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Objectifs de la rencontre
Le rassemblement de la vingtaine de critiques, aux profils divers, avait pour but, d’une part, la poursuite du questionnement sur la fonction et la pratique de la critique, les orientations et approches des critiques ainsi que sur l’efficacité et l’impact de leurs écrits et leur présence dans les manifestations cinématographiques et autres. Et d’autre part, l’ouverture d’un débat sur les niveaux de gestion à l’intérieur de l’association, dans ses relations avec les partenaires officiels et non officiels et dans les relations du bureau avec les membres et celles des membres entre eux. Il s’agissait plus précisément d’évaluer les conséquences de ces relations sur les résultats du travail de l’association et sur la gestion de la revue.
Ainsi le programme des journées a comporté deux parties :
- une première, consacrée à l’exercice de la critique, aussi bien théorique que pratique, avec un débat à partir d’exemples de textes critiques ;
- une deuxième, qui interroge l’expérience de gestion de l’association durant les années passées y compris la gestion de la revue, pour identifier les dysfonctionnements et faiblesses afin d’œuvrer, à l’avenir, à y remédier.
Les discussions, qui ont eu trait à beaucoup d’aspects de la critique, comme les genres, les objets, les domaines, les outils, les niveaux, l’éthique, les méthodes, les positions, etc, ont été riches et véhémentes.
Les deux tendances de la critique
A l’écoute des interventions, deux approches semblent se partager le champ actuel de la critique de cinéma, chacune tirant sa légitimité de l’histoire et de la réalité du terrain et de l’expérience: l’une que l’on pourrait qualifier de courant de la théorie et de l’exigence et l’autre de courant du réalisme et du pragmatisme. Cette opposition s’est manifestée à toutes les étapes des débats consacrés à la mission du critique, aux activités et au devenir de l’association et enfin et surtout à sa revue «La revue marocaine des recherches cinématographiques», deux sujets qui s’interpénètrent naturellement.
Le premier courant se prévaut des objectifs mêmes qui ont présidé à la naissance de l’association, il y a vingt ans. D’abord et avant tout, regrouper ceux qui ont une haute idée de la culture et de l’esthétique du cinéma et par conséquent de la fonction critique et qui sont armés et formés pour l’assumer. Et ainsi créer un cadre d’échange qui permette d’élever le niveau de la critique de cinéma au-dessus de discours devenus courants: l’impressionnisme, le compte rendu journalistique de circonstance, la description superficielle, ou le résumé de l’histoire, en lieu et place de l’analyse scientifique et de l’évaluation réfléchie et responsable.
Les tenants de ce courant fustigent le cinéma qualifié de populaire ou/et commercial et ceux qui le promeuvent. Ils préconisent d’une part, le retour continu sur l’étude des œuvres majeures de l’histoire du cinéma et la célébration des génies et auteurs marquants de cette histoire, et d’autre part la mobilisation pour la promotion du «bon» cinéma, profond et beau, aussi bien mondial que marocain, et le soutien des cinéastes qui s’inscrivent dans le mouvement de renouvellement de l’expression. C’est aussi bien un mouvement de recherche que de résistance qui veut assumer ses choix, quitte à évoluer dans un carré restreint, mais efficient à l’instar de Tarkovski, dans le domaine de la réalisation, qui cherchait, comme il a dit « à atteindre beauté et vérité, plutôt que la satisfaction du spectateur».
Le deuxième courant se veut moins élitiste et moins focalisé sur la théorie. Il rappelle le passé glorieux et militant de la critique qui a réussi à élever le cinéma, spectacle forain de la plèbe, au rang des autres arts et réussi à en faire le septième du genre par une action volontariste de vulgarisation et de recrutement. La mission de la critique serait de militer pour la culture cinématographique tous azimuts, d’intéresser les cinéphiles potentiels, d’en former, de les informer et de les guider, et surtout, à l’instar de tous les critiques du monde, de promouvoir, énergiquement et sans relâche, le cinéma national.
Ce dernier point cristallise de manière significative cette différence de position. Alors que le premier courant ne s’intéresse qu’à une poignée de films dont essentiellement ceux dits «d’auteur», au langage ou à l’«écriture» résolument modernistes, voire complexe qui demandent au spectateur un réel effort de lecture, le deuxième courant considère que toute la filmographie marocaine, avec aussi bien le bon grain que l’ivraie, est digne d’intérêt, d’une manière ou d’une autre, de points de vue divers, même extra-artistiques, et qu’il faut prioritairement en accompagner l’évolution et actuellement l’essor. Ils récusent les classements péremptoires de cette filmographie en bons et mauvais films, arguant que certains films, dévalorisés par les uns, sont portés aux nues par d’autres, parfois du même bord. Ils reprochent aux tenant de l’esthétisme leurs partis pris, exprimés dans un langage souvent compliqué, voire ésotérique, parce que trop théorique et truffé de jargon spécialisé, qui rebute le destinataire, en quelque sorte, moyen.
Deux exemples représentatifs
Les deux textes discutés lors de la seconde demi journée, produits par deux vétérans de la critique, ayant donc une longue expérience, ont été très représentatifs des deux tendances. C’est pourquoi il est édifiant d’y revenir. Le premier, plutôt projet d’article et/ou de partie d’un ouvrage à paraître, est de Hammadi Guiroum et s’intitule « Le film marocain entre le cinéma et le non-cinéma ». L’auteur invoquant les critiques Zaffatini et Pierre Maillot, le cinéaste Robert Bresson, entre autres, y développe une argumentation visant à classer la production marocaine, selon une taxonomie qualitative, en trois niveaux. Celui de l’exposition, du visible et du pseudo-réalisme, qui véhicule l’histoire de ce qui s’est passé au détriment de l’histoire véritable, c’est-à-dire construite par la narration cinématographique. Ce niveau comporte apparemment un très grand nombre de films, qui relèveraient du «non-cinéma». Le deuxième niveau, celui du récit, est celui dans lequel les réalisateurs chercheraient un équilibre entre une visibilité narrative et sociale réaliste satisfaisant le spectateur et la qualité esthético-technique, ce qui expliquerait leur réussite. Figurent dans cette courte liste les films à succès de Mohamed Abderrahmane Tazi, Abdelkader Lagtaa et Nabyl Ayouch. Le troisième niveau, celui de la production du sens, se libère du carcan et des clichés de la narration réaliste classique, du visible et du cinéma- mouvement pour arriver au cinéma-temps, c’est-à-dire à une vision cinématographique nouvelle, où le récit n’est plus qu’un prétexte et où la primauté est celle de l’esthétique de la narration, de la construction poétique du récit, et, in fine, de l’expression du non-visible. Les films de Hakim Belabbès, d’Ismael Ferroukhi, de Faouzi Bensaïdi, certains films de Jilali Ferhati et “L’enfant endormi” de Yasmine Kassari, composent le corpus de ce «cinéma de la problématique sociale».
Le deuxième texte, Bilan critique 2, le film de la décennie quatre vingt-dix de Mohamed Gallaoui, boucle un regroupement de 17 articles, publiés entre 1980 et 2002, dans un recueil intitulé La Critique au pluriel (1). Comme le titre et le sous-titre du texte l’indiquent, l’auteur y dresse un bilan de la production cinématographique des années 1990. En fait, il ne s’agit pas seulement de films, mais aussi, dans un premier temps, d’une contextualisation critique (historique, politique, culturelle et sociale) qui met cette production, qualifiée par les «observateurs» de «période de relance du cinéma au Maroc », en situation et en perspective. Par rapport par exemple à la période précédente des années soixante dix, dominée par le « cinéma intellectuel», incapable d’intéresser le large public. Les conditions de production, de distribution, d’exploitation, et de réception toujours peu propices, ainsi que le déclin de la réflexion critique confortent l’auteur dans ses appréciations peu optimistes. Néanmoins, si d’une manière générale, la qualité de la création artistique n’est pas encore au niveau désiré, quelques avancées ont été accomplies, notamment par des films qui ont réussi à ramener le public dans les quelques salles disponibles et fréquentables, par certains films qui suscitent l’intérêt comme ceux de Lagtaâ et «Adieu forain» de Aoulad Syad et par l’éclaircie des courts métrages des «enfants de l’immigration». Sans être simpliste, le langage du texte est simple et les références, plutôt que citées à tout bout de champ, sont lisibles entre les lignes ou devinées, le but étant informatif et éducatif avant tout.
Et maintenant ?
On voit bien que ces textes, loin de s’opposer, sont, au contraire, complémentaires, et qu’il y a place dans le champ critique pour différents niveaux d’écriture et d’approches. Ce qui, à notre sens, devrait se manifester dans les publications de l’association et surtout de la revue nouvelle formule. Celle-ci est devenue le lieu d’expression de la posture et des choix stratégiques du premier courant, même si on y admet quelques textes moins pointus, s’adressant à un public plus large. La théorie, les références aux grands auteurs comme Deleuze ou Metz et le lexique spécialisé y sont de mise. Une large place y a, par exemple, été dévolue à des dossiers sur des cinéastes «majeurs» (Kurosawa, Buñuel, Tarkovski, Godard, et Théo Angelopoulos). Alors que l’expérience précédente, celle de la revue Cinéma, n’était pas si mauvaise, car si semi-échec il y eut, il n’est pas imputable au concept même, mais à des défauts de gestion, de production et au manque de professionnalisme. Une solution raisonnable serait celle qui tienne compte des deux tendances, qui ont chacune, comme dit plus haut, sa légitimité.
C’est-à-dire d’une part, répondre aux demandes de ceux qui veulent s’ouvrir sur un public plus large et le fidéliser. Et d’autre part, préserver l’acquis, en s’adressant à un public avisé et concerné, surtout parmi les universitaires et les critiques, par des numéros spéciaux périodiques qui seraient consacrés à des thématiques, qui intégreraient les actes des rencontres sur le cinéma organisées ou coorganisées par l’association, comme cela s’est passé pour le colloque sur Tarkovski à Settat et, pourquoi pas, la publication devenue régulière et incontournable Cinéastes et critiques. A condition, comme cela a été signalé et souligné, de faire l’effort nécessaire de la professionnalisation, d’améliorer la présentation, d’être intransigeant sur la correction linguistique et rédactionnelle et de veiller à la cohésion et la cohérence des contenus.
En conclusion, il faut saluer la persévérance d’une équipe qui fait face à toutes sortes d’obstacles et qui réussit à faire entendre et vivre la voix de la critique marocaine, toutes tendances confondues, en cherchant continuellement des solutions et des partenaires, et en s’évertuant à organiser, contre vents et marées, des actions dont la dernière, et pas des moindres, a été la réunion de la Fédération africaine des critiques de cinéma à Marrakech, couronnée par l’élection de Khalil Damoun, président de l’association marocaine à sa tête.