Les pionnières oubliées du cinéma arabe Aziza Amir, la marraine du cinéma égyptien


Par Ahmed Fertat
Mardi 4 Octobre 2016

Les femmes qui ont participé à l’émergence de leurs cinémas nationaux, surtout dans le monde arabe,  n’ont pas eu la reconnaissance  qu’elles méritaient et ont souvent été oubliées, sinon ignorées. Pourtant,  certaines d’entre elles ont  joué un rôle important dans la naissance et le développement du 7ème art, à différents niveaux,   dans leurs pays respectifs.  C’est le cas de Aziza Amir, qualifiée à juste titre de « marraine » du cinéma égyptien.
Celle qui a tant et tout donné à l’art et au cinéma avait déclaré, lors du premier congrès du cinéma organisé en 1936 sous la présidence de Abderrahman Réda Pacha: « Je suis heureuse des grands progrès accomplis par l’industrie du  cinéma égyptien, et ma fierté est d’être  à la fois l’offrande  et l’objet du sacrifice  sur son autel », avant de fondre en larmes.
Aziza Amir, de son vrai nom Moufida Mohamed Ghanim, est née à Doumiat au début du siècle, entre 1901 et 1904, dans une famille de la classe moyenne. Adolescente éveillée et curieuse, elle est prise sous l’aile d’un notable cultivé, ami de sa famille, qui l’épouse, lui offre des voyages en Europe et  lui fait découvrir le monde des arts et des lettres. Elle s’initie à la musique et aux langues, notamment le français et fait la connaissance de personnalités célèbres comme le grand cinéaste américain D. W. Griffith qui, subjugué, lui aurait proposé un rôle dans un de ses films.  De retour au Caire, au début des années 1920, dans l’effervescence politique et culturelle de l’époque et comme c’était la mode dans les milieux aristocratiques égyptiens  qui imitaient leurs «pairs»  européens, elle  ouvre un salon littéraire  et reçoit  des personnalités du monde des lettres et des arts.
Après son divorce, elle s’adonne au théâtre et commence en 1925,  avec Youssef  Wahbi, qui venait de fonder  la troupe Ramsès. Elle interprète un rôle dans la pièce Al jah al mouzayaf. (La fausse gloire) puis travaille avec d’autres troupes, dont celle du Théâtre national. Elle sera Presca dans Ahl el Kahf de Taoufik El Hakim, mise en scène de Zéki Touleymat. Le doyen de la littérature arabe Taha Husseïn qui assiste à la pièce ne cache pas son admiration et la baptise «l’actrice à la voix d’or». C’était en 1935, année de sa dernière apparition sur les planches, car elle était déjà fort  accaparée par le cinéma ; c’est en partie à cause d’un problème de santé qu’elle fera son entrée au cinéma : obligée de garder le lit, elle demandera à son riche deuxième mari de lui acheter une caméra et un projecteur et commencera à filmer des scènes de famille qu’elle signera « Produit et réalisé par Aziza Amir ». Enhardie par les résultats  et enthousiasmée par le nouvel art, elle entreprendra la production du premier long métrage égyptien L’imploration à Dieu  qui deviendra Laïla, dans lequel elle jouera le rôle principal et dont elle participera au scénario et  au montage et dirigera les réalisateurs, d’abord le Turc Widad Orfi, puis Oustiphane Rousty avec l’assistance d’Ahmed Jallel et Hasbine Fawzi. Le film raconte la vie mouvementée d’une jeune paysanne, abandonnée par le jeune homme qu’elle aime, un guide qui la quitte pour une touriste et qui fuit vers la ville pour échapper aux assiduités d’un potentat local. Laïla, premier long métrage égyptien  muet, fut projeté au cinéma Métropole le 16 novembre 1927. Ce jour-là, les personnalités cairotes les plus en vue étaient  présentes, comme  l’Emir des  poètes Ahmed Chawki et le jeune prodige de la chanson, Mohamed Abdelwahab, et surtout, le grand économiste Talaât Harb Bacha, fondateur du Studio Misr, noyau de l’industrie cinématographique égyptienne qui fut, à une époque,  la première du monde, qui complimenta Aziza Amir en lui disant : «Vous venez d’accomplir un grand ouvrage ! Beaucoup d’hommes sont incapables d’en faire autant». Le succès fut immense et dépassa les frontières de l’Egypte. Suivirent, dans cette première période, Bint annil (La fille du Nil), en 1927, et Kaffir an khatiatik (Expie tes péchés) en 1933 et Bissalamtou ayez Itgawez (Monsieur veut se marier) en 1936, avec l’intervalle que fut son interprétation dans le film turc, L’écrivaine égyptienne, projeté au Caire en 1932.
La Deuxième période de sa vie artistique débuta avec le film parlant La vendeuse de pommes, en 1939, réalisé par Hossein Fawzi  qui a co-écrit le scénario avec elle d’après une histoire qu’elle  avait écrite et dans lequel elle joua au côté du jeune Doulfakar qui sera dorénavant son compagnon dans la vie et le cinéma.
Sa société de production Isis Film eut à son actif vingt-cinq films où ont commencé nombre d’artistes. On lui doit la découverte de grandes vedettes de la chanson telles que Souad Mohamed, Mohamed Selman, Najet Essaghira, alors que celle-ci était encore une enfant. Mais aussi de grandes figures du cinéma telles que Houssine Faouzi, le réalisateur, Mahmoud Doulfakar…
Sa filmographie, aen tant que productrice et comédienne, est aussi riche que variée, a reflété  les problèmes sociaux égyptiens et pris parti pour les classes les plus pauvres et exploitées Al Warcha (L’atelier),  sur les ouvriers, Al hadya, (Le cadeau), sur l’enfance déshéritée. On y retrouve aussi bien le  mélodrame romantique que le drame social ou socio-politique, Al jacha (La cupidité)  sur l’amour de l’argent, ou Lailat al farah (La nuit de noces) sur les traditions contraignantes du mariage, et le film politique, Une fille de Palestine, Nadia et historique, Hababa, la comédie musicale Chamatoun tahtarik (Un cierge qui se consume), Al lailoulana, (La nuit est à nous) en passant par le fantastique, Ouadi Annoujoum  (La vallée des étoiles), Takiat al ikhfaa, (La coiffe magique ). Elle a joué dans 22 films parlants et un grand nombre de films muets dont la plupart ont peut-être disparu, malheureusement. Elle a travaillé avec les artistes les plus talentueux de son époque comme Najib Rayhani, Anouar Ouajdi ou Mahmoud El Méligui…
Cette grande et belle dame, à la personnalité forte et énergique, qui était à la fois une femme d’affaires avisée et une artiste accomplie, et qui a voué sa vie au cinéma, s’éteignit en 1952. La même année, elle avait produit son dernier film, où elle avait  également joué,  Je crois en Dieu.  Elle qui voulait des enfants et qui n’en a pas eu disait :   « Je n’ai enfanté qu’une fille qui s’appelle « le cinéma égyptien ».


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