Lemghari Essakl, DG de l'Agence pour l'aménagement de la vallée du Bouregreg


Le projet de l'aménagement de la vallée du Bouregreg est sous les feux des projecteurs et plus que jamais l'agence en charge de cette entreprise titanesque fait parler d'elle. Utilité publique, expropriations, intérêts menacés, les sujets qui fâchent sont nombreux
et le directeur général de l'Agence en charge de l'aménagement
de cette vallée a accepté d'en parler.
En toute transparence.

Liberation libe
Dimanche 7 Décembre 2008

Au bord du fleuve, des intérêts menacés

Lemghari Essakl, DG de l'Agence pour l'aménagement de la vallée du Bouregreg
Libé : Des informations, des contre-informations, des rumeurs circulent autour du réaménagement de la vallée du Bouregreg. Qui a peur de ce projet ?

Lemghari Essakl : J'ai présenté à plusieurs reprises le projet devant le conseil de la ville de Rabat. Et je vais continuer de le faire. L'objectif de ces rencontres est de faire le point sur l'état d'avancement des travaux et de clarifier la question de l'utilité publique et du plan d'aménagement. J'ai dit aux élus de la ville que nous avons un site exceptionnel. Il y a 2600 ans, des gens sont venus s'y installer. C'est un site exceptionnel qui a mérité une démarche exceptionnelle. Qu'a-t-on fait de ce site durant ces 50 dernières années ? C'est la question que l'on peut se poser tout en se demandant ce que nous faisons aujourd'hui de ce site. On n'a pas respecté sa topographie, ni sa nature ni son hydrologie. On a surtout laissé, sous la pression démographique, proliférer l'habitat insalubre. Des quartiers entiers sont ainsi nés loin de sauvegarder la dignité des citoyens et indignes du Maroc d'aujourd'hui. Ce sont les propres habitants de ces quartiers qui ne supportent plus d'y habiter. Une industrie parallèle s'y est installée. Je ne citerai que l'exemple de ces poulets morts jetés dans le fleuve au lieu d'être incinérés. Je ne veux même pas parler des marbriers et de leurs dégâts sur la vallée du Bouregreg où nous avons du reste des rejets importants des quartiers périphériques des eaux usées. Ce sont autant de quartiers qui n'ont aucune sécurité en matière d'urbanisme, etc, sans équipements de proximité… Est-ce ainsi que nous devons dessiner le devenir de cette vallée ? C'est à mon sens le début du débat que nous devons avoir tout en gardant à l'esprit que notre patrimoine est en danger : les murailles de Sidi Benachar et celles de Rabat menacent ruine alors que Chellah est en grande difficulté. Sommes-nous incapables d'affronter cela ? Sommes-nous de mauvaise foi ou manquons-nous de moyens humains et matériels ? Ce qui nous a poussés à dire qu'il y a des problèmes dans cette vallée. La question était de savoir s'il fallait se lancer dans cette aventure et si oui, est-ce avec les mêmes faiblesses constatées ou faire autre chose.

Je vous repose la question autrement. Le projet fait-il donc peur à ceux dont les intérêts sont menacés ?

Nous sommes rentrés dans un projet où il y a un confluent d'intérêts. Il n'y a pas d'entreprise où il n'y a pas plusieurs intérêts internes et externes. Nous sommes sur un site où il y a une problématique hydraulique, des problèmes liés à l'environnement, d'autres liés au transport. Il y a dans le même temps des problématiques relatives à l'infrastructure, aux attributions des communes et de l'Agence urbaine avec l'Etat marocain. Tout cela fait qu'avec le déroulement des choses, les intérêts des uns se heurtent à ceux d'autres et il leur faut trouver des solutions. L'objectif de notre intervention dans cet endroit est noble. Il ne s'agit surtout pas, comme le prétendent certains, de voler des terrains à leurs propriétaires. Pour revenir à la question des intérêts qui se sentent menacés, il est normal que des personnes s'inquiètent de leur devenir, se posent des questions au sujet de l'avenir de leurs terrains par rapport au projet de réaménagement de la vallée. On ne peut pas dire aujourd'hui aux citoyens qu'ils n'ont pas le droit de s'inquiéter. Il faut qu'ils posent des questions et fassent valoir leurs droits. Si un jour l'agence commet une injustice à leur égard, ils doivent pouvoir faire respecter leurs droits.
Etes-vous finalement en train de rassurer toutes ces personnes qui craignent une expropriation ?
Rassurer les citoyens et les personnes morales, encore faut-il les rencontrer et discuter avec eux. Il y a des moyens de communication à travers la presse écrite et audiovisuelle et c'est un effort que nous devons faire. Les rassurer sur le devenir du projet, il faudra le faire mais aussi dire au citoyen qu'il va y avoir des expropriations. Nous ne voulons pas y arriver. Il arrivera un jour où l'on annoncera à quelqu'un qu'il va être exproprié. L'utilité publique sous-tend une expropriation éventuelle. Mais ce que vous devez savoir c'est que le texte établissant l'Agence d'aménagement de la vallée du Bouregreg a insisté sur le fait qu'un propriétaire ou ayant droit dans la zone voulant rentrer dans une société de promotion et de commercialisation du projet a toute la capacité de le faire. Je pense que c'est la première fois au Maroc qu'un texte de loi signifie cela. Nous sommes loin de la face monstrueuse d'un Etat qui exproprie à tour de bras et de force. Nous allons d'ailleurs explorer toutes les possibilités avant d'aboutir à l'expropriation. D'abord l'accord à l'amiable ensuite l'entente avec un propriétaire intéressé par l'entrepreneuriat…
On reproche à l'Agence d'aménagement de la vallée du Bouregreg de s'accaparer les attributions de toutes les autres institutions concernées. J'entends particulièrement les élus…
Tout cela s'est fait dans le cadre d'un débat au sein du parlement. Le modèle marocain de cette agence n'est pas unique. On l'a vu ailleurs en Amérique, en France, en Angleterre, en Espagne… Le quartier de la Défense à Paris, pour ne citer que lui, s'est fait dans ce cadre. La reconstruction de Beyrouth a été effectuée dans un cadre similaire.
S'il n'y a pas une concentration de la décision, on serait peut-être encore en train de négocier la restauration de la muraille des Oudayas et de l'institution qui y veillerait. Il y a à la base un souci d'efficacité. Il ne s'agit en aucun cas de s'accaparer les pouvoirs des uns et des autres. Je voudrais juste rappeler que le premier ministre préside notre conseil d'administration et qu'au moins 8 ministres y siègent ainsi que les élus locaux. On n'est pas dans un établissement qui prend des décisions à huis clos. J'ai toujours ouvert nos portes à ceux qui voulaient nous voir. Cette agence a comme valeur la protection de l'environnement -la vallée du Bouregreg est un espace écologique de grande importance et dont la sauvegarde est un impératif. Ce qui s'y passe actuellement à l'heure où je vous parle est un scandale. Dans les 5 prochaines années, Sidi Hmida va être un futur bidonville et personne n'hésitera à l'appeler « bidonville de Sidi Hmida ». Un site magnifique de 1100 hectares où l'on assiste à une prolifération de l'habitat anarchique voulu.
J'ai l'impression que nous subissons, ici à l'agence, un délit de sale gueule ! Ceux qui ne nous connaissent pas portent un certain regard sur nous alors que vous voyez bien que nos locaux sont modestes.

Il faut le reconnaître, vous avez visiblement un problème de communication !

Pour un tel projet qui est étalé sur le long terme, la communication doit être dosée. Je dis toujours à mes collaborateurs que nous devons gérer notre communication. Un projet de tramway comme celui de Rabat-Salé par exemple, cela se gère dans le temps. On ne peut pas bombarder la presse de communiqués tous les jours. Le tramway est un produit sur un cycle long et donc l'information est donnée au fur et à mesure et ce pour éviter l'overdose au public.
Par contre, et je vous l'accorde, il faudrait que l'on s'organise en nous ouvrant pour recevoir toutes les semaines les professionnels de la presse. Parce que, vous avez raison, les citoyens ont le droit de savoir. En attendant, je tiens à vous assurer que je ne suis pas du tout inquiet pour le devenir de notre projet. Sa Majesté a donné le coup d'envoi du projet le 7 janvier 2006. On a commencé à travailler en milieu d'année, en avril. Les premiers marchés ont débuté en juillet 2006 et concernaient le terrassement de la marina. Le premier conseil d'administration de l'Agence s'est tenu en juin 2006 et la validation du budget de l'Agence a été faite en juillet de la même année. Autant dire en un temps record !

Nous ne sommes pas des mercantiles

Quelles sont les personnes concernées par l'expropriation. Combien de terrains sont concernés ?
Sur les 6000 hectares, il n'y a que 15 à 20% qui sont concernés par l'urbanisation. Les 80% restants ne nous intéressent pas. Nous ne ferons rien pour les acheter ou en exproprier les propriétaires. Dans ces 20%, quelques terrains appartiennent à des particuliers, à Sidi Hmida et à Oulja. Nous avons des titres fonciers qu'une parcelle appartient à 20 personnes ou 100 dans l'indivision. Tout cela pour vous dire que les chiffres peuvent ici ne rien signifier. 1000 propriétaires ont été identifiés.
Pour résumer la question de l'expropriation, vous dites que cela va se passer dans la douceur, dans la plupart des cas à l'amiable et qu'au fond, les particuliers ne sont pas aussi nombreux qu'on le prétend.
Il y a des particuliers concernés par l'expropriation. Mais ils ne sont pas du volume de 6000 hectares. Il ne faut pas généraliser la question aux 6000 hectares. Il ne s'agit pas de 6000 hectares mais de 15 à 20% de ces 6000. Dans ces 20%, quelque 400 hectares sont des terrains appartenant à l'Etat ou aux communes. Reste une centaine d'hectares environ et c'est là où nous pouvons trouver des particuliers. Il faut raisonner en termes de propriétés et non en termes de propriétaires.
Nous agissons dans le cadre de l'utilité publique qui est un cadre légal. Et ceux qui nous contestent ce statut, pourquoi se sont-ils tus pendant deux ans et demi ? Jamais un avocat, un spécialiste de droit constitutionnel ne se sont exprimés sur ce texte. L'utilité publique est un sujet qui mérite toute l'attention. On touche à un droit constitutionnel qui est la propriété. Nous n'avons décidé de l'obtenir qu'au moment où les propriétaires sauront le devenir de leurs terrains à la faveur du plan d'aménagement. Ai-je besoin de rappeler que c'est une zone difficile et que seul l'Etat est en mesure de mener à bien les travaux ? Les fondations de la séquence Al Bahr, par exemple, se font sur des pieux de 25 mètres. Je ne connais pas d'entrepreneur marocain qui pourrait faire de telles fondations…

Vous avez évoqué l'avancement des travaux. Quels sont les partenaires internationaux qui travaillent réellement sur le site? Des rumeurs évoquent le départ de certains investisseurs étrangers?

Nos partenaires sont des structures qui ont une renommée internationale. Ils ont exprimé un intérêt pour développer, à nos côtés, quelques parties du projet. Nous avons créé une société de développement et des filiales de l'agence. Cette structure a décidé d'ouvrir une partie de son capital et fixé un droit d'entrée. Les fruits de ces droits d'entrée viennent combler les déficits structurels de financement du projet d'aménagement de la vallée.
Pour revenir aux partenaires internationaux, nous avons Sama-Dubaï qui est à nos côtés sur Bab El Bahr. La CDG est un grand partenaire, il y a également la Caisse marocaine des retraites. Al Maabar, un consortium de plusieurs sociétés à Abu-Dhabi, est un partenaire de très grande taille. Il est composé de 4 sociétés dont « Al Qudra » qui sont connues à l'échelle mondiale. Elles sont en partenariat avec nous sur la séquence 1, Bab Al Bahr, qui va développer la cité des arts et de la culture…

Vous parlez de votre souci de préservation du site et de l'environnement. Pourquoi vous conteste-t-on alors le statut d'utilité publique ? Est-ce qu'il n'y a pas un volet commercial qui se greffe à la sauvegarde de la vallée du Bouregreg?

Nous ne sommes pas des mercantiles. Un établissement public est doté d'une autonomie financière. Il est soumis au contrôle financier de l'Etat. Nous avons des ressources émanant du Fonds Hassan II, de l'Etat, de la direction générale des collectivités locales en soutien aux collectivités. 3 milliards et 250 millions de dhs sont mobilisés pour faire un projet dont une composante dépasse largement nos ressources, à savoir le tramway qui à lui seul coûte 4 mds de dhs. Nous sommes donc obligés de faire un montage financier. En fait nous voulons agir dans le cadre d'un développement qui va chercher ses propres richesses dans son environnement.
Si on fait du développement urbain, cela signifie bien que nous allons équiper, lotir et contribuer à la création de la cité. Dans une cité, il y a des établissements publics, des résidences, etc, et le Bouregreg est une zone ouverte à l'urbanisation.

Entretien réalisé par Narjis Rerhaye et Abdelhamid Jmahri


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1.Posté par bikri samir le 27/06/2010 11:48
bjr ,juste une tte tte petite remarque -,bien évidement on ne peut rien suggérer -...
dites à MR ESSAKL :à vrai dire ;être libre; cela suppose qu'il a choisi une fois pour toutes , sans jamais se reprendre , de ne pas tricher avec la vérité, au contraire il a opté la préférer ...
visiblement sa majesté MOHAMED VI avait inauguré un complexe sportif à sidi Hmidi et donc il n y aura jamais et strictement jamais un espace bidonville comme a dit M. Essakl.

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