Les algorithmes aident-ils à réduire la criminalité ?


Libé
Lundi 23 Mai 2022

Les algorithmes aident-ils à réduire la criminalité ?
Nous avons tous tendance à nous conformer à des habitudes, au travail tout comme dans d'autres aspects de nos vies. En général, je travaille mieux le matin et je déteste travailler après dîner. Nos habitudes traduisent habituellement nos goûts personnels, notre éducation, ou une combinaison des deux - ou, comme le fait remarquer Charles Duhigg dans son ouvrage The Power of Habit, la simple répétition d'un acte peut produire une routine.

Ma propre étude publiée dernièrement prouve que les criminels ne sont pas si différents que cela des honnêtes citoyens quand il s'agit de se conformer à une routine, probablement en raison de leur expérience, de leur tendance à se spécialiser et de ce qu'ils pensent avoir développé une stratégie idéale. Les services de police sont en train de ratrapper leur retard en ayant recours à un outil de plus en plus commun : les algorithmes. Puisque les algorithmes utilisent des modèles dans les données pour prévoir un comportement futur, ils peuvent prévoir les films que quelqu'un pourrait aimer sur Netflix ou les livres qu'une personne pourrait vouloir acheter sur Amazon.

Mais ils peuvent également aider les forces de l'ordre à lutter contre la criminalité. Certains algorithmes calculent la tendance à la récidive de détenus. D'autres soutiennent des outils de police prédictive, qui produisent des prévisions de criminalité dans le but d'optimiser les patrouilles.  Les investissements dans l'analytise prédictive conduisent à une redistribution des ressources (notamment par différentes stratégies de maintien de l'ordre et des peines de substitution) et changent ainsi la probabilité de l'arrestation ou de la détention parmi les individus.

Pour cette raison, il est important de comprendre dans quelle mesure ces outils algorithmiques réduisent la criminalité et s'ils y parviennent sans produire de biais à l'encontre de certains groupes. Le logiciel de maintien de l'ordre prédictif le plus évolué et le plus fameux a essentiellement évolué à partir de la cartographie des points chauds. Ces programmes révélent selon ce principe que les zones ayant récemment fait l'objet d'un taux de criminalité élevé ont une plus forte probabilité d'avoir des taux de criminalité élevés à court terme.

Ainsi les forces de l'ordre sont censées devoir se concentrer sur ces zones afin de décourager le plus grand nombre de criminels. Si les chercheurs ont prouvé que ces algorithmes statistiques ont une plus grande puissance prédictive que des moyennes simples, montrer qu'ils réduisent effectivement la criminalité est toutefois bien plus difficile.
Les services de police tendent à avoir recours à la police prédictive en cas de forte criminalité - et les réductions suivantes pourraient refléter un déclin normal qui n'a rien à voir avec cette décision. Un maintien de l'ordre focalisé sur certaines zones peut en outre tout simplement déplacer la criminalité vers d'autres zones. Une évaluation appropriée exige donc un meilleur scénario d'anlyse contrefactuelle : que serait-il arrivé à la criminalité sans utilisation de la police prédictive ?

Quant au biais éventuel, il n'est pas inconcevable que la police prédictive puisse fausser les résultats du maintien de l'ordre. Les zones déshéritées ont peut-être des taux de criminalité plus élevés et seront patrouillées de facon plus intensive une fois que la police prédictive sera introduite. Si les ressources de police demeurent fixes, les criminels dans des zones déshéritées auront de plus grandes chances de rencontrer une patrouille de police que des criminels dans des quartiers plus riches.

Mais si cela n'est que justice pour les délinquants récidivistes qui ont contribué à la hausse de la criminalité qui a conduit à des patrouilles supplémentaires, les délinquants primaires d'aujourd'hui n'ont pas fait augmenter auparavant les chiffres de la criminalité. Puisque la plupart des algorithmes de police prédictive ne font pas de disctinction entre récidivistes et délinquants primaires, ils peuvent comporter un biais à l'encontre de ces derniers dans des zones déshéritées. 

Afin d'aider à répondre aux questions de l'efficacité et des biais, j'ai évalué le logiciel de police prédictive utilisé à Milan en Italie. Ceci m'a permis d'établir une analyse contrefactuelle en bonne et due forme : pour des raisons historiques, Milan a deux services de police qui partagent les mêmes objectifs, mais seulement l'un d'eux utilise des outils de police prédictive.  KeyCrime, le logiciel prédictif développé par Mario Venturi et qui est utilisé à Milan, diffère des outils de police prédictive habituels, vu qu'il se concentre sur les arrestations des malfaiteurs plutôt que sur la dissuasion (en empêchant de ce fait des criminels de simplement déplacer leur activité) et distingue les délinquants primaires des criminels récidivistes.

Le logiciel utilise les informations recueillies par les dépositions de victimes et par les caméras de surveillance afin de relier les criminels aux vols qualifiés et prévoit dans un second temps quand et où un individu ou un groupe particulier frappera la prochaine fois. KeyCrime produit un type différent de prévisions, qui réduit les biais éventuels. Les résultats indiquent qu'une analyse des habitudes des criminels récidivistes fait plus que doubler la probabilité de les arrêter. Les voleurs ont tendance à agir de manière semblable au fil du temps, en visant un voisinage et un type spécifique de commerces, ainsi qu'en se tenant à une certaine heure de la journée.

Ainsi, par exemple, un individu qui a précédemment cambriolé une bijouterie à neuf heures du matin va probablement commettre un nouveau méfait dans le même voisinage, environ à la même heure et chez un autre bijoutier. Puisqu'il y a autant de correspondances potentielles qui correspondent à ces prévisions, le logiciel met en avant les futures cibles potentielles et le service de police organise des patrouilles pour attraper le voleur. Des micro-prévisions fondées sur le comportement de différents groupes criminels ont prouvé qu'elles fonctionnent pour lutter contre les cambriolages et sont à présent étendues à d'autres types de récidivistes, comme les délinquants sexuels et les terroristes.

Reste à savoir si la police prédictive sera également couronnée de succès en traduisant ces criminels en justice, car une interaction réduite avec les victimes et la disponibilité réduite d'images de vidéo surveillance risquent de compliquer la tâche des agents chargés de faire le lien entre les contrevenants et plusieurs incidents. Une utilisation plus répandue de la police prédictive peut conduire les criminels à changer leurs habitudes et à devenir moins prévisibles. Mais le développement d’algorithmes et de processus de collecte de données plus puissants donne des raisons d’être optimiste au sein des services de police. «Le crime est terriblement révélateur, notait Agatha Christie.

Essayez de changer vos méthodes autant qu'il vous plaira, vos goûts, vos habitudes, votre disposition d'esprit - votre âme est révélée par vos actes». Jusqu'à présent, la capacité de construction allouée à la prédiction de crimes individuels en utilisant les habitudes des criminels contre eux semble être un bon investissement.

Par Giovanni Mastrobuoni
Professeur d'économie à l'Université d'Essex


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