Les jeunes diplômés quittent le sud de l'Italie pour trouver des débouchés professionnels dans le Nord


Salvatore Aloïse Le Monde.fr
Jeudi 13 Août 2009

Les jeunes diplômés quittent le sud de l'Italie pour trouver des débouchés professionnels dans le Nord
Andrea De Pascalis est trop jeune et pas assez cinéphile, sans doute, mais il avoue ne pas connaître Ricomincio da Tre, ce film culte des années 1980 avec Massimo Troisi illustrant le rapport sud-nord, toujours tourmenté en Italie. Gaetano, jeune Napolitain parti pour découvrir le monde, enrage chaque fois qu'on lui dit : "Napolitain ? Alors, émigrant !" Par lassitude, il finit par répondre, un jour : "Oui, émigrant". Andrea, lui, ne s'interroge pas. A 29 ans, il en est déjà à sa deuxième expérience de travail dans le centre-nord, après une tentative infructueuse de rester au pays, à Cutrofiano, près de Lecce, dans les Pouilles, pointe extrême de la péninsule où les maisons basses et blanches évoquent déjà un autre continent. La réplique du film est restée fameuse. Les journalistes la ressortent chaque fois qu'il s'agit d'évoquer le rapport sud-nord. Surtout quand il ne fait qu'empirer, comme c'est le cas actuellement. Personne ne songerait, aujourd'hui, à poser la question : "Emigrant ?" à un homme comme Andrea, pour la simple raison que c'est devenu la règle. Un rapport du Centre d'étude sur le Mezzogiorno (SVIMEZ) indique que, pour échapper au chômage, entre 1997 et 2008, 700 000 personnes, des jeunes surtout, ont refait le parcours sud-nord de leurs pères à la recherche d'un emploi. 122 000 rien qu'au cours de la dernière année. 87 % d'entre eux venaient de trois régions, la Campanie, les Pouilles et la Sicile. La valise en carton des émigrés des années 1960 a cédé la place à l'attaché-case. Les nouveaux migrants partent après avoir achevé leurs études. Si en 2004, la part des diplômés était de 25 %, aujourd'hui elle est de 38 %. Souvent, ils s'en vont même avant : un tiers de ceux qui passent le baccalauréat, dans les Pouilles, choisissent des universités du Nord. La plupart y restent. Un investissement des familles les plus aisées. Les autres suivent dès que possible. Comme Andrea et ses collègues sortis de l'université de Lecce.
Le recteur, Domenico La Forgia, y voit une confirmation de "l'excellence de nos études". "Nous fournissons du bon matériel humain pour l'exportation et nous en sommes fiers. Les bons doivent partir, sinon ils finiraient par se perdre ici", ajoute-t-il. L'université, dans les matières scientifiques, organise un suivi pour adapter le cursus aux débouchés qui se trouvent au nord pour ses diplômés. "Le rôle d'une université comme la nôtre est de servir d'échelle sociale. Si le territoire n'absorbe pas les diplômés, alors ils doivent chercher ailleurs", tranche cet ingénieur de formation, peu soucieux de choquer le monde académique. Et si l'université ne suffit pas, c'est le secteur privé qui se charge de donner le coup de pouce nécessaire. C'est le cas de l'école de commerce où est passé Andrea après son diplôme, il y a quatre ans. Son cofondateur, Andrea Salvati, confirme que sur les 120 étudiants sortis de son école ces trois dernières années, 90 sont aujourd'hui bien placés, au nord. "Ici, ils auraient dû entrer dans ce que j'appelle une alliance électorale en espérant que leur tour vienne un jour. Ailleurs, ils sont perçus pour ce qu'ils valent", lâche cet entrepreneur qui a choisi un métier à contre-courant dans une terre où le clientélisme est roi.
Mais une fois partis, rien ne semble les arrêter. "Pas étonnant que (Umberto) Bossi et la Ligue du Nord ne cessent de tonner contre cela : s'ils vont chez le notaire ou chez un avocat, ils trouveront toujours quelqu'un avec l'accent du Sud. Professions libérales et fonction publique, impossible d'y échapper", constate Antonio Tondo, journaliste à la Gazzetta del Mezzogiorno. Recteur et journaliste se disent tous deux curieux de voir maintenant ce qui se va se passer après les récentes promesses de Silvio Berlusconi pour le Sud. On reparle d'une initiative extraordinaire, d'un plan sur dix ans, concentré sur les infrastructures, le tourisme et l'innovation ainsi que d'une "banque du Sud". Un premier résultat, au moins, est sûr : après des années, on reparle de la "question méridionale".
Andrea, lui, en tout cas, est convaincu de son choix : "J'ai bien essayé de rester, mais qui sait combien de temps j'aurais dû travailler gratuitement dans un cabinet d'experts comptables avant que quelque chose ne bouge pour moi. Là où je suis, je compte pour ce que je sais faire", ajoute-t-il en se remplissant les yeux de ce Sud qu'il quittera une fois de plus, à la fin des vacances. La déchirure se répète, mais en moins douloureux. Finalement, le Nord aussi a ses bons côtés.


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