Les chantiers avancent, mais la politique s’effrite

Le Maroc peut-il continuer à bâtir un avenir solide avec une gouvernance en panne ?


Mohamed Assouali
Mardi 2 Décembre 2025

Comment un pays peut-il poursuivre des chantiers stratégiques d’une ampleur exceptionnelle, tout en laissant un gouvernement incapable de créer la richesse, encore moins de la redistribuer au profit des secteurs sociaux essentiels comme l’éducation et la santé ? Comment expliquer que des projets structurants, pourtant présentés comme moteurs de développement, génèrent si peu de valeur ajoutée et contribuent faiblement au Produit Intérieur Brut, révélant une crise de gouvernance plus profonde qu’un simple déficit de résultats ? Le Maroc peut-il réellement bâtir un avenir solide lorsque l’Etat avance mais que la politique recule, lorsque les investissements progressent sans retombées sociales tangibles, et lorsque la parole publique s’éloigne toujours davantage des besoins réels des citoyens ?

Jamais le contraste n’a été aussi frappant : d’un côté, un État qui construit, investit, anticipe et restructure sous l’impulsion d’une vision Royale constante ; de l’autre, un gouvernement prisonnier de ses hésitations, pauvre en initiatives, et incapable de transformer les chantiers en gains sociaux.
Ce qui incite à croire que la crise n’est pas nécessairement celle des moyens, mais aussi, et dans bien des cas, celle de la volonté.
La question n’est plus : que faut-il faire ? — mais : pourquoi ce gouvernement ne le fait-il pas ? Et surtout : qui assumera le coût politique et social d’une action publique qui retarde le pays ?
Jamais le contraste n’a été aussi frappant : d’un côté, un Etat qui construit, investit, anticipe et restructure sous l’impulsion d’une vision Royale constante ; de l’autre, un gouvernement prisonnier de ses hésitations, pauvre en initiatives, et incapable de transformer les chantiers en gains sociaux
 Une vision Royale solide… mais un gouvernement sans ligne directrice
 
La stratégie nationale est claire : institutions modernisées, infrastructures portuaires et énergétiques en expansion, réindustrialisation ciblée, montée en puissance du digital.
Le Maroc sait où il veut aller. Mais l'appropriation par le gouvernement reste bancale: manque de suivi, lenteur administrative, absence d’anticipation,  incapacité à mobiliser les compétences, et déconnexion complète du débat public et au sein du Parlement.
Un gouvernement doit diriger, pas suivre. Il doit anticiper, pas commenter.
Il doit rassembler, pas se justifier.
Le plus symptomatique : l’ignorance par les membres du gouvernement des propositions des groupes d'opposition, toutes pertinentes qu'elles peuvent être. A cet effet,  le Groupe socialiste – Opposition ittihadie a mis sur la table, à maintes reprises, des  propositions d'actions et de décisions susceptibles d'offrir une issue pour sortir de la léthargie qui touche un certain nombre de domaines. Quoique ces propositions soient chiffrées, structurées et réalistes, elles sont ignorées. A chacune des propositions émanant du  Groupe socialiste, le gouvernement affiche une fin de non recevoir. Il contourne les questions qui lui sont posées et s'enfonce dans l'improvisation.

Finances publiques : gouverner sous 96% de dette, c’est gouverner sans marge
La situation budgétaire n’est pas simplement tendue : elle est révélatrice d’un modèle qui se fatigue.
96 % du PIB de dette,
100 milliards de dirhams de service annuel,
7% du PIB perdus en évasion ou niches inefficaces.
Ce n’est plus un problème comptable mais un problème politique.
Car un investissement public exécuté à 65% traduit beaucoup plus un déficit de l'Etat qu'un manque de ressources.
Aucun pays ne peut réformer avec une gouvernance fiscale hésitante, où la classe moyenne paie trop, les grandes rentes paient peu, et le gouvernement refuse d’ouvrir le chantier de la justice fiscale.

Les socialistes au Portugal et en Espagne ont fait le contraire :
ils ont taxé les surplus de rentes, investi dans le social et relancé la croissance.
Le Maroc pourrait faire de même — s’il y avait une volonté.
 
Ecole publique : une crise éducative qui menace la cohésion sociale
 
La situation éducative frôle le seuil critique :
300.000 abandons,
70% d’élèves sans maîtrise des fondamentaux,
Seuls 13% des lauréats des différents instituts accèdent à un emploi.
Ce n’est pas une crise pédagogique; c’est une crise de société.
Un pays qui perd sa jeunesse perd son avenir. Et un gouvernement qui échoue dans l’éducation échoue partout.

Une réforme éducative digne de ce nom impose : une refonte des méthodes, une professionnalisation des enseignants, une coordination réelle avec le marché de l’emploi, et un investissement assumé dans l’équité territoriale.
 
Université et recherche : l’ambition sans moyens ne produit que de la stagnation
 
Investir 0,8 % du PIB dans la recherche, dans un monde où la connaissance est la première ressource stratégique, revient à renoncer volontairement à une partie de la souveraineté scientifique.

L’université marocaine ne manque ni de talents ni d’idées ; elle manque de vision nationale. Sans autonomie, sans évaluation sérieuse, sans lien avec l’entreprise, elle restera en sous-régime. L’avenir du Maroc dépend de sa capacité à produire et non pas seulement à importer de la connaissance.
 
Santé, jeunesse, emploi : l’Etat social sur une ligne de crête
 
Le système de santé souffre d’un déficit structurel qui ne peut plus être masqué:
65.000 professionnels manquants, 7 médecins pour 10.000 habitants, 54,8% de financement direct par les ménages.
Dans le même temps, l’économie reste captive d’un modèle essoufflé :
agriculture fragile, industrie stagnante, informalité massive, chômage des jeunes urbains au-delà de 38%.
Le Maroc ne manque pas d’opportunités; il manque d’un gouvernement capable de les relier entre elles.
 
Gouvernance et responsabilité : le cœur réel du problème
 
Quand 60% des recommandations de la Cour des comptes ne sont pas exécutées, quand 2 à 3 points de croissance disparaissent dans les lenteurs et l’opacité, quand le gouvernement ignore les contributions de l’opposition constructive. Le problème n’est alors plus technique : il est éthique et politique.

Le Maroc ne peut se permettre une gouvernance neutre, silencieuse ou opaque.
L’Etat social ne peut avancer sans transparence, responsabilité et reddition des comptes.
 
Il ne suffit plus de gérer : il faut diriger
 
Le Maroc vit un moment de vérité. Les infrastructures avancent, mais la confiance recule. Les chantiers se multiplient, mais la cohérence politique manque. Le potentiel existe, mais l’exécution boîte.

La responsabilité est partagée, certes — mais elle est d’abord politique. Un gouvernement doit diriger, pas suivre. Il doit anticiper, pas commenter.
Il doit rassembler, pas se justifier. Le pays a besoin d’un choix clair, d’une sanction civique contre l’inefficacité et d’un horizon porté par des forces capables d’unir, de proposer, de corriger et de gouverner. La réforme est un acte de courage. Et ce courage, aujourd’hui, se mesure dans les urnes, dans les partis et dans la capacité de la société à exiger une politique à la hauteur de l’ambition du Maroc.

Par Mohamed Assouali
Secrétaire provincial de l’USFP - Tétouan


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