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Les pérégrinations d’un Américain à Kaboul


Par Doug Bandow *
Mercredi 15 Décembre 2010

Les pérégrinations d’un Américain à Kaboul
Kaboul, Afghanistan, le fil de fer barbelé est vendu au kilomètre ici. Aucun bâtiment de quelque importance ne se trouve non protégé, ouvert au public. Les endroits les moins sûrs, à en juger par le nombre de barrières de sécurité déployées autour d’eux, sont des bases et ambassades américaines et européennes. L’ambassade américaine ne se voit même pas de la rue. Des secteurs entiers de la ville sont utilisés par les alliés.
Cela, après neuf ans de « nation-building ». Les banques, les hôtels et les bureaux des ONG sont également des mini-forteresses. Le Serena est un hôtel de luxe, bien gardé derrière de hauts murs, où de nombreux Occidentaux séjournent. Malheureusement il y a peu, les talibans y ont organisé un raid avec des combattants déguisés en policiers afghans. Ils ont pénétré dans la salle de gym et tué plusieurs Occidentaux.
Mes collègues et moi ont séjourné dans un discret pavillon britannique, qui était caché derrière deux murs. Notre conducteur savait où tourner avant qu’on ne lui fasse signe par la porte non signalée où notre véhicule était vérifié pour détecter de possibles bombes. Les routes sont jonchées de barrières métalliques, des blocs de béton, de sacs de sable, et de mitrailleuses en tête des camions et des Humvee. Certaines rues sont entièrement fermées à la population locale. Voyager, même sur une courte distance peut prendre une heure ou plus. Kaboul est une collection de petites îles plutôt qu’une ville unifiée.
Des hommes armés sont partout: les troupes alliées, la police nationale afghane, des gardes privés. Rien de tout cela ne peut surprendre dans une ville en guerre. Mais c’est la capitale d’un pays où les États-Unis ont lutté plus longtemps qu’au Vietnam ou durant les deux guerres mondiales. Et la ville est plus dangereuse que quand les troupes US ne sont arrivées.
Cette terre est une anomalie presque continue. Elle a une réputation de « cimetière des empires », mais c’est uniquement l’Afghanistan des 19 ème et 20 ème siècles qui justifie cette étiquette : avant le « grand jeu » entre la Grande-Bretagne et la Russie, des empires ont régulièrement conquis le pays. La plupart des conflits venaient des envahisseurs étrangers plutôt que des insurgés locaux. Et pour la plupart du 20e siècle, l’Afghanistan était en paix. Sa monarchie n’était pas particulièrement libérale, mais il y avait peu d’instabilité - jusqu’à ce qu’un coup d’État en 1973 provoque près de quatre décennies de guerre.
Le seul symbole survivant de cette époque est Darul-Aman, l’ancien palais royal, désormais une ruine ravagée par un incendie. Nous avons visité le site. Deux semaines plus tard, un attentat-suicide Taliban frappait un convoi de l’OTAN sur la même route, massacrant des troupes alliées comme des civils afghans.
Avec son panaché ethnique, l’Afghanistan ressemble à un pays au bord de l’effondrement. Les talibans sont dominés par les Pachtounes, tandis que les Tadjiks, les Ouzbeks, et d’autres groupes constituent l’Alliance du Nord, qui avait pris la tête pour chasser les talibans en 2001 avec le soutien américain. Pourtant, malgré les lignes de faille démographiques, il y a peu de sentiment évident pour la sécession, même dans des villes lointaines et plus sûres, comme celle d’Herat et Mazar-e Sharif. La nation afghane semble étonnamment robuste.
La plupart des Afghans ont envie de fédéralisme. La monarchie a survécu en régnant très superficiellement en dehors de Kaboul. Mais Hamid Karzaï veut beaucoup plus.
Les Afghans et les expatriés occidentaux conviennent que s’il y a eu un moment où l’édification de la nation, le « nation building » avait une chance, c’était en 2002 et 2003, quand l’administration Bush planifiait sa guerre en Irak.
George W. Bush avait réussi à évincer les talibans à peu de frais. Mais son administration a ignoré le soutien du Pakistan aux talibans dominés par les Pachtounes alors même qu’Islamabad sacrifiait les combattants étrangers « arabes ». Washington n’a jamais envoyé suffisamment de troupes américaines, préférant s’en remettre à des chefs de guerre corrompus pour encercler les forces des Taliban et d’al-Qaïda. Et le Pentagone commençait bientôt à déplacer rapidement des moyens de renseignement et d’autres forces vers l’Irak.
En attendant, les USA semblaient se surpasser à se faire des ennemis. Un consultant américain qui a servi à l’ambassade après l’éviction des talibans m’a dit avoir reçu la visite d’anciens du village, frustrés, qui demandaient la libération des personnes arrêtées par les forces américaines sur la base de renseignements secrets. Le problème empira quand le gouvernement Karzaï a étendu son autorité. En effet, les villageois savaient à qui s’adresser pour résoudre les différends dans une société tribale décentralisée. La vénalité n’est pas inconnue chez les aînés de la région, mais les décisions étaient prévisibles et rapides. Ce n’était plus le cas avec Karzaï.
Les forces de sécurité afghanes ont été encore plus contre-productives. La Police Nationale Afghane (PNA) est chargée de maintenir l’ordre, mais son professionnalisme fait l’objet de toujours davantage de commentaires négatifs. Pire encore, « lorsque vous envoyez la PNA, un Afghan m’a dit, vous fabriquez des Talibans ». Dans certaines régions, la police a mis en place des points de contrôle non-officiels où elle détrousse les voyageurs de leur argent et de leurs téléphones cellulaires.
L’Armée nationale afghane (ANA) est présentée comme plus professionnelle. Mais un Afghan m’a dit que la raison la plus importante pour laquelle l’ANA est perçue plus favorablement que l’ANP est que les soldats sont stationnés loin de la population : ils ne peuvent tout simplement pas faire autant de mal que la police.
Il est facile de blâmer les forces de sécurité. Mais « un poisson pourrit par la tête », et il en va de la sorte en Afghanistan. Les éloges à l’égard du gouvernement Karzaï sont rares de la part de quiconque ne travaille pas pour l’État. Afghans et étrangers pointent du doigt la corruption, la fraude électorale, et l’incompétence généralisée.
Tous les ministres ne sont pas également coupables, et des Afghans à la base risquent leur vie pour promouvoir le développement économique. Mais Hamid Karzaï est devenu le symbole de tout ce mal, la tête de la « mafia politique », comme un Afghan le dit, tandis que ses frères dirigent les mafias de la drogue et des affaires. Un associé étranger dont l’amitié avec Karzaï remonte à plusieurs années a répondu avec beaucoup de précaution quand je l’ai questionné sur de telles allégations : «aucun homme politique afghan, m’a-t-il dit, ne pourrait survivre sans prendre soin de sa famille et de ses amis. »
En privé, peu de fonctionnaires des États-Unis ou de l’OTAN sont en désaccord avec de telles évaluations. Certains vont même jusqu’à admettre que l’aide occidentale a transformé Kaboul en une ville vampire. Ils disent que Karzaï représente « le meilleur que nous puissions faire ». Hélas, ce slogan n’est pas particulièrement efficace pour convaincre les Afghans à mourir pour leur pays.
En fait, il ne manque pas d’Afghans qui veulent créer une société libérale au meilleur sens du mot. Certains sont sophistiqués et occidentalisés, d’autres sont tout simplement des gens honnêtes qui tentent de survivre dans un environnement indécent. Le contexte tribal et ethnique est moins prégnant dans les villes, et même les plus traditionalistes sont des conservateurs sur le plan culturel, mais certainement pas des djihadistes violents. La grande majorité des Afghans veulent la paix et une vie meilleure. Mais les étrangers ne peuvent leur donner ni l’une ni l’autre.
L’avenir n’est pas rose. Le gouvernement Karzaï, comme tant d’autres régimes soutenus par les Occidentaux dans d’autres sociétés en difficulté, ne survit que grâce à la tolérance des alliés. Pourtant, les plans des alliés souffrent d’avoir été mis au point dans un vide politique. Le personnel occidental a peu de contacts avec les Afghans au-delà de la classe politique à Kaboul ou les personnes qu’ils considèrent comme des assistants - chauffeurs, traducteurs, cuisiniers... À Kaboul, les hauts responsables militaires et diplomatiques voyagent dans des convois armés entre leurs retranchements fortifiés.
Néanmoins, certains responsables militaires occidentaux pensent que la nouvelle stratégie anti-insurrectionnelle marche. Les consultants occidentaux en abondance qui remplissent les speakeasies de Kaboul ont le même argument. Ils déclarent que la coordination de l’aide et la mise en œuvre sont de meilleure qualité. Les soldats alliés gagnent lors de tout échange de tirs et sont en mesure de nettoyer et tenir un territoire. La fondation est là pour une nouvelle structure de gouvernance.
Peut-être, mais les opérations ne se sont pas passées aussi bien que prévu à Marja et ont été retardés à Kandahar. Et certains des consultants optimistes que j’ai rencontrés ont été temporairement rappelés de Kandahar à cause de la montée de la violence. Leurs prédictions étaient fausses...
Le problème plus fondamental est l’absence d’un « Etat prêt-à-l’emploi» censé être parachuté dans les territoires libérés par les forces armées américaines et alliées. La doctrine de la contre-insurrection suppose un partenaire local compétent. Tant que le régime de Karzaï ne pourra pas fournir une gouvernance compétente, les Afghans continueront à prendre les armes contre lui.
En effet, un thème récurrent chez les Afghans, et même des Américains ici, est qu’il y a les « bons » talibans et les «mauvais» talibans. Une partie du mouvement, et en particulier les dirigeants, se bat pour le pouvoir et est soutenue par un ensemble d’extérieurs, à la fois Pakistanais et « Arabes » (tels qu’al-Qaïda). Ils se font peu d’amis et gouvernent par la peur. Mais de nombreux soldats de terrain talibans sont plus susceptibles de s’enrôler pour expulser les étrangers cherchant à régner. Ils n’aiment pas plus Hamid Karzai que Barack Obama. Même les Afghans opposés au pouvoir taliban considèrent ces talibans-là comme « bons » et ouverts au compromis.
Un consultant américain a fait valoir que nous devrions examiner les opérations alliées dans une perspective afghane. « Et si des étrangers arrivaient en Amérique et arrêtaient des résidents sur la base de renseignements tenus secrets, pour expédier certains d’entre eux vers des prisons à des milliers de kilomètres de là ? Et si ces envahisseurs remplaçaient les dirigeants américains, changeaient la tradition américaine, et révolutionnaient les mœurs américaines? Et, enfin, si les étrangers instituaient un nouveau gouvernement, notable pour sa vénalité, son incompétence, et son obséquiosité? Que penseraient les américains de cela ? »
Peut-être qu’avec le temps, les États-Unis et leurs alliés pourraient écraser les insurgés et favoriser la gouvernance locale en Afghanistan. Mais Washington n’a pas beaucoup de temps. Pour de bonnes raisons, le peuple américain est peu susceptible de soutenir une autre décennie de guerre en Asie centrale. Que peut en effet justifier ce coût ?
Pas le terrorisme. Bien que les forces américaines n’aient pas tué ou capturé Oussama Ben Laden, elles ont évincé le groupe terroriste de l’Afghanistan et ont affaibli ses capacités de manière substantielle. Aujourd’hui, ce qui reste d’Al-Qaïda est plus actif au Pakistan. Les terroristes peuvent trouver beaucoup d’autres territoires d’accueil potentiels, y compris le Yémen et le Soudan. Qui règne à Kaboul, ou d’autres parties de l’Afghanistan, n’a pas grande importance pour faire face au problème du terrorisme.
Essayer de créer un gouvernement central efficace à Kaboul n’offre pas d’avantages sérieux en termes de sécurité. Partir ne serait « pas beau » - cela serait décrit comme une défaite américaine. Mais rester pour repartir plus tard serait pire. Les afghans libéraux sont face à un avenir sombre : nous devrions laisser nos amis venir aux États-Unis s’ils le souhaitent. Mais rester ne vaut pas le coût d’années supplémentaires de guerre, des milliers d’autres morts Américains, et des centaines de milliards de dollars gaspillés en plus. Neuf années en Afghanistan, c’est suffisamment long. Il est sans doute temps de rapatrier nos troupes.

* Analyste au Cato Institute
à Washington DC
Article publié en
collaboration avec www.unmondelibre.org


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