Les consommateurs s’engagent sans prendre connaissance du contrat de vente


Alain Bouithy
Mardi 23 Avril 2019

Pour la troisième édition de son cycle de conférences thématiques, l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises au Maroc (ORSEM) a choisi le thème « Responsabilité sociétale des entreprises et protection des droits des consommateurs : entre cadre réglementaire contraignant et perception des consommateurs».
La rencontre, qui s’est tenue dernièrement à l’auditorium de l’Institut supérieur de commerce et d'administration des entreprises (ISCAE-Casablanca), en présence notamment des enseignants, chercheurs et étudiants intéressés par la thématique du jour, « s’inscrit dans un cycle de conférences pluriannuelles que l’ORSEM met en place depuis un an », a déclaré en introduction le président de l’Observatoire de la RSE au Maroc, Tarik El Malki.
« L’idée de cette thématique nous a paru importante parce que la question du consommateur occupe une place centrale dans le business modèle de l’entreprise, en  plus du fait que ce dernier constitue l’une ses parties prenantes les plus importantes, avec l’actionnaire et le salarié », a-t-il expliqué.
Situant le contexte de la conférence, Tarik El Malki est revenu brièvement sur la compagne de boycott d’il y a un an contre certains produits de première nécessité, rappelant que celle-ci a été menée par des consommateurs avertis qui « considéraient que leurs aspirations ne sont pas prises en considération, notamment la tarification équitable, le rapport qualité-prix et le service après-vente».
Des aspirations pourtant « régies par la loi 31-08, un dispositif juridique qui garantit aux consommateurs un certain nombre de droits», a-t-il relevé avant d’attirer l’attention de l’auditoire sur la nécessité de s’interroger sur l’intérêt de comprendre ce dispositif pour les consommateurs marocains.
Notons que ce dispositif servira, d’ailleurs, de jalon pour la suite de cette conférence.
En effet, Mohamed Benjelloun, le directeur de la Direction de la protection du consommateur, de la surveillance du marché et de la qualité, au ministère du Commerce, de l’Industrie, de l’Investissement et de l’Economie numérique,  y est pour sa part longuement revenu.
Afin de mieux apprécier le cadre réglementaire garantissant les droits des consommateurs au Maroc, ce dernier a exposé en détail divers aspects de ce texte législatif.
C’est ainsi qu’il a d’entrée de jeu fait remarquer que la loi 31-08 sur la protection des consommateurs est venue compléter un arsenal législatif important de lois dont la base, selon lui, est la loi 12-06 sur la normalisation, certification et accréditation.
« On ne peut pas parler de qualité sans évoquer la norme à la base de tout processus et, qui plus est, constitue le référentiel de toute action en termes de qualité, de certification comme moyen de l’évaluation de la conformité et de l’accréditation comme moyen pour reconnaître les compétences d’un organisme d’évaluation de la conformité », a-t-il souligné.
Mohamed Benjelloun a toutefois assuré que d’autres lois tout aussi importantes constituent cet arsenal juridique. Il s’agit des lois sur les instruments de mesures réglementés (2-79), la sécurité sanitaire des produits alimentaires (28-07), la répression des fraudes sur les marchandises (13-83), la sécurité des produits et services (24-09), les obligations et contrats (Dahir de 1983), la protection de  des données à caractère personnel (09-08), la communication audiovisuelle (77-03) ainsi que l’échange électronique de données juridiques (53-05), entre autres.
En sommes, plus de 300 textes englobant lois et textes réglementaires, constitueraient l’arsenal juridique mis au service de la protection du consommateur marocain.
Dans son exposé, l’orateur a fait également savoir que la loi 31-08 garantit six droits fondamentaux du consommateur : le droit à l’information, le droit à la protection de ses droits économiques, le droit à la représentation, le droit au choix, le droit à l’écoute et le droit à la rétractation.
C’est dire que « cette loi est venue assurer un équilibre dans les relations entre fournisseur et consommateur, en faisant en sorte que certaines pratiques commerciales comme certains droits des consommateurs soient garantis », a-t-il relevé admettant cependant que le consommateur reste le maillon le plus faible dans toute la chaîne de la consommation. Ce qui est en toute logique une exigence pour sa protection.
Au final, cette intervention a surtout permis à l’auditoire de (re)découvir la loi et ses dessous et d’apprécier à leur juste valeur les dispositions prises par les autorités pour protéger les consommateurs, quand bien même bon nombre d’entre eux ne s’en rendent pas toujours compte. Des textes et des lois qui existent tout de même depuis 2011, faut-il le rappeler.
Prenant la parole à son tour, le président de l’Association marocaine de protection des consommateurs (UNICONSO), Oudia Madih, a éclairé l’auditoire sur la réalité sur le terrain rappelant, avant d’entrer dans le vif du sujet : « en tant qu’Association et personnes consuméristes, nous militons pour l’amélioration de la qualité de vie des consommateurs ».
La norme « ISO 26000 contribue à l’amélioration de la qualité de la vie de l’entreprise », a-t-il affirmé soulignant en ce qui concerne la question relative aux consommateurs dans la responsabilité sociétale que plusieurs éléments importants sont également relevés dans les directives de la protection du consommateur des Nations unies.
Des éléments que l’on peut classer en 7 chapitres : la pratique loyale en matière de commercialisation et d’information durable; la protection et la santé des consommateurs; la consommation durable; le service après-vente; l’assistance et la résolution des réclamations des litiges; la protection des données de la vie privée des consommateurs; l’accès aux services essentiels, éducation et sensibilisation.
Citant comme source le Haut-commissariat au plan (HCP), le président de l’UNICONSO a rappelé également que l’économie informelle représente 40% du PIB marocain avec un chiffre d’affaires estimé à 410 milliards DH/an, la contrebande représente 15 milliards de DH/an tandis que la contrefaçon coûte entre 6 et 12 milliards de DH/an.
« Ces chiffres montrent que le Maroc a un sérieux problème. Ils traduisent un manque à gagner qui fait perdre à l’entreprise marocaine énormément d’argent. Ce qui a un impact direct sur le plan économique, social et fiscal ainsi que sur la santé et la sécurité du consommateur », a-t-il déploré.
A ce sujet, Oudia Madih a affirmé que tout le monde a sa part de responsabilité, à commencer par les consommateurs qui seraient responsables par leur passivité. En ce sens, « nous sommes des consommateurs passifs qui ne répondent pas aux exigences ou aux besoins de la pratique de la consommation », a-t-il expliqué.
Comme les consommateurs, « les fournisseurs portent aussi une part de responsabilité par leur vision du gain rapide et leur négligence dans l’application des normes », a poursuivi le responsable associatif faisant remarquer qu’à part les normes règlementaires et donc obligatoires, très peu d’entreprises appliquent les normes « volontaires ».
S’agissant de l’Etat, il serait également responsable « par sa complaisance et son passe-droit en faisant des conciliations sur le plan social et sur des  situations peut-être ingérables à d’autres niveaux », a-t-il constaté.
Quel qu’en soit le degré de responsabilité des uns et des autres, « les consommateurs demeurent toujours lésés et ils paient in fine les pots cassés d’une politique qui devrait être plus rigoureuse, persuasive et aller encore de l’avant afin d’avoir une entreprise clean qui contribue à l’amélioration de l’économie nationale ».
Sur la complaisance supposée de l’Etat, Mohamed Benjelloun n’a pas tardé à réagir. « On ne peut pas parler de complaisance de l’Etat au regard du bilan honorable qui est le nôtre, sans compter celui de l’ONSA », a-t-il soutenu assurant, comme pour éclairer l’auditoire, que « tous les opérateurs véreux qui tombent entre les griffes des contrôleurs sont sanctionnés ».
Il a cependant concédé qu’« on ne peut mettre un contrôleur devant chaque  fournisseur d’autant plus que 1,5 million d’entreprises sont concernées par notre champ d’action. Et quand bien même l’on veut être exhaustif, nos moyens ne permettront pas de les contrôler toutes d’ici à 2022 ».
En revanche, il est persuadé que c’est auprès des entreprises et chez les consommateurs que l’on observe le plus d’actes de complaisance, avant d’inviter « tous les partenaires à afficher un peu de bonne volonté » face à cette situation.
Revenant sur l’attitude des consommateurs, Oudia Madih a estimé qu’il est plus que temps que ceux-ci deviennent des consommateurs avertis qui s’informent pour mieux connaître les biens et les services qu’ils utilisent.
Car, prenant des exemples concrets, « 90% des consommateurs décident de prendre un abonnement d’eau, d’électricité ou de téléphone sans avoir pris connaissance du contrat de vente pour après se plaindre et prétexter qu’ils n’ont pas fait attention du fait les écrits sont petits », a-t-il déploré.
Qu’à cela ne tienne, s’agissant de la protection du consommateur, il a indiqué que l’Etat doit promouvoir des politiques nationales de protection de consommateur qui encouragent des bonnes pratiques commerciales afin qu’elles soient une réalité au sens du contexte marocain.
« Par exemple, exiger des entreprises qu’elles fournissent des coordonnées précises et fiables afin de permettre aux consommateurs et aux organismes de la règlementation d’appliquer les lois, de les identifier et de les contacter, si nécessaire».
Commentant à son tour les textes relatifs aux droits du consommateur, le vice-président de l’ORSEM, Omar Benaicha, a estimé qu’un véritable travail de vulgarisation s’impose, affirmant qu’« au-delà de la loi et de la légalité, je pense que le consommateur est la raison d’être de l’entreprise. Sur le plan purement commercial et business, c’est le client qui fait la réalité de l’entreprise tous les jours», a-t-il soutenu.
En ce qui concerne la RSE, il a estimé que lorsqu’on est dans une telle démarche, il est important d’élargir la réflexion sur la question sachant que « l’entreprise est responsable d’abord de satisfaire le client et qu’elle a aussi l’obligation de faire connaître au client ses droits élémentaires et les obligations dans l’entreprise ».
Pour autant, « comment pourrait-elle sensibiliser les clients si elle-même ne connaît pas les textes régissant ses relations avec les consommateurs? », s’est-il interrogé notant qu’aujourd’hui les entreprises ont des difficultés à appréhender l’importance de l’approche RSE dans la relation client pour de nombreuses  contraintes. Sans toutefois tenir compte de formidables opportunités qu’elle offre.
Notons que Tarik El Malik nous a confié un peu plutôt ses inquiétudes sur le même sujet, en faisant remarquer que « les entreprises sont assez frileuses au Maroc lorsqu’il est question d’évoquer la relation avec les consommateurs. Campagne de boycott aidant ou pas, nous avons beaucoup de mal à les approcher dans la mesure où nombre de responsables qualité RSE-RH pensent que ce sont des questions sensibles qui doivent émaner d’une autorisation spéciale d’autres instances ».
Après avoir salué quelques exemples d’initiatives réussies de pratiques RSE et reconnu en même temps que le Maroc est encore au tout début de la prise de conscience en matière de consommation responsable durable, Omar Benaicha a rappeler à l’assistance : « Notre rôle est de travailler sur ce sujet pour les vulgariser et expliquer notamment aux entreprises l’intérêt de s’intéresser aussi au consommateur au-delà du gain commercial qu’on peut avoir ».
Rappelons que l’ORSEM a été créée il y a près de deux ans dans un contexte où des notions de développement durable, de responsabilisation d’entreprises citoyennes, d’investissements socialement responsables ont émergé de l’autre côté de l’Atlantique.
Au Maroc, depuis 2005, un certain nombre d’initiatives emblématiques dont la première, la tenue des Assises sur la finance responsable, ont jeté les bases d’une nouvelle approche responsable de la part des entreprises.
« Ceci s’est prolongé à travers un certain nombre d’initiatives citoyennes émanant de groupements professionnels dont la plus emblématique et la plus importante est le label RSE de la CGEM créé il y a une douzaine d’années et qui vise à certifier, sur la base d’un audit externe, les pratiques responsables des entreprises suivant un cahier des charges», se souvient Tarik El M.
Ensuite, le concept a progressivement investi le champ académique pour donner lieu à un certain nombre de thèses, de publication d’articles, de colloques et de conférences dont celle que le Groupe ISCAE a eu l’opportunité d’abriter en juin dernier sur « Les innovations pro-sociales : de la finance responsable à l’entrepreneuriat social ». C’est dans ce contexte que l’université marocaine commence, elle aussi, progressivement à abriter des travaux de recherches.

Tarik El Malki, président de l’ORSEM : Etre une force de proposition pour toutes les parties prenantes

La rencontre de ce jour s’inscrit dans un cycle de conférences pluriannuelles que l’ORSEM met en place depuis un an dans l’objectif de devenir progressivement une institution de référence qui réfléchit sur toutes les problématiques liées à la RSE, tout en étant une force de propositions agissantes.
Pour cela, nous agissons grosso modo à deux grands niveaux d’intervention. Le premier est lié à la production scientifique où nous sommes en train progressivement de constituer, à travers un cycle mensuel de séminaires de recherche, une communauté de chercheurs qui travaillent sur  des thématiques liées à la RSE : ça peut être la diversité, le genre, l’impact territorial communautaire, la loyauté des principes... L’idée étant de réunir progressivement toutes les personnes qui travaillent au niveau académique et scientifique sur la thématique de la RSE.
Le deuxième niveau d’intervention consiste à créer une proximité avec les entreprises en nouant des partenariats avec celles qui nous semblent être des institutions de référence en matière de pratique RSE.
A ce titre, nous avons signé le 29 mars dernier un partenariat avec Atlanta Assurances dans l’objectif, dans un premier temps, de travailler sur la réalisation et l’édition d’un guide thématique de meilleures pratiques en matière de conditions de travail et d’approche genre.
Donc, nous voulons être un Observatoire qui joue aussi le rôle de force de propositions pour toutes les parties prenantes, entreprises, société civile, gouvernement, afin que l’entreprise soit véritablement au cœur de la dynamique de modernisation de l’économie marocaine.
Propos recueillies par AB.


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