Les sociétés arabes sont plus ouvertes


Par EDITH JENDOUBI *
Samedi 19 Mars 2011

De l’onde de choc intervenue en 1989 dans les pays communistes qui a abouti, via un fantastique effet domino, à l’effondrement du camp socialiste au vent révolutionnaire qui a soufflé, vingt-deux ans plus tard, sur les pays arabes, le rapprochement est séduisant. Démonstration a été faite, pour la énième fois dans l’histoire, que les dictatures, même activement soutenues, toute honte bue, par les puissances occidentales, se révèlent des colosses aux pieds d’argile, face aux mobilisations populaires. Mais ce parallèle connaît vite des limites.
Ainsi l’attitude des militaires, décisive elle aussi dans l’issue victorieuse des soulèvements actuels, contraste-t-elle avec l’effacement de l’armée dans la plupart des ex-«démocraties populaires». L’environnement régional et international n’est pas non plus comparable même si, dans un cas comme dans l’autre, on reste pantois face à la frilosité des chancelleries occidentales, soucieuses par-dessus tout de préserver un statu quo, fut-il insupportable au quotidien pour des millions d’hommes et de femmes.
En 1989, nos gouvernements assistèrent, médusés, à la fin de la division d’un continent à laquelle les populations est-européennes leur reprochent, aujourd’hui encore, de s’être trop vite résignés. Vingt ans plus tard, l’Union européenne observe avec scepticisme, voire une certaine défiance, le soulèvement de populations dont le bâillonnement passa, des décennies durant, par pertes et profits au nom de «la lutte contre le péril islamiste et la stabilité de la région». Car, différence majeure s’il en est, si, à l’Est, la peur de l’URSS a été jusqu’à l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev (1985) un facteur de dissuasion décisif pour oser l’ingérence, au Sud, de quelles mauvaises raisons disposent les pays occidentaux pour se disculper ?
La peur de l’Islam encore et toujours ? Le nœud gordien du conflit israélo-palestinien ? Hier, la légitime impatience des pays de «l’autre Europe» de rejoindre l’Union européenne finit, au terme de quelques marchandages, par recevoir une réponse à la hauteur du défi historique qu’elle représentait. Aujourd’hui, il est à craindre que «la peur de l’invasion» ne prenne le pas, une fois de plus, sur la mise en place de mécanismes de soutien et d’accompagnement concrets. Sous réserve que ceux-ci participent d’une véritable stratégie européenne vers les pays arabes du pourtour méditerranéen, mue par des valeurs d’ouverture et de solidarité, et non plus synonyme de repli et d’intérêts commerciaux étroits.
Le contexte économique constitue une autre différence de taille. A l’Est, l’aspiration des populations à la liberté autant qu’à un meilleur niveau de vie ouvrit la voie aux économies libérales pour prendre pied dans des contrées où tout était à reconstruire… et à privatiser. Dans les pays arabes, la configuration est tout autre : l’enjeu n’est pas ici de réaliser un changement systémique inédit (sortie d’une économie planifiée-instauration d’une économie de marché) mais, au vu des énormes disparités socio-économiques dont cette région souffre, de redistribuer les dividendes de la richesse nationale de façon plus équitable.
 Ces différences posées, osons quelques comparaisons concernant la transition démocratique. A l’Est, la «dé-communisation» a suscité moult désillusions, notamment parce que la reconversion des anciennes élites communistes a entaché, parfois même dévoyé, un processus de démocratisation par nature heurté.
Dans les pays arabes, l’Etat-Parti, qui occupait à l’Est l’intégralité de l’espace politique, économique et social, apparaît moins tentaculaire. Mais les écueils restent nombreux et, tant que les règles du jeu démocratique ne s’imposeront pas, corruption et clientélisme continueront de corroder les relations publiques, voire privées. Enfin, last but not least, à la recomposition de l’échiquier politique s’ajoute l’indispensable débat sur l’intégration pacifique de l’islam politique dans le champ démocratique.
Le repli et l’enfermement idéologiques qui ont sévi dans les ex-pays communistes durant quarante années y avaient engendré une atomisation extrême de la société avec, pour conséquences, une conscience civique aliénée, des contre-pouvoirs inexistants. Tel n’est pas le cas des sociétés civiles tunisienne et égyptienne : leur ouverture sur l’extérieur grâce aux réseaux sociaux et à l’émigration, la jeunesse de leurs rangs, leur appétence pour une vie politique démocratique, la légitimité dont jouissent certaines structures (avocats, syndicalistes, associations) sont des atouts. Mais ne sous-estimons pas la capacité de nuisance de tous ceux qui contribuèrent à maintenir au pouvoir ces dictateurs, les dérives dangereuses que peut occasionner une soif de revanche incontrôlée ou encore, tout simplement, l’incapacité politique à gérer les impatiences qui, aussi légitimes soient-elles, ne doivent pas compromettre un processus d’émancipation et de démocratisation que chacun a la responsabilité de rendre irréversible.

* Membre du Comité pour le respect des libertés et des droits de l'Homme en Tunisie et cofondatrice d'Opération villages roumains



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