qui vivent plus près de l’endroit, l’appellent Ghabat Pierrard (forêt de Pierrard) du nom du colon qui l’a implantée.

Adèle Pierrard-Deborde, la fille du maître des lieux au temps du Protectorat, m’a raconté la petite histoire de son père, que j’ai publiée dans mon livre « Une vie de colon à Mazagan » paru en 2012. Son père, Jules Pierrard, né en 1891 à Faulquemont (Moselle), y est arrivé, avec son épouse, en 1928. Il y a pratiqué l’élevage de zébus, vaches, Montbéliard-zébus, et moutons, et a également installé des ruches pour la production de miel. Il a commencé dès lors à planter des eucalyptus et des pins d’Alep. Adèle a trouvé deux correspondances de son père où il indique qu’en 1952, il a planté 12.500 arbres, ce qui a agrandi, comme il dit,sa petite forêt. Dans un autre courrier en date du 18 août 1954, il écrit qu’il compte encore planter des arbres, mais sans donner aucun chiffre, cette fois-ci. La ferme Pierrard a été reprise par l’Etat marocain en 1966.

Les rares vestiges de cette ferme particulière, qui résistent encore aux aléas du temps, montrent qu’elle ressemblait à une ferme fortifiée comme on peut en trouver dans les grandes régions céréalières européennes. Dans un courriel du 7 avril 2022, Jade Berger, maître de conférences à l’Ecole d’architecture de Nancy, en visionnant des photos de ces constructions, affirme : «Ces photos m’étonnent, car les vestiges visibles ne correspondent pas aux typologies habituelles des fermes». Ce sont tous des bâtiments qui logent le patron et sa famille, tous les animaux et toutes les provisions. Sans oublier la place pour mettre hors humidité et poussières les machines agricoles, les récoltes, ainsi que l’espace nécessaire à faire certains travaux comme le battage du grain et sa mise en sac, la possibilité de faire faire demi-tour aux machines agricoles, qu'elles soient tirées par des bœufs ou motorisées. Tout cela demandant forcément de la place et des bâtiments distincts.

En général, les moutons et les chèvres étaient logés au rez-de-chaussée, sous l'étage un peu surélevé pour profiter en hiver de la chaleur dégagée par les bêtes installées en-dessous. Le chauffage étant ainsi en partie assuré en hiver. A travers les restes, on peut noter la solidité des constructions avec beaucoup d'arcs en plein cintre et un accès en pente pour les attelages afin de mettre à l'abri les moissons. On remarque aussi l’épaisseur des murs, caractéristique d’une ferme fortifiée, isolée dans la forêt avec personne aux alentours pour venir aider. Les voisins les plus proches, les Métaireau, se trouvaient de l’autre côté de la route. Et il faut également penser aux rongeurs attirés parles grains et dissuadés par ces murs épais. Il devait, en bonne logique, en aller de même, question sécurité, pour les portes faites, certainement, à partir d’un bois épais et dotées d’un système de verrouillage approprié pour dissuader d’éventuels voleurs nocturnes.

Jules Pierrard eut treize enfants, ce qui devait faire une quinzaine de personnes à la maison. Un fermier riche sur un grand terrain qui fait penser, le concernant, à un chef de clan dans son domaine. Les vestiges de la ferme, dans ce coin caché de la forêt, représentent aujourd’hui un ensemble intéressant pouvant faire l'objet d'une réhabilitation légère et la dotation de l’endroit d’une plaque de signalisation, d’un panneau explicatif et de corbeilles à papier. Dans un deuxième temps, il est possible d’envisager l’organisation de visites récréatives le week-end. L’association sportive de chasse Nemrod qui a un local sur place peut y participer en ouvrant une cafétéria-sandwicherie le jour des visites ou en période de chasse autorisée.

Seul problème pour lequel il faut rester vigilant, c’est la sauvegarde de cet environnement végétal vulnérable par la sensibilisation des visiteurs et des riverains afin de veiller à la propreté des lieux et au respect des plantes. Dans cette perspective, la présence d'un garde forestier est indispensable.

Par Mustapha Jmahri


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