Les enjeux du choix d’orientation


Par Ismail Idabbou *
Mardi 8 Novembre 2016

Si l’évocation du  système scolaire  renvoie spontanément aux  cheminements à parcourir, il n’en demeure pas moins que  par implication s’évoquent aussi leurs  outputs.  Par-là,  l’orientation conditionne le succès  de l’élève dans sa complétude ; et partant,  l’efficience  d’un système éducatif n’est  pas  strictement tributaire des  parcours scolaires (exigences didactiques et pédagogiques), mais elle dépend aussi  du  résultat probant d’une orientation scolaire et professionnelle appropriée et mûrement réfléchie. Ce double intérêt, que l’on souhaite être entretenu  en équilibre,  permet de  prévenir les déperditions, et promettre des gains en termes d’affectation optimale des flux. Ce même intérêt  est parallèlement garant de l’éclosion de personnalités épanouies par et dans leurs choix arrêtés.  Il va sans dire que ce chantier est aussi du ressort de l’éducation aux choix (E.C).
Comment peut-on, alors, envisager une introduction de ce  concept sur la base  d’une lecture contextuelle ?
Que réserve un tel concept dans la perspective d’un vécu scolaire plus enrichi de l’élève ?
«Agent social», ainsi est défini l’individu par Bourdieu. Sous cette appellation,  l’individu, entité originale au vécu caractéristique  et   évoluant dans un monde  d’objets et d’hommes,  se profile comme un être  agi aussi bien de l’extérieur (le contexte) que de l’intérieur (subjectivité). Ces deux dimensions intersectées qui apparaissant déjà  sans  contours distincts, se disputent, au regard analytique, la responsabilité des actions effectuées par le sujet. Dès lors, l’individu  ne peut s’autodéterminer uniquement par sa  pure rationalisation, d’où le choix du terme «agent».  Autrement, ce choix est motivé par le degré d’impact et d’autonomie reconnu à l’individu appartenant à un contexte. Il en résulte qu’une fois  que  le statut d’acteur social (sujet en action)  soit interrogé et en conséquence   suppléé par «agent social», l’autonomie du sujet s’en  retrouve amoindrie et ses  décisions  et ses choix acquièrent le caractère  multidimensionnel  et complexe. Cette conceptualisation de «l’agent» s’identifie clairement dans les ingrédients théoriques de l’orientation éducative au Maroc: la dynamique personnelle du sujet  interagit avec  la dynamique objective des «objets» sociaux dans un processus évolutif, ce qui maintient, dans la complexité évoquée, les actions, les décisions et les choix attribués à l’individu.   
Cette complexité, où se joignent l’élément sociologique et les caractéristiques   psychologiques, concerne typiquement le processus des choix scolaires et professionnels. L’élève, incarnant un monde subjectif particulier  et baignant dans des contextes  socialisants plus ou moins institutionnalisés (classe, école, rue, média, société) mais aussi chevauchés, se retrouverait inéluctablement en difficulté d’émettre des décisions d’orientation pertinemment ajustées à sa personne et à ses prétentions, surtout au premier palier d’orientation.   
 A l’instar du « champ social »,  concept propre à Bourdieu, l’élève se trouve dans le contexte scolaire qui se veut  un champ structuré tel que l’on veut le lui présenter,  mais  souvent émietté et complexe tel que lui l’appréhende et le conçoit. A cela s’ajoutent les effets verticaux des autres contextes socialisants imbriqués les uns dans les autres de manière à influencer en définitive la personnalité de l’élève.
Et c’est  de la lecture de ces  contextes que dépendent les choix de l’élève  qui  ne sont pas souvent appropriés à la réalité et à ses potentialités. En effet, l’élève découvre  des catégorisations quasi-collectives des filières scolaires selon leur degré d’abstraction,  et dont dépendent leurs degrés de prestige. Cette déconsidération ambiante de filières spécifiques est un facteur anxiogène susceptible d’impacter la justesse des choix émis. En même temps, et par ricochet, les larges  contextes sociaux  contribuent, par leur teneur informationnelle, à ébranler certaines convictions anciennes ou récentes  au sujet des potentiels cheminements de l’élève et  lui   insufflent de nouveaux élans basés sur des informations brutes.   
A cet état, s’ajouterait ou  la rareté de l’information pertinente ou au contraire la surinformation qui prive l’élève des filtres opérationnels à même de savoir se décider à temps. L’élève,  lui-même, être  en croissance, ne cesse de se découvrir avec ce que cela suppose de représentations plus ou moins erronées conséquentes à son contact au monde, et ce,  particulièrement en période d’adolescence. Ces deux dynamiques interférent et peuvent créer des zones de tensions et des états de blocages pénibles. Simultanément à cela, les dilemmes s’aiguisent et mènent à la perplexité, à l’indécision voire à l’incertitude. Et cela évidemment  concerne aussi bien l’élève marocain que ses pairs. C’est dans ce sens que les choix d’orientation sont assimilables à des moments de troubles voire à de vraies crises.
  Tout système éducatif, notamment marocain,  sollicite de l’élève de formuler des choix aux paliers d’orientation. Obligatoires, ces choix pourraient devenir problématiques  s’ils ne sont pas savamment considérés, épurés et appropriés : l’avenir professionnel et les projets de vie des élèves en dépendent. Mais est-ce que l’élève marocain est en mesure d’arrêter  des choix ajustés   à son profil de manière affinée dans l’état  actuel de l’offre d’orientation ?  L’éducation aux choix (E.C) ne serait-elle pas une piste de réflexion à ce défi intriguant ?
Certes, l’offre éducative récemment remarquable au Maroc par la diversité des filières et professionnelles est une réalité saine vu qu’elle consacre équitablement toutes les intelligences en l’occurrence  abstraites et manuelles. En fait, le parcours professionnel prétend être  un choix autonome en lui-même et disposant à des horizons élargis, et ce,  parallèlement à la possibilité de réorientation  que facilite le système des passerelles. Mais, ce foisonnement d’offres éducatives n’est pas sans écueils pour l’élève marocain. Et afin qu’il ne soit pas problématique et  générateur d’interférence et d’indécision éphémères ou constantes, il s’avère nécessaire de supporter cette diversification par l’offre d’une  l’E.C qui soit précoce. L’objectif étant d’optimiser les choix en les ôtant de la sphère du hasard et en l’inscrivant dans la maturation continue  de sorte que les cheminements scolaires  se dressent dans la visibilité.
L’E.C est une pratique professionnelle reconnue des conseillers d’orientation sous d’autres cieux et  au moyen de laquelle  ils visent à doter  l’élève de la capacité  d’arrêter des choix  consciencieux. L’E.C libère l’apprenant amené à choisir à l’issue d’un palier d’orientation de  la négativité que pourrait nourrir le  face-à-face au choix. Cette pédagogie facilitatrice reconnait à l’élève des potentialités intrinsèques qu’il va falloir fructifier par des activités choisies moyennant un encadrement orientant inscrit
dans la durée.
Plusieurs compétences forment le champ d’œuvre de l’E.C et elles sont par principe le propre de la pratique conseillère qui, méthodiquement et par le souci de ciblage, renforce en l’élève plusieurs qualités qui consistent  à :
- bien analyser le contexte, à développer l’aptitude de  s’adapter à ses aléas fluctuants et  porteurs de surprises et d’étrangeté ;
- à se mettre sur les rails de la connaissance sur soi,   à prévaloir   ses propres atouts en se situant  convenablement dans l’espace et le temps et par rapport aux institutions sociales ;
-à composer intelligemment avec ses propres limites et à se maintenir dans une attitude réaliste et réfléchie et qui soit encline au progrès le long des  positionnements que requiert son  orientation ;
 - à s’imprégner du souci de la méthode pour échapper aux choix intuitifs ou à ceux produits par la pensée heuristique qui se fie au confort de  l’imitation aveugle, de la fuite en avant et à d’autres réactions inappropriées… L’élève s’autogère par un effort sur soi qu’il est susceptible d’observer dans le temps vu les avantages qu’il en tire en termes de maturité décisionnelle et vocationnelle.
Ces compétences d’orientation s’ancreront davantage dans le vécu  scolaire de  l’élève marocain si ce dernier devient  détenteur, par une attitude délibérée tout formateur,  d’un esprit critique éclairant, investi dans l’expérience initiatrice et informatrice sur soi et sur l’environnement, et  engagé dans la construction progressive  de ses points forts, tout en devenant  partenaire dans sa propre formation, sans  omettre le souci de promouvoir  sa tolérance  à apprendre dans et par  le groupe.
Bien que ces aspects de profil  aient constitué  le corpus synthétique  des compétences stratégiques du Livre blanc adopté par le ministère de l’Education nationale, ils représentent, néanmoins, l’actualité de l’orientation éducative et s’imposent en  priorités décisives des contenus curriculaires. A ce juste  titre, les discours Royaux sont  éminemment instructifs.



 * Inspecteur en orientation de l’éducation -
Chercheur en éducation.
ismailidabbou@gmail.com.


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