Les déchets aquatiques proviennent à 80% de l’intérieur des terres

Nour-Eddine Sallouk, président de Surfrider Foundation Maroc


“La mer. Qu'on voit danser. Le long des golfes clairs. A des reflets d'argent. La mer…” Julio Iglesias ne s’est pas trompé sur le caractère onirique et magnifique des océans du monde entier. Bercé par la Méditerranée au Nord et l’Atlantique au Sud, le Maroc jouit d’une position géographique et d’un littoral sans égal. 3500 km de côtes maritimes d’une rare beauté par endroits, mais malmenée, quasiment partout.
Entre le dragage de sable à n’en plus finir et l’absence d’une conscience civique et écologique au sein de la population, les plages du Royaume souffrent d’une désinvolture commune et généralisée, surtout quand il s’agit de préserver la nature. La pollution maritime en est la preuve. Certes, si l’on en croit le département de l'Environnement dans son rapport sur les eaux de baignade des plages pour l'année 2021, le nombre de déchets collectés au niveau de chaque plage a diminué en 2020 par rapport aux années précédentes. Mais il n’en reste pas moins élevé.
Sur le banc des accusés “les déchets en plastique/polystyrène qui représentent 86,3% de la totalité des déchets marins au niveau national”, a révélé le département de l'Environnement. Et ce n’est pas tout “Depuis l'apparition de la pandémie de la Covid-19, l'Océan fait face à une nouvelle pollution : les déchets liés aux équipements de protection contre le coronavirus”, s'inquiète Surfrider Foundation Maroc. Et pour cause, d’après l’ONG qui a pour vocation de protéger l’océan et le littoral, “les masques chirurgicaux ne sont pas biodégradables. Jetés à terre, ils terminent leur parcours dans les océans en polluant l'eau et deviennent un véritable danger pour la faune marine qui peut soit s'empêtrer dans les élastiques ou même les confondre avec des méduses et les ingérer”.
Un crime contre la nature, perpétré à tout bout de champ sans aucune remontrance, et contre lequel Surfrider Foundation Maroc n’est pas restée insensible. Créée en 2010 à Agadir, l’association marocaine multiplie les actions de sensibilisation en collaboration avec des organismes étatiques et privés ou de simples bénévoles. Des initiatives audacieuses qui commencent à porter leurs fruits, comme nous l’explique, dans l’interview qui suit, Nour-Eddine Sallouk, président de Surfrider Foundation Maroc.

Libé
Jeudi 19 Août 2021

Les déchets aquatiques proviennent à 80% de l’intérieur des terres
Libé : Quels sont les dangers imminents qui guettent les côtes marocaines ?
Nour-Eddine Sallouk :
Nous sommes en été, le premier danger est le flot très important de déchets apporté par la fréquentation de nos plages. Les communes rurales ont du mal à faire face à cette problématique. La loi 11-03 relative à la protection et la mise en valeur de l’environnement contient des règles notamment sur la protection de l’environnement contre toutes formes de pollution mais bien souvent le manque de moyens ne permet pas de la faire appliquer.

SFM apporte à la fois un soutien au niveau de la collecte des déchets mais aussi et surtout une sensibilisation qui est notre mission première : informer pour changer les comportements.

Le second danger est celui de l’urbanisation galopante des côtes marocaines. Le Maroc compte environ 3500km de littoral avec des endroits merveilleux. Ces derniers représentent des opportunités immobilières, touristiques et donc économiques importantes. Depuis 2015, a été promulguée la loi 81-12 relative au littoral au Maroc et c’est une avancée notable pour la protection du littoral avec notamment une zone inconstructible de 100m. Malheureusement cette loi n’est pas toujours respectée.

Un troisième danger est celui de l’érosion et du risque d’inondation dû au réchauffement climatique. Récemment, la Banque mondiale a réalisé avec des experts une étude qui démontre que d’ici 2030, 42% du littoral marocain sera en danger.

D’après vos réseaux sociaux, vous êtes particulièrement occupés en cette saison estivale, notamment à travers des activités de sensibilisation à la pollution maritime.
En effet, nous avons actuellement trois opérations estivales qui se déroulent sur les côtes de la région de Souss-Massa et nous sommes bien occupés. Afin de réaliser au mieux ces opérations, nous avons recruté puis formé de jeunes responsables plage que nous avons ensuite répartis sur ces différentes actions.

A commencer par l’opération « J’aime ma plage »
La dixième édition de l’opération « J’aime ma plage » qui concerne 5 plages au nord d’Agadir en partenariat avec un grand acteur économique et Magval partners a lieu jusqu’au 30 août. Vingt jeunes responsables plage sont répartis sur les plages de Madraba, Km25, Imi Ouaddar, Agrhoud I et Agrhoud II. 120 poubelles ont été installées sur l’ensemble de ces plages. L’objectif principal de cette opération est de sensibiliser les estivants à la réduction des déchets et à la protection de l’océan. Les RP collectent quotidiennement le matin les déchets retrouvés sur les plages et sensibilisent les estivants l’après-midi.

A titre d’exemple, l’année dernière, pour la 9ème édition, nous avons sensibilisé plus de 35.000 personnes et récolté 78 tonnes de déchets. Grâce à notre partenaire Magval Partners, 9% de ces déchets ont été recyclés. Cette année et à ce jour, du 8 juillet au 6 août, en 22 jours d’opération, c’est plus de 37 tonnes qui ont été collectées. Nous attendons la fin de l’opération pour préparer notre bilan.

Vous collaborez également avec la Société d’aménagement et de promotion de la station de Taghazout
Nous sommes présents aussi sur la plage de Taghazout en partenariat avec la SAPST (Société d’aménagement et de promotion de la station de Taghazout) qui a fait appel à Surfrider Foundation Maroc pour la première fois cet été. Deux tentes de sensibilisation sont installées devant le Radisson Blu et le Tawenza Square, sur la plage de Taghazout Bay. Une équipe Surfrider Foundation Maroc, composée de sept animateurs, va à la rencontre du grand public pour l’inciter à protéger les plages et l’océan et organise des jeux portés sur le thème de l’environnement (déchets, eau, biodiversité) afin d’éveiller la conscience écologique des plus jeunes. Cette opération se déroule chaque samedi, dimanche et mercredi, jusqu’au 29 août.

Surfrider Foundation Maroc est aussi présente au sud d’Agadir, sur la plage de Tifnit avec la première édition de «Ensemble, protégeons l’océan» en partenariat avec l’entreprise de conserverie Belma, au travers de sa marque Connétable et avec le soutien de la commune rurale de Sidi Bibi.

Chaque dimanche du 25 juillet au 29 août 2021, deux responsables plage représentent l’Association Surfrider Foundation Maroc sur cette plage. Leurs missions consistent à sensibiliser les locaux et les estivants à la problématique des déchets aquatiques, à les inciter à adopter les bons écogestes ainsi qu’à assurer la propreté de la plage. Nous étions aussi présents sur le Green Challenge, au début du mois de juillet où nous avons organisé un défi de collecte de mégots.

Les déchets aquatiques proviennent à 80% de l’intérieur des terres
Avez-vous constaté une quelconque évolution des mentalités et de la conscience environnementale dans le pays à ce sujet ?
Quand nous rencontrons et discutons aujourd’hui avec les jeunes et moins jeunes de protection de l’océan, de pollution plastique, ces derniers ont déjà une idée sur cette problématique, ce qui n’était pas le cas auparavant. Mais associer le geste à la parole, changer ses habitudes, son mode de consommation en raison de notre impact, le pas n’est pas encore franchi par la majorité.

Rencontrez-vous des réticences au sein de la population au moment de les sensibiliser sur l’importance de protéger les océans ?
Les estivants sont plutôt réceptifs et nous réservent la plupart du temps un bon accueil. Nous apportons des informations sur la durée de vie des déchets, sur la pollution plastique et la menace qu’elle représente sur l’écosystème aquatique. Chacun doit avoir son propre cheminement : réduire ses déchets et les mettre dans une poubelle appropriée. La difficulté, pour bon nombre de personnes, encore une fois, c’est de changer d’habitudes.

Depuis la création de votre association, comment jugez-vous son développement ?
Globalement, le constat est positif. Nous devons rester positifs. Nous existons depuis maintenant 10 ans et grâce à notre travail régulier d’actions sur le terrain, nous sommes maintenant reconnus au niveau régional et même national par différentes institutions.

Nous avons développé un partenariat pérenne et solide avec la Délégation de l’éducation nationale Agadir Ida Outanane qui existe maintenant depuis presque dix ans, nous sommes en contact régulier et constructif avec la Direction régionale de l’environnement. Celle-ci s’est déplacée lors de la visite de terrain que nous avons organisée début août.

Nous travaillons aussi régulièrement avec le Conseil régional du tourisme, La Commune urbaine d’Agadir nous accorde sa confiance et a cofinancé notre programme de sensibilisation « Classes Bleues » sur trois éditions. Les autorités locales nous connaissent et facilitent les démarches administratives. Nous collaborons également avec l’UNESCO section Maghreb et développons un projet en partenariat avec cette même institution.

Vous êtes également actifs dans le monde des entreprises.
Dans le cadre de la RSE (la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable), des entreprises font appel à Surfrider Foundation Maroc afin de sensibiliser leurs salariés. Notre réseau marocain se développe avec la naissance récente de Surfrider Foundation Maroc – Antenne de Sidi Kaouki, constituée d’une équipe très motivée et dynamique. Un jeune noyau de bénévoles s’est développé à Rabat et des personnes se sont manifestées à Dakhla et à Safi.

Comment réussir à répondre aux sollicitations qui se multiplient ?
L’effectif réduit de nos permanents ne nous permet pas de répondre et d’accompagner cette demande croissante. Nous cherchons donc à étoffer notre équipe mais aussi à accroître nos compétences et acquérir de nouveaux outils, plus performants. Mais pour cela, il nous faut des financements. Ces derniers ne sont pas encore assez importants et réguliers pour nous permettre d’accéder au niveau supérieur notamment en cette période de pandémie de Covid-19.

Quel est l’intérêt d’être affilié à Surfrider Foundation Europe, ainsi que de faire partie du réseau Surfrider Foundation ?
Nous sommes effectivement affiliés à SFE. Cela nous permet de bénéficier de leurs compétences et savoir-faire ainsi que de certains outils pédagogiques que nous adaptons au contexte local. Nous sommes en contact régulier avec la direction de SFE pour échanger sur nos actions en cours et nos futurs projets. Nous pouvons alors échanger sur les pratiques.

Lors du dernier International Affiliate meeting, en avril 2021, qui a réuni toutes les entités officielles de Surfrider Foundation, à savoir les Etats-Unis, Surfrider Foundation Europe, Surfrider Foundation Japon, Surfrider Foundation Australie, Surfrider Foundation Argentine, Surfrider Foundation Maroc et le dernierné, Surfrider Foundation Sénégal, nous avons pu partager nos différents projets, échanger sur les difficultés rencontrées, nous soutenir mutuellement. C’est une motivation supplémentaire pour continuer à réaliser notre mission principale : la protection, la sauvegarde et la mise en valeur de l’océan et de ses usagers.

Comptez-vous faire évoluer vos activités de sensibilisation au Maroc ? Du moins d’un point de vue géographique ?
Oui, nous le souhaitons et cela est nécessaire. Il faut savoir que les déchets aquatiques proviennent, à 80%, de l’intérieur des terres. Ils sont transportés par la pluie, le vent et les oueds jusque dans les mers et les océans. C’est pourquoi nous cherchons à diffuser notre message en zone rurale, à l’intérieur des terres, dans la province de Taroudant par exemple, afin de sensibiliser sur le phénomène de bassin versant et mettre en relation population des terres et population du littoral. Pour cela, nous cherchons des financements.

Propos recueillis par Chaabi Chady


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